J’ai tenu à être à Chartres aujourd’hui, devant ce joyau de notre patrimoine
inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979 afin de saluer l’un
des grands chantiers de restauration engagés dans cette région dont on se
plaît à dire qu’elle est le « jardin de la France » et dont chacun connaît ici
la richesse, la qualité et le rayonnement international du patrimoine.
Chantier exemplaire dans la mesure où il a bénéficié d’un soutien affirmé
de l’Etat, à travers le Contrat de projet Etat-région mais aussi les
engagements du ministère de la Culture et de la Communication – à
hauteur de 5 millions d’euros pour les 2 premières phases de travaux -
des Fonds européens, des collectivités territoriales, mais aussi, je tiens à la
signaler, d’actions de mécénats réguliers. Je tiens à rendre hommage aux
Amis de la cathédrale de Chartres, à Chartres, sanctuaire du monde, à la
fondation GDF-Suez, à la Fondation du Crédit agricole pays de France :
sans leur concours précieux, sans leur soutien, le grand vaisseau de pierre
ne pourrait susciter l’admiration des millions de visiteurs et de pèlerins.
Chantier exemplaire aussi dans la mesure où, après la restauration des
vitraux achevée en 2003, après celle de la façade et de la rose, la
restauration du choeur et des premières travées donne à voir et à
observer à tous les visiteurs ce qu’a produit la main des hommes et des
compagnons, avec des découvertes importantes pour les historiens et les
architectes de la période médiévale, telles les roses peintes en trompe l’oeil à
l’entrée de la nef.
Le « Plan cathédrales » en région Centre ce sont 5 cathédrales – Bourges,
Chartres, Tours, Blois, Orléans, c’est un objectif de 36 millions d’euros sur
6 années, soit une moyenne de 6 millions d’euros par an, au lieu de 3
précédemment. Derrière ces chantiers, il y a des femmes et des hommes,
il y a des entreprises de restauration, il y a un tissu économique. Car ne
l’oublions pas, investir dans le patrimoine, c’est non seulement transmettre
un héritage, un paysage, c’est aussi renforcer l’attractivité touristique et
développer l’emploi culturel. Bénéficiant des crédits du Plan de relance en
2009 et 2010, 44 cathédrales de l’Etat ont bénéficié de travaux d’entretien
et de restauration – sur un total de 87 cathédrales appartenant à l’Etat.
Clochetons de la cathédrale de Rouen, transepts des cathédrales
d’Amiens et de Beauvais, tour et clocher de la cathédrale de Nevers,
vitraux des cathédrales de Poitiers et de La Rochelle, ces chantiers
dessinent un vaste continent de pierres et disent l’immensité de la tâche.
Le patrimoine religieux représente en effet 30% des monuments protégés
et 48% des crédits réservés aux monuments historiques lui ont été
consacrés. Engagée par Alexandre Lenoir face au vandalisme
révolutionnaire, poursuivie par les inspections de Prosper Mérimée à
travers la France et avec la création de l’Inventaire général en 1964 –
auquel on se doit d’associer le nom du grand historien de l’art André
Chastel, la politique du patrimoine est dépositaire d’une longue filiation,
étroitement associée à l’histoire de l’Etat. Elle est aussi, on ne doit pas
l’oublier, le reflet de la « mosaïque France », elle est l’expression de la
diversité de la société française d’aujourd’hui. Je tiens à dire l’importance
que mon ministère attache à la diversité des patrimoines religieux, à cette
diversité qui est le socle même d’une laïcité bien comprise, une « laïcité
d’intelligence » et non une « laïcité d’indifférence » pour reprendre la
distinction établie par Régis Debray.
Ainsi, les églises protestantes de saint Pierre le Jeune et Sainte Aurélie à
Strasbourg ont-elles bénéficié de subventions de mon ministère à hauteur
de 40% en 2011 ; ainsi les synagogues de Mulhouse et de Bordeaux
bénéficient-elles de subventions afin d’en restaurer les bâtiments ; ainsi la
grande mosquée de Paris a-t-elle bénéficié de 1,42 million de subventions
en plusieurs tranches afin de restaurer ces espaces. Il faut dire et rappeler
que le patrimoine religieux n'est pas protégé au titre des monuments
historiques pour son caractère religieux mais pour son intérêt historique,
artistique, architectural ou technique. Selon les critères du Code du
patrimoine, tout le patrimoine religieux quelle que soit son origine – églises,
cathédrales, mosquées, synagogues et temples bouddhistes, etc. – peut
être protégé au titre des monuments historiques.
Restaurer le patrimoine des édifices religieux, ce n’est donc pas
simplement donner aux fidèles de tous les cultes les conditions
d’expression de leur foi, c’est aussi préserver l’empreinte de l’histoire et du
temps, c’est faire se rencontrer le collectif et l’intime, en d’autres termes
c’est construire les conditions d’un patrimoine commun, d’un patrimoine
mieux partagé.
Mais il n’est de patrimoine vivant sans un usage partagé et diffusé ;
Certains monuments d'origine cultuelle bénéficient d'une affectation
culturelle qui permet d'en assurer leur pérennité. C'est ainsi que le couvent
des Bernardins à Paris, propriété de l'association diocésaine, a été
complètement restauré entre 2004 et 2008 (montant des travaux : 16,64
millions d’euros) avec l'aide de l'État (40% de subvention) pour le
transformer en centre culturel. De même, l'abbaye de Fontevraud en Paysde-
la-Loire, propriété de l'État, fait l'objet d'une convention avec le conseil
régional qui assure sa mise en valeur, sa promotion et l'animation
culturelle. L’État continue chaque année d'y mener les travaux de
restauration.
La question de l'usage des édifices se pose particulièrement en zone
rurale où, bien souvent, les églises sont sauvegardées avec l’appui
d’associations et de bénévoles. Elles sont un repère mémoriel, un
marqueur de l'identité de la commune, au-delà de leur usage cultuel
parfois devenu très ponctuel. L'entretien parfois insuffisant, le
regroupement des paroisses peuvent rendre très précaire la conservation
des édifices en zone rurale alors que beaucoup d'entre-eux, au-delà de
l'intérêt architectural recèlent des trésors artistiques. J’ai sensibilisé mes
services à cette dimension et j’ai souhaité qu’une attention particulière à
ces chapelles oubliées, à ces temples du « désert » qui disent l’histoire
autant qu’ils façonnent le paysage mais aussi la toponymie. Je pense aux
pays de bocage, aux écarts, aux hameaux de montagne. A cet égard, pour
la préservation du patrimoine rural, je veux saluer l’action résolue, aux
côtés de l’Etat, de la Fondation du Patrimoine, de l’association Sauvegarde
de l’art français, de l’Observatoire du patrimoine religieux. Traduction de
cette attention, j’annoncerai dans les jours qui viennent la nouvelle
composition de la Commission du patrimoine cultuel qui doit tant à
l’engagement de Dominique Ponnau et de Bruno Foucart Son rôle de
veille, de recherche et de proposition n’est plus à démontrer. J’ai décidé
d’en confier la présidence au directeur de l’Ecole nationale des chartes,
spécialiste de l’architecture religieuse du XIXe siècle, Monsieur Jean-
Michel Leniaud, la vice-présidence revenant à Mgr Joseph Doré, ancien
archevêque de Strasbourg.
Le monument s’inscrit en effet dans un héritage parfois pluriséculaire, il
s’inscrit aussi dans un paysage. Il serait excessif de parler de disparition
de la notion même de « monument historique », inscrite dans le Code du
Patrimoine et cardinale dans nos politiques de protection et de
sauvegarde. Les Services territoriaux de l’architecture et du patrimoine
(STAP) sont bien souvent le premier point d'entrée des citoyens, des élus
locaux vers la législation du patrimoine, qu'ils la subissent comme une
contrainte ou qu'ils en attendent, inversement, appui et protection. Dans
les deux cas leur action est déterminante, dans le premier pour expliquer
et faire accepter la règle, en contribuant à façonner le regard et la
sensibilité de votre interlocuteur aux enjeux du patrimoine, dans le
second, pour ne pas décevoir l'attente du public qui attend votre appui et
celui de l'Etat pour préserver un cadre de vie singulier ou un paysage
particulier. Face à la démagogie de certains acteurs, ils doivent être les
porteurs d’une pédagogie.
La notion de « monument historique », chacun le comprend, entre dans un
contexte plus large et plus vaste : celui des secteurs sauvegardés – créés
à l’initiative d’André Malraux en 1962, dont nous fêtons cette année le 50e
anniversaire - celui des Aires de valorisation de l’architecture et du
patrimoine (AVAP), celui des pays d’art et d’histoire, label décerné par mon
ministère permettant de valoriser l’action des villes et des pays en faveur
de l’architecture et du patrimoine. Un monument n’est jamais isolé, il est
inscrit dans un paysage, dans un tissu urbain, dans une « culture
sensible » comme le dit l’historien Alain Corbin lorsqu’il parle des cloches.
L’étalement urbain, les vides et les pleins dans l’espace urbain, les entrées
d’agglomération, l’enjeu des équipements éoliens – qui culminent à plus de
100 mètres de hauteur – dans les zones protégées, notamment au regard
de nos engagements internationaux vis-à-vis de l’UNESCO interrogent
notre politique du patrimoine et du paysage au XXIe siècle. Si je considère
nécessaire une approche culturelle du paysage comme héritage, comme
bien commun, comme creuset de civilisation à transmettre, je ne suis pas
institutionnellement, vous le savez, le ministre en charge des paysages. Et
pourtant on me perçoit comme tel et je considère avoir dans ce domaine, si
ce n'est une vraie responsabilité, du moins mon mot à dire. Sur les
éoliennes, dont les autorisations ne relèvent pas de ma compétence, je
considère que j'ai un message clair à faire entendre en matière de
préservation de la qualité paysagère. Je me suis exprimé en ce sens
devant les préfets réunis il y a quelques semaines et à l’occasion d’un
récent Conseil des ministres. Je souhaite que la notion d'aire d'influence
paysagère, élaborée par l'UNESCO, soit intégrée dans notre réflexion sur
l'implantation des parcs éoliens ou tout autre grand équipement,
notamment dans le cadre de la saisine des Commissions régionales des
paysages et des sites (CRPS).
En conclusion, je tiens à rappeler et souligner l’effort qui a été conduit par
le gouvernement dans le domaine des monuments historiques. Au total les
crédits destinés à la restauration des monuments historiques sont passés
de 294 millions d’euros (Loi de finances initiale 2007) à 370 millions
d’euros (Loi de finances initiale 2012), soit une progression de 25%, en
cohérence avec l’engagement du Président de la République de porter
l’effort en faveur de notre patrimoine à hauteur de 4 milliards sur 10 ans.
De même je tiens aussi à souligner qu’environ 15% des budgets de nos
services en région sont consacrés aux travaux d’entretien des monuments
historiques : en d’autres termes à la prévention plutôt qu’à la sauvegarde.
C’est là l’un des enjeux essentiels sur lequel nos connaissances et nos
expertises, notamment ceux des laboratoires de recherche (LRMH de
Champs sur Marne) et des écoles de formation (INP, Ecole du Louvre)
sont grandes et reconnues internationalement. Des pays dont le patrimoine
a été dévasté du fait des guerres et des catastrophes naturelles, à l’image
d’Haïti ou de l’Italie (tremblement de terre de L’Aquila), ont trouvé auprès
des experts du patrimoine de notre pays des partenaires attentifs.
Conserver et restaurer le patrimoine, c’est aussi le redécouvrir, c’est aussi
susciter la curiosité, l’envie de voir, de connaître, de comprendre. C’est ce
qui m’a conduit à choisir pour la prochaine édition des Journées
européennes du patrimoine, qui rassemble chaque année plus de 16
millions de visiteurs, le thème des Patrimoines cachés, trésors enfouis et
masqués à la vue, catacombes, caves, clochers et chemins de rondes si
proches du ciel, collections d’objets rares, blockhaus et caches de la
Résistance, dans ce département dont Jean Moulin fut le préfet. Révéler
un patrimoine englouti n’est pas seulement une tâche attrayante pour les
jeunes aviateurs et pour les fouilleurs, c’est aussi souvent un moyen
d’aider à résoudre convenablement des enjeux d’aménagement dans
l’espace rural mais aussi dans l’espace urbain. Préserver et valoriser le
patrimoine, c’est parfois lutter contre l’usage, c'est-à-dire le passage de la
vie, l’usure du temps, le risque même de l’existence. Usage dont Ludovic
Vitet, le correspondant de Mérimée dit en 1867 qu’il est « un genre de
vandalisme lent, insensible, inaperçu, qui ruine et détériore autant qu’une
brutale dévastation ».
Le patrimoine, j’en suis convaincu, est un outil pour l’aménagement de nos
territoires, il est un atout pour leur attractivité et leur rayonnement, il permet
de « faire société » en reliant le passé à l’avenir, échappant ainsi à ce
« présentisme permanent » dont François Hartog nous dit qu’il mine nos
société et notre capacité à faire société, à vivre ensemble. C’est pour cela
que je souhaitais aujourd’hui rendre un hommage appuyé aux acteurs
engagés du patrimoine, aux métiers du patrimoine, aux institutions
investies dans cet immense chantier, ici à Chartres, là où il y a plus de sept
siècles des bâtisseurs entreprirent d’édifier ce livre de pierres qui nous a
été légué et qu’il nous revient de transmettre. Je vous remercie.