La réforme de l’enseignement de l’architecture est effective depuis février dernier. Quel est son objectif ?
C’est une petite révolution dans le monde de l’enseignement de l’architecture. Le statut des établissements, qui datait de 1978, et celui des enseignants, qui datait de 1994, ne correspondaient plus aux critères actuels de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est pourquoi la publication en février dernier de cinq décrets (voir ci-contre) constitue un véritable aboutissement de cette réforme. Il ne s’agit pas là d’un toilettage ciblé ou d’un simple ajustement technique, mais d’une transformation puissante du droit, que les ministres de la Culture et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ont salué, le 20 février dernier, d’une seule et même voix. Adoptée grâce à une large concertation avec l’ensemble des parties prenantes, cette réforme, solidement adossée aux dispositions de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine qui la fondent, va, à terme, transformer en profondeur l’exercice de l’enseignement de l’architecture dans les vingt établissements que compte la France.
Qu’est-ce qui va changer dans l’organisation de l’enseignement supérieur de l’architecture ?
Autonomie affirmée, mode de gouvernance inédit, nouveau statut d’enseignement-chercheur… Cette réforme revisite de fond en comble le modèle de notre enseignement de l’architecture, en mettant l’accent sur un principe : l’autonomie des communautés pédagogiques et scientifiques, conformément aux prérogatives universitaires. De façon plus générale, elle va favoriser les coopérations de toute nature avec les entités d’enseignement et de recherche de notre paysage national. La réforme va également repositionner de façon très nette les ENSA en tant qu'acteurs territoriaux et nationaux des politiques publiques, en donnant en particulier un nouvel essor au développement des initiatives d’éducation artistique et culturelle. Grâce à elle, les écoles pourront répondre avec efficacité aux défis professionnels, sociétaux et environnementaux qui se posent aujourd’hui.
Cette réforme va, à terme, transformer en profondeur l’exercice de l’enseignement de l’architecture dans les vingt établissements que compte la France
Le nouveau statut des écoles d’architecture leur confère une spécificité par rapport aux autres établissements de l'enseignement supérieur culture. Pourquoi ?
Les 20 ENSA avec leurs 20 000 étudiants, leurs enseignants-chercheurs, leurs enseignants associés et invités, leurs cycles licence, master et doctorat depuis 2005, leurs unités de recherche représentent les deux tiers de l’enseignement supérieur au ministère de la Culture. Selon le décret, ces écoles ont le statut « d’établissements publics enseignement supérieur et de recherche », placé sous la tutelle conjointe du ministère de la Culture et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Ce qui signifie concrètement qu’elles relèvent des mêmes dispositions législatives que les universités ou les grandes écoles : autonomie pédagogique et scientifique, indépendance des enseignants-chercheurs, instance nationale de qualification et comités de sélection locaux pour le recrutement, collégialité, élections au sein des instances - tant du conseil administration que du conseil pédagogie et scientifique (CPS) -, ouverture du conseil d’administration sur les territoires, élection du président du conseil d’administration, nomination du directeur par le ministre après avis du conseil d’administration, participation des élus étudiants aux commissions pour le pédagogie et la recherche, contrat d’établissement pluriannuel établissant les objectifs de politique publique et leur trajectoire de mise en œuvre… C’est ce qui fait leur spécificité par rapport aux autres écoles de l’enseignement supérieur culture.
La convergence des activités d’enseignement et des activités de recherche est l’un des axes principaux de la réforme. En quoi est-ce un élément si important ?
Les ENSA ont un double ancrage, professionnel et académique. Ce double ancrage est l’ADN des écoles. Elles étaient liées à l’enseignement supérieur professionnalisant : elles le restent en formant des futurs architectes et professionnels de l’architecture et du paysage et en répondant aux objectifs de qualité d’insertion professionnel ; elles le restent aussi en faisant intervenir en tant que professeurs et maîtres de conférences des architectes praticiens et des figures de l’architecture, et de manière générale en raison de la participation forte des professionnels à la formation des étudiants. Mais les écoles ont également une dimension académique ce qui signifie, d’une part, qu’elles mobilisent de nombreuses disciplines plutôt « universitaires », allant des sciences humaines aux sciences de l’ingénieur, lesquelles permettent du fait de leur corpus scientifique d’éclairer et d’inscrire dans la complexité du réel, le « projet » architectural, urbain et paysager ; ce qui signifie, d’autre part, que la recherche, sous toutes ses formes, est devenue une dimension supplémentaire et consubstantielle de l’enseignement supérieur en architecture.
D’où la mise en place d’un nouveau statut d’enseignant-chercheur...
En effet. Le statut d’enseignant-chercheur, rassemble – c’est le sens du statut fixé par le décret n° 2018-105 – tous les enseignants et chercheurs titulaires des ENSA, quelles que soient leurs appartenances disciplinaires. A travers ce statut, tous les professeurs et les maîtres de conférences ont vocation à mener, outre leurs activités d’enseignement, une activité de recherche ou à participer à des activités de recherche au sein d’unités spécifiques. Il est notamment prévu que le service d’enseignement, fixé à 320 heures équivalents travaux dirigés, puisse être réduit jusqu’à 192 heures, en fonction d’activités de recherche dûment évaluées.
Autre point important : le statut d’enseignant-chercheur n’entérine pas seulement la reconnaissance de la dimension de recherche, c’est aussi la reconnaissance de missions et de larges responsabilités : enseignement, recherche, valorisation de la recherche, participation à la vie institutionnelle de l’établissement, coopération internationale, diffusion des connaissances, promotion de la culture et de la qualité architecturale, etc. Les écoles sont ainsi armées pour valoriser leur excellence professionnelle, pédagogique et scientifique, et pour rayonner sur les territoires nationaux et internationaux de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Cette réforme entérine enfin la recomposition du paysage de l'enseignement supérieur. Quelles en sont les conséquences pour les écoles d’architecture ?
Ces transformations s’inscrivent dans des évolutions plus générales du paysage de l’enseignement supérieur français. Les écoles d’architecture participent déjà pleinement aux coordinations territoriales de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui ont l’ambition de constituer des ensembles universitaires visibles dans les classements internationaux. Les ENSA sont en première ligne de ces reconfigurations, avec les thématiques professionnelles et de recherche qu’elles portent - qu’il s’agisse de la transition écologique, de la ville durable, du patrimoine ou des outils numériques...
La participation des ENSA à la dynamique des sites d’enseignement supérieur et de recherche se traduit concrètement par l’implication des écoles, et ce dès 2010, dans les projets « structurants » et « transformants » financés par le programme des investissements d’avenir (PIA). Les initiatives d’excellence (IDEX) et les Initiatives Sciences innovation territoire économie (I-Site) sont les dispositifs les plus connus. L’I-Site « Future : Inventer la ville de demain » mobilise l’ENSA de Paris-Est. Il faut ajouter l’implication des ENSA dans les laboratoires d’excellence (Labex), comme à Grenoble, ou en dans des écoles universitaires de recherche (EUR), comme à Versailles, lesquelles promeuvent le doctorat en architecture. La réussite de ces projets, validés par des jurys internationaux, démontre l’incroyable agilité des écoles en phase avec les partenaires académiques, les milieux professionnels et les acteurs des territoires.
Les ENSA sont en première ligne de ces reconfigurations, avec les thématiques qu’elles portent - qu’il s’agisse de la transition écologique, de la ville durable, du patrimoine ou des outils numériques...
Quelles sont les prochaines étapes de la réforme ?
L’année 2018 verra la mise en œuvre concrète de ces réformes. Les ENSA modifieront la composition de leur conseil d’administration, dont la présidente ou le président sera élu(e). Elles mettront en place des conseils pédagogiques et scientifiques fondés sur l’élection. Parallèlement, un conseil national des enseignants-chercheurs des écoles d’architecture (CNECEA) sera constitué. Il procédera dès cet automne à la qualification nationale des futurs candidats aux fonctions de maîtres de conférences et de professeurs des ENSA. Au printemps 2019, les ENSA mettront en place, sur la base de la qualification des comités de sélection pour procéder aux recrutements correspondant à leurs ambitions d’ordre besoin pédagogique, scientifique et professionnelle. Pendant une période de cinq ans, l’accès des enseignants associés et contractuels aux corps d’enseignants-chercheurs sera ainsi renforcé.
Enseignement de l’architecture : les 4 étapes de la réforme
- 1992 : remise du rapport « Écoles d’architecture 2000 » du recteur Armand Frémont, qui portait une vaste ambition en matière de pédagogie, de recherche, d’autonomie et de moyens
- 2005 : mise en place de la structuration européenne des diplômes avec le cursus Licence Master Doctorat (LMD)
- 2013 : remise du rapport de Vincent Feltesse et Jean-Pierre Duport, à qui la ministre de la Culture avait confié en 2012 la responsabilité de mener une large concertation sur l’enseignement et la recherche en architecture et de formuler des propositions. Celles-ci vont fixer le cadrage des décrets de 2018
- 2014 : mission conjointe de l’inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) qui prend acte du potentiel de recherche des ENSA pour recommander des modalités de mise en place d’un statut d’enseignant-chercheur
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