« Comment vivrons-nous ensemble ? » Cette question, posée aux participants de la 17e biennale internationale d’architecture de Venise, qui a débuté le 22 mai, a inspiré au commissaire du Pavillon français, l’architecte Christophe Hutin, une réponse empreinte d’optimisme. Son projet, « Communautés à l’œuvre », met à l’honneur les habitants qui s’attachent à transformer leur environnement quotidien. « L’idée défendue […] est de replacer l’humain au cœur des procédures de fabrication de l’architecture et de l’urbanisme. L’expertise de l’habitant peut être non pas un résultat ou un argument, mais une ressource dans la composition de l’architecture », explique l’architecte dans une interview publiée sur le site de l’Institut français.
L’architecture n’est pas une fin en soi. Elle doit questionner l’humain, le social, l’écologie…
Derrière cet idéal se trouvent des initiatives concrètes, présentées au Pavillon français sous forme de documentaires projetés sur des écrans disposés en triptyque. Les visiteurs pourront découvrir comment, près de Johannesburg, l’orphelinat du quartier informel de Kliptown a été repensé de façon à améliorer le confort, l’éducation et l’hygiène des enfants dans le cadre de l’atelier d’architecture « Learning From ». Un projet de réhabilitation mené au sein du quartier Springwell, à Détroit, sur la base des désirs exprimés par les habitants - un jardin, de l'ombrage, des enfants qui jouent, un lieu de réunion public...- est également présenté. « Pour moi, la vie est [le cœur de l’architecture]. C’est une ressource, qui permet d’agir sur l’environnement construit », fait valoir Christophe Hutin dans un entretien accordé au journal Le Monde.
Un architecte voyageur
L’exposition « Communautés à l’œuvre » s’inscrit dans la continuité de la réflexion que Christophe Hutin mène depuis plus de 20 ans sur la fabrication de la ville et ses logiques d’exclusion. Une démarche qui repose sur une expérience fondatrice : son installation, à 19 ans, dans un township à Soweto, composé de maisons bâties en deux heures à peine, à partir de panneaux de tôle achetés au bord de la route. A son retour en France, Christophe Hutin s’inscrit dans une école d’architecture qui dispense un enseignement théorique très éloigné des réalités qu’il a pu observer. « Ces deux expériences ont conduit à ce que je fais aujourd’hui », affirme-t-il.
L’architecte s’est spécialisé dans les questions de logements en Afrique du Sud et, à ce titre, il organise et conçoit depuis près de 12 ans les événements annuels EUNIC (international architecture studio) soutenus par les instituts culturels européens d’Afrique du Sud à Johannesburg. Ces derniers prennent la forme d’ateliers de travail et d’échange entre architectes, habitants, enseignants et étudiants centrés sur le développement urbain contemporain en site critique, tel que l’habitait informel ou le squat.
L’économie de moyens au service de l’usage
L’engagement de l’architecte ne s’arrête pas là. Christophe Hutin est désormais renommé pour son expertise en matière d’architecture durable qui l’amène à rechercher, en toutes circonstances, l’économie de moyens. ll a notamment collaboré avec Lacaton et Vassal, lauréats du prix Pritzker 2021, eux-mêmes partisans d’une architecture de l’épure, sur la transformation de 530 logements sociaux de la Cité du Grand Parc, à Bordeaux. Cette réhabilitation d’ampleur, destinée à optimiser l’espace de trois immeubles des années 1960, a valu à ses auteurs le prestigieux prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe 2019. Le jury a salué « l’exécution extrêmement précise » et « les choix de conception qui ont fait de ce projet une œuvre remarquable, édifiée dans le cadre d’un budget relativement limité ».
Ce projet a permis de doubler l’espace habitable des logements, auxquels un lumineux jardin d’hiver a été greffé. Le chantier de deux ans et demi s’est déroulé entièrement sur site occupé, ce qui a permis aux habitant de ne pas quitter leur appartement. « Tout est préfabriqué, cela facilite le travail sur le site. Les dalles arrivent par grue, avec les garde-corps déjà installés », explique Christophe Hutin à une journaliste du Monde. « On travaille avec des matériaux légers et performants […]. L’économie des moyens est au service de l’usage », conclut-il. Tout au long du projet, Christophe Hutin a installé ses bureaux sur place, afin de se donner toutes les chances d’impliquer la communauté dans le processus de construction. « Les gens sont plus intéressants que les procédures. Le projet du Grand Parc, part, de fait, de leur expertise quotidienne », a-t-il déclaré.
« L’architecture doit questionner l’humain »
L’architecte est également connu pour avoir élaboré en 2010 un modèle théorique de lotissement vertical à mi-chemin entre l’immeuble et le pavillon urbain. Cette idée s’incarne dans le projet des Hauts Plateaux, à Bègles, dont la première phase a été livrée en 2015. L’objectif de cette réalisation inédite ? Concilier les qualités du logement individuel avec celles du collectif en créant une structure en béton minimaliste prenant la forme de plateaux superposés sur lesquels chaque propriétaire invente son habitat. Les services peuvent ainsi être mutualisés, comme ils le sont dans un immeuble, l’empreinte au sol des logements est drastiquement réduite, et les habitant ont néanmoins la liberté de construire leur propre logement selon leur souhait.
Les « Hauts Plateaux » s’inscrivent à ce titre dans l’idée développée par Christophe Hutin dans un entretien accordé à la revue ‘A’A’, selon laquelle « l’architecture doit être au service de quelque chose. Elle n’est pas une fin en soi ». « On fait des bâtiments magnifiques, qui valent très chers, et dans lesquels il ne se passe rien. C’est cela qu’il faut juger. Ce n’est pas l’esthétique. L’architecture doit questionner l’humain, le social, l’écologie… » conclut-il à cette occasion.
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