Droits sociaux, situation économique, nouvelles instances de représentation… C’est un plan d’action global en faveur des artistes-auteurs que le ministre de la Culture a présenté, mardi 18 février. Depuis le début de son mandat, Franck Riester avait affirmé sa « volonté de placer les créateurs au cœur de la politique culturelle ». « Depuis des années, le ministère de la Culture s’est concentré sur les questions d’éducation, de diffusion et de conservation, laissant trop souvent les artistes-auteurs à la marge des politiques publiques. Je veux aujourd’hui les remettre au centre », a-t-il plaidé.
Pour cela, le ministre de la Culture s’est appuyé sur le rapport remis le 22 janvier par Bruno Racine, « L’auteur et l’acte de création ». Ce rapport, qui dresse un diagnostic de la situation des artistes-auteurs et formule des propositions destinées à adapter les politiques publiques existantes, a été rendu public, afin que « chacun puisse se saisir de cette contribution ». Après la tenue d’un débat public particulièrement « nourri », Franck Riester a présenté son plan d’action d’une ampleur sans précédent .
Depuis des années, le ministère de la Culture s’est concentré sur les questions d’éducation, de diffusion et de conservation, laissant trop souvent les artistes-auteurs à la marge des politiques publiques. Je veux aujourd’hui les remettre au centre
Développer les droits sociaux fondamentaux des artistes-auteurs
« Aujourd’hui, les droits sociaux des artistes-auteurs ne les protègent pas suffisamment. Ceux-ci sont fragilisés par des conditions de création qui se sont très largement modifiées en quelques années ». En partant de ce constat, le ministre de la Culture est décidé à faire évoluer cette situation. « Les artistes-auteurs doivent bénéficier de droits applicables et respectés », a-t-il souligné.
Première réponse apportée à ces questions de droits sociaux : un décret sera « prochainement » présenté aux artistes-auteurs. Il « simplifiera l’ouverture des droits sociaux », évitant ainsi à de nombreux créateurs de relever de plusieurs régimes de protection sociale, et « traduira avec plus de pertinence la réalité et la diversité de leurs revenus ».
Le ministre a pris en exemple deux « applications concrètes » de ce projet de décret. Pour les artistes-auteurs, cela signifie notamment que « le champ des activités principales sera étendu, en y incluant notamment la direction de collection ». Autre application prévue dans le projet de décret : « le plafond de revenus issu des activités accessoires sera augmenté de 50 % par rapport au plafond actuel ». « C’est un geste important qui démontre les choix volontaristes du Gouvernement en faveur des artistes-auteurs », a assuré Franck Riester.
Sur la question des retraites, le ministre a voulu rassurer les inquiétudes des artistes-auteurs. D’abord, en leur indiquant que le décret très attendu relatif au régime de retraites complémentaire des artistes-auteurs, qui permettra la prise en charge par les producteurs d’une part des cotisations salariales, « entrera en vigueur très prochainement ». Ensuite, en leur précisant les contours de la réforme des retraites. « Je veux souligner que le projet de loi prévoit des dispositions adaptées aux artistes-auteurs. (…) Toutefois, les concertations menées avec les artistes-auteurs ont mis en évidence le besoin d’adapter le texte encore davantage ».
Parmi les points d’attention, le ministre a relevé la prise en compte de « la grande variabilité des revenus artistiques d’une année sur l’autre » mais aussi de « l’existence de dispositifs particuliers de prise en charge de cotisations salariales ». « Nous devons également être vigilants à la situation des dispositifs de retraites complémentaires propres à chaque branche professionnelle », a-t-il ajouté.
Aujourd'hui, les artistes-auteurs doivent bénéficier de droits sociaux applicables et respectés
Améliorer la situation économique des artistes-auteurs
Il existe plusieurs leviers pour améliorer la situation économique des artistes-auteurs. La répartition plus juste du partage de la valeur entre les créateurs et les diffuseurs est l’un d’eux. Aujourd’hui, le partage de la valeur est trop souvent « déséquilibré ». « Je pense en particulier à de grands acteurs du numérique qui génèrent d’importants revenus sans contribuer à la rémunération de leurs créateurs ». C’est pourquoi la France s’est mobilisée pour l’adoption de la directive européenne sur le droit d’auteur, qui comporte des avancées très concrètes au bénéfice des artistes-auteurs. La transposition de cette directive dans le projet de loi audiovisuel, qui va être examiné à l’Assemblée nationale en avril 2020, va contribuer à améliorer, sur plusieurs points, leur situation économique.
Le projet de loi va d'abord intégrer des obligations renforcées de transparence dans la reddition des comptes. « Un compositeur, tout comme un interprète, pourra ainsi savoir combien de fois sa musique a été écoutée en flux », a précisé le ministre. Ensuite, il permettra à tout auteur de demander la résiliation de plein droit de tout ou partie du contrat en cas d’absence totale d’exploitation de son œuvre. Enfin, il introduira un mécanisme de réajustement de la rémunération des artistes-auteurs, dans les cas où la rémunération initialement convenue dans le contrat est exagérément faible par rapport aux revenus tirés de l’exploitation de l’œuvre.
Le partage de la valeur doit également donner lieu à des concertations au sein de chaque secteur de la filière créative, livre, musique, arts visuel, cinéma, audiovisuel… « J’appelle tous les acteurs à saisir cette opportunité », a indiqué Franck Riester, en assurant que « le ministère de la Culture assumera son rôle de médiateur » dans ces négociations, qui doivent s’ouvrir « au plus vite ». « C’est l’amélioration des conditions matérielles des artistes-auteurs qui est en jeu », a-t-il prévenu.
Autre élément en faveur de l’amélioration de la situation économique des artistes-auteurs : le renforcement des soutiens directs de l’État. « Ce soutien va s’accroître, dans le secteur du livre, par le développement des aides versées aux auteurs », a indiqué le ministre, en soulignant que « le Centre national du livre avait d’ores et déjà engagé cette progression ». Entre 2017 et 2018, les aides directes du CNL aux auteurs ont augmenté de 20% et, à nouveau, de 21% l'an dernier pour atteindre 3,4 M€. « Cet effort doit se poursuivre dans les années à venir à un niveau significatif et l'allocation d’1M€ à 1,5M€ supplémentaires me paraît souhaitable dès 2020 ».
Les auteurs de livres ne sont pas les seuls concernés par les soutiens directs de l’État. « Dès 2021, le Centre national de la musique (CNM) disposera de programmes d’aides dédiés aux artistes-auteurs ». Il en ira de même pour le Centre National des Arts Plastiques (CNAP), le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (ARCENA) et le Centre National de la Danse (CND).
Concernant le cinéma, la revue des soutiens à laquelle le Centre National du Cinéma (CNC) procèdera en 2020 sera l’occasion « d’examiner l’opportunité d’octroyer davantage d’aides directes aux auteurs mais aussi de subordonner les aides à la production à un budget minimal consacré à l’écriture des œuvres et au développement ». De façon générale, le versement des aides publiques doit être conditionné au respect des règles et bonnes pratiques qui concernent les artistes-auteurs, qu’il s’agisse des questions de rémunération ou de la place des femmes.
Droit d'auteur, concertation... un partage de la valeur plus équitable entre créateurs et diffuseurs est un des leviers qui doit permettre une meilleure rémunération des artistes-auteurs
Permettre aux artistes-auteurs d’être mieux représentés
C’est une question « centrale ». Selon le ministre de la Culture, les artistes-auteurs ont besoin d’une « instance transversale de dialogue social » pour faire entendre leurs spécificités dans les réformes sociales. D’où l’idée – proposée dans le rapport Racine – d’un Conseil national des artistes-auteurs, dont les statuts, élaborés conjointement par les ministères de la Culture et du Travail, pourraient être stabilisés d’ici la fin de l’année.
Au sein de cet organisme, la représentativité s’appuiera sur les critères les plus pertinents à chaque métier et tiendra compte de la contribution à la création, qui peut varier d’une discipline à une autre. Des élections devront avoir lieu dès que possible dans tous les secteurs où cela semblera opportun. « Je souhaite que l’on se fixe comme objectif le second semestre 2021 », a complété le ministre, en ajoutant que « les représentants qui auront été choisis seront les interlocuteurs privilégiés de l’État ».
A noter : les organismes de gestion collective continueront à avoir toute leur place, notamment dans la défense des intérêts matériels et moraux des artistes-auteurs.
Les artistes-auteurs ont besoin d’une « instance transversale de dialogue social » pour faire entendre leurs spécificités dans les réformes sociales
Adapter le ministère de la Culture pour piloter la situation des artistes-auteurs
Référents, structure, baromètre… Chacun de ces leviers doit permettre de garantir la cohérence et la coordination de l’action du ministère de la Culture en faveur des artistes-auteurs.
Les référents, d’abord. « A compter du 1er septembre, chaque opérateur, comme le CNL, le CNM ou le CNC, sera doté d’un « référent artistes-auteurs ». Ce référent sectoriel, familier des conditions de création, sera l’interlocuteur dédié des artistes-auteurs. Il aura pour mission de les informer et de les orienter pour trouver les réponses les plus adéquates et les plus efficaces. Car les opérateurs du ministère de la Culture ont aussi pour mission d’être des facilitateurs de carrières ».
Une structure, ensuite. « Pour que les artistes-auteurs soient au centre de nos réflexions, j’ai décidé de créer au sein de la Direction générale de la création artistique (DGCA) une entité spécifique en charge du parcours de l’artiste et du créateur. Cette équipe se consacrera au suivi de la situation des artistes-auteurs, et pilotera les questions liées au parcours des artistes et à l’emploi artistique. Elle coordonnera les compétences et les expertises indispensables pour répondre à ces questions transversales et complexes (fiscales, sociales et juridiques) ».
Un baromètre, enfin. « Un dernier enjeu important reste à aborder : celui de l’observation statistique de la situation des artistes-auteurs. Aujourd’hui, comme le souligne le rapport Racine, je constate que les informations chiffrées dont nous disposons sur la création sont trop éparses ou parcellaires. Je souhaite donc doter le ministère d’un baromètre complet sur la situation sociale des artistes-auteurs. Cet instrument devra notamment nous permettre d’identifier les facteurs d’inégalités parmi les artistes-auteurs selon l’origine sociale, géographique ou le sexe ».
Partager la page