Une discipline passionnante est en train de naître du côté du spectacle vivant : la recherche. Des programmes émergent, et ils sont de plus en plus solides, grâce au soutien de la MiR, la Mission Recherche du ministère de la Culture (direction générale de la création artistique), via son appel à projets, lancé en 2019 et renouvelé depuis chaque année (« Recherche en théâtre, cirque, marionnette, arts de la rue, conte, mime et arts du geste »).
Une communauté visible et active se forme, des relations entre les artistes et les universitaires commencent à se tisser, dans l’esprit d’un vif intérêt mutuel, la documentation et la transmission s’enrichissent. Au bout de quatre années et malgré la crise sanitaire de 2020, un écosystème est en train de se développer, tout jeune et plein de promesses.
Les 2 et 3 février 2023, c’était le tour des projets de l’année 2020 d’être présentés, au Studio-Théâtre de Vitry, un lieu emblématique, puisqu’il dispose en son sein d’un pôle spécifique « recherche ». Le Studio-Théâtre fait partie de ces structures encore peu nombreuses qui rivalisent d’ingéniosité pour proposer aux artistes les conditions d’une recherche en art (comme par exemple Le Phénix (scène nationale de Valenciennes), le Théâtre Nouvelle Génération (Centre Dramatique National de Lyon), l’Hexagone (scène nationale Arts Sciences), qui anime une importante biennale Arts Sciences (Experimenta) à Grenoble, le Lieu Unique (scène nationale de Nantes), la compagnie In Vitro et ses Laboratoires de Traverse…).
Emulation, restitutions, rencontres et échanges forment ici peu à peu un réseau tout neuf, où l’on trouve en formation les éléments de la création de demain. Bérangère Vantusso, qui dirige le Studio-Théâtre, et Florence Kremper, qui en anime le pôle recherche, nous donnent quelques traits de ce monde émergent.
Bérengère Vantusso, Florence Kremper, comment se situe le Studio-Théâtre de Vitry par rapport à la recherche création ?
Bérangère Vantusso : Quand j’ai pris la direction du Studio-théâtre (en janvier 2017), qui, depuis sa fondation, accueille des équipes artistiques en création, nous avons tout de suite créé un pôle « Recherche » ainsi qu’un poste dédié, dont Florence Kremper a pris la responsabilité, pour proposer des résidences de ce type aux artistes.
D’où l’importance à nos yeux d’accueillir ces rencontres (« Exposer la recherche, gestes et savoirs d'artistes ») autour des lauréats 2020 de l’appel à projets du ministère. Elles saluent nos efforts, d’une part, et surtout elles permettent de mettre en discussion les concepts, les méthodes, les pratiques et les résultats, ce qui anime une communauté. C’est très important car nous sommes tous au tout début du développement d’un secteur d’une grande jeunesse, qui nous passionne. Quelque part, le Studio, avec son expérience, et la Mission Recherche de la direction générale de la création artistique du ministère de la Culture, avec son expertise, cheminent ensemble sur toutes ces questions.
Depuis le lancement de l’appel à projets, en 2019, avez-vous le sentiment que quelque chose a changé ?
Bérangère Vantusso : Sans aucun doute. Il faut imaginer la nouveauté de ces résidences de recherche pure quand nous, au Studio-Théâtre, nous avons commencé à les proposer aux artistes.
Florence Kremper : Au tout début, c’était loin d’être une pratique intégrée. L’appel à projets a permis de promouvoir un protocole vertueux et de faire valoir des exigences précises. Il a un effet évident de structuration. Les projets qu’on nous propose aujourd’hui sont beaucoup plus construits et mieux réfléchis. Ils intègrent notamment la question de la restitution, de la transmission, de la documentation des résultats. Ils présentent des partenaires convaincants. Et l’agrément du comité d'experts qui attribue ces bourses leur donne valeur d’exemple.
Bérangère Vantusso : Autrefois, c’était une démarche exceptionnelle. Aujourd’hui, les compagnies, quand elles en ressentent le besoin, peuvent envisager d’intégrer cette activité à leur projet artistique. Elles sont encouragées par le soutien du ministère, avec cet appel à projets, bien sûr, mais aussi grâce aux crédits recherche des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), qu’elles peuvent solliciter.
Existe-t-il désormais une communauté d’artistes chercheurs et de scientifiques liés à des labos universitaires ?
Bérangère Vantusso : Certainement. L’un des enjeux de la recherche en art est de développer cette communauté. Pendant ces deux jours, il y avait là chez nous des artistes-chercheurs, des enseignants-chercheurs, des doctorants, des dramaturges, des interprètes, des auteurs, des circassiens, des chorégraphes, des techniciens, des mimes, des performeurs, des musiciens et j’en passe…
Florence Kremper : Les domaines scientifiques sollicités sont de plus en plus nombreux et variés, des sciences dites « dures » jusqu’aux sciences humaines (anthropologie, sciences du langage…) en passant par les neurosciences… Ces associations nourrissent aussi les recherches purement scientifiques. Deux milieux bien distincts, qui pouvaient se regarder sans se fréquenter, apprennent à collaborer et y trouvent beaucoup d’intérêt.
Pouvez-vous percevoir, d’autre part, les effets de ces recherches sur la profession elle-même, en terme de formation, par exemple ?
Florence Kremer : Oui, car les artistes de ces équipes de recherche se constituent pour un moment donné et chacun, ensuite, retourne à la production de spectacles. Là ils retrouvent le milieu professionnel qu’ils vont nourrir des acquis de leur recherche. De nouveaux savoirs peuvent diffuser très vite et profondément.
Bérangère Vantusso : La formation de l’acteur, j’en suis convaincue, n’est jamais achevée et elle se travaille beaucoup entre pairs. En ce sens, la recherche en art produit des connaissances et des techniques plus fines, plus consciemment maîtrisées.
Que reste-t-il à faire, à présent, pour poursuivre ces développements ?
Bérangère Vantusso : L’édition 2023 de l’appel à projets sera biennale : chaque programme sera financé désormais sur une période de deux ans, et c’est, d’après nous, une bonne chose. La durée est une question centrale. Par ailleurs, mieux informer les artistes des sources de financements complémentaires serait un bon progrès, notamment du côté des institutions universitaires de recherche. Un autre point important serait de trouver d’autres lieux pour accueillir les projets : il n’est pas si courant de trouver un plateau équipé, dédié et disponible.
Autre évolution intéressante, celle de l’appel à projets vis-à-vis des écoles supérieures culture : quand la question de la recherche s’articulera naturellement à la formation initiale, elle s’intégrera aussi comme pratique dans les arts.
Enfin, il faut encore réfléchir à des moyens plus efficaces de rendre à l’intelligence collective toutes ces recherches : comment faire savoir et faire connaître ? Nous y contribuons de notre côté avec les Cahiers du Studio… Et puis ces deux journées ont trouvé un petit écho dans les médias, c’est déjà un bon signal !
Techniques de magie nouvelle, recherches sur les mouvements corporels du marionnettiste ou du mime, recherches sur la prosodie du comédien...
Quinze projets étaient présentés au Studio-Théâtre de Vitry les 2 et 3 février dernier (à consulter : les portraits des artistes porteurs de six d’entre eux et le programme des deux journées).
Sans pouvoir décrire toutes ces recherches ici, citons, parmi les plus spectaculaires, celle de Valentine Losseau, qui met au point un procédé magique inédit et parfaitement bluffant : créer des zones d’invisibilité sur un plateau de théâtre. Une recherche qui combine catoptrique (l’optique géométrique des miroirs), science des matériaux, machinerie théâtrale, traitement de l’image optique, vidéo… Celle d’Yvain Juillard, non moins extraordinaire, qui consiste à réunir les procédés scéniques capables d’induire dans le cerveau du spectateur la perception d’un personnage sur le plateau… qui en réalité ne s’y trouve pas ! Ni corps ni hologramme, et pourtant, à la fin de la représentation, le public a le sentiment irrépressible qu’il manque un comédien au moment de saluer.
Parmi les plus liés à l’art du comédien, citons Sergi Emiliano I Griell et Agnès Delachair qui s’inspirent du découpage temporel dans la BD et du montage cinématographique pour inventer un nouveau langage physique propre à renouveler l’art du mime. Citons aussi Laurent Poitrenaux qui, cette fois dans le cadre de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne, s’intéresse au « tournant acoustique » des arts dramatiques : l’idée est d’interroger l’usage du micro sur la scène jusqu’à en faire un outil parfaitement maîtrisé (plutôt que subi, comme il l’est parfois, malheureusement), de la part de l’acteur, en passant par la production de travaux sous forme de fictions radiophoniques.
Quatre exemple qu’il convient de compléter en consultant nos portraits d’artistes en recherche !
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