Nelly Gable et Annie Bocel exercent la profession de graveurs de poinçons typographiques. Seules cinq personnes à travers le monde détiennent ce savoir-faire qui, en France, n’est exercé qu’à l’Imprimerie Nationale. Pourtant, avant de former Annie Bocel, le savoir-faire dont Nelly Gable était l'unique dépositaire en France, était en péril. En dédiant les dernières années de son activité professionnelle à la transmission de son savoir-faire, elle a permis sa pérennisation. 2017 marque la fin et la réussite de cette transmission de trois ans, sur laquelle Annie Bocel revient avec nous.
Après avoir été élève d'un Maître d'art, vous devenez aujourd'hui à votre tour "gardienne du cabinet des poinçons de l'Imprimerie Nationale". De quoi s'agit-il précisément derrière ce titre un peu mystérieux ?
Le rôle du responsable du cabinet des poinçons - c'est-à-dire des originaux des matrices avec lesquelles on frappe les caractères d'imprimerie - est de conserver la collection de l'Imprimerie nationale et de la valoriser. Je considère que le meilleur moyen de valoriser quelque chose est de lui rendre sa fonction première. Toutes les pièces qui sont conservées dans le cabinet des poinçons peuvent être considérées comme des "outils" destinés à imprimer des caractères. D’où l’importance que ce "gardien" soit lui-même graveur...
Comment envisagez-vous votre nouvelle mission ?
J’y vois une belle opportunité de mener des projets en profondeur, grâce au potentiel que représente le cabinet des poinçons. Celui-ci abrite en effet une collection de 700 000 pièces gravées, dont 230 000 poinçons classées monuments historiques qui, pour certains d’entre eux, remontent au règne de François 1er ! En tant que graveur, mon souci est de rendre une légitimité à la gravure de poinçons typographiques, à travers des projets artistiques qui questionnent l’ensemble de la chaîne typographique.
Une collection de 700 000 pièces gravées dont 230 000 poinçons classés monuments historiques
Votre rôle se situe en quelque sorte entre une dimension historique et une dimension de création... .
Avant toute chose, je vais essayer d'embrasser l'évolution de ce métier de graveur. Pour cela, il faut d'abord s'approprier sa mémoire, faire corps avec lui, se couler dans sa "peau", pour engager un dialogue avec la matière et exprimer le potentiel qui en découle. Ensuite, il faut essayer de comprendre pourquoi et comment il évolue : certains éléments qui le constituaient sont devenus caducs, d'autres font leur apparition... Pour ma part, j’ai l’intention de graver des signes, des lettres, dans le cadre de projets soigneusement choisis. J’espère également engager des collaborations avec des dessinateurs de caractères.
Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Nelly Gable, votre Maître d'art ? Envisagiez-vous déjà de vous spécialiser dans la gravure de poinçons avant de devenir son Élève ?
J’avais déjà mon propre atelier de gravure en taille douce et en gaufrage lorsque Nelly Gable m’a proposé de devenir son élève. Je me souciais uniquement d’images et non de lettres, mais, quelque part, les deux se rejoignent lorsqu’il s’agit de composer des formes, de chercher un équilibre entre le plein et le vide et de déterminer ce qui doit disparaître ou non dans la gravure.
Engager un dialogue avec la matière et exprimer le potentiel qui en découle
Comment s'est déroulé la transmission, entreprise entre 2014 et 2017 ? Qu'en avez-vous retiré ?
Au début de cet apprentissage, je n’avais jamais travaillé l’acier et j’avais très peu de connaissances en matière typographique. J’ai donc reçu une formation exhaustive, très exigeante. C’est là la force de ce programme pédagogique : toutes les étapes de la technique concernée sont détaillées, du plus évident au plus pointu. Pour le reste, l’apprentissage ne peut se faire autrement que dans le "ressenti", d’où la nécessité d’expérimenter, ce que nous avons largement fait avec Nelly Gable.
Les plus beaux projets Maîtres d’Art-Elèves en 2017
A l'image de Nelly Gable et Annie Bocel, cinq autres duos issus des précédentes promotions, se sont illustrés cette année en imaginant ou en réalisant des projets de qualité.
Céline Bonnot-Diconne, restauratrice d’œuvres d’art spécialisée dans le cuir et Maître d’Art de la promotion 2015, est intervenue avec Marie Héran, son élève, dans trois lieux prestigieux du Centre des Monuments nationaux. Ainsi, toutes deux ont restauré un panneau de cuir polychrome du XVIIIe siècle (Château de Montal), une pièce de mobilier dotée d’une garniture en cuir doré polychrome repoussé du début du XVIIIe siècle (Château d’Azay-le-Rideau) et un coffre en bois marouflé d’une toile recouverte de cuir rouge datant de la fin du XVe-début du XVIe siècle (Château de Châteaudun).
Le Maître d’art Bertrand Cattiaux et son équipe ont, à la demande de la ville, conçu un nouvel orgue pour l’église Saint-Nicolas du Pouliguen. Celui-ci a été entièrement fabriqué et assemblé en Corrèze avant de prendre le chemin des Pays de la Loire afin d’être monté en sa demeure finale. Le Maître d’art a ensuite consacré un mois entier à l’harmonie – l’accord – étape finale qui donne à l’instrument toute sa singularité. Celui-ci a été inauguré le 5 novembre dernier.
Après trente ans de carrière et un titre de Maître d’art, Hervé Obligi se réapproprie les applications de la marquetterie de pierres dures en associant artisanat et création. Après avoir été à l’origine d’une collection de stylos conçus davantage comme des sculptures que comme des objets usuels, il se consacre aujourd’hui à la réalisation d’un nouveau projet avec Camille Berthaux, son élève : une micro-série entièrement inspirée d’images captées dans la rue.
Au cœur du Pays de Bitche, le Centre International d’Art Verrier de Meisenthal (CIAV) fait revivre l’héritage technique de tout un territoire en croisant les savoir-faire traditionnels et création contemporaine. Parmi les huit artisans-verriers que compte l’équipe, Jean-Marc Schilt, Maître d’art, et son Élève, Sébastien Maurer, accueillent les créateurs tout au long de l’année et les accompagnent dans le passage du concept à la réalité. En 2017, tous deux ont notamment réalisé une série de flacons de parfum d’exception avec l’architecte brésilienne Daniela Busarello, pour la maison de parfumerie parisienne Ex Nihilo. Les douze pièces ont été exposées et mises en vente au Grand Palais, pendant le salon Révélations.
Devenue Maître d’art en 2015, Fanny Boucher compte parmi les derniers représentants de l’héliogravure à travers le monde. Elle a partagé avec Antonin Pons Braley les secrets de son savoir-faire tout en l’associant à ses recherches. En septembre 2017 elle présentait ainsi Transmission au Musée National de Tokyo, une œuvre réalisée à six mains avec son élève et Marie Levoyer, en vue de montrer au public les différents aspects de l’héliogravure.
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