La Paramount avait raison : cette femme si lumineuse et qui a tous les talents semble bien être « née sous le signe de la chance ». Et la France aujourd’hui a la chance de vous accueillir, en vous rendant hommage à la Cinémathèque française, juste après le Festival de Deauville qui, sous le présidence d’Olivier Assayas, vous a célébrée hier en projetant ces films qui ont à jamais attrapé notre cœur : La garçonnière, Le tournant de la vie, Bienvenue Mister Chance, Irma la Douce….
Shirley MacLaine, la femme aux mille visages, c’est la comédienne dont le talent a traversé déjà 50 ans de cinéma et près de 70 films. Héritière spirituelle d’Harry Langdon et des Marx Brothers, le regard de Shirley vous transperce par la puissance de sa féminité bien sûr, mais aussi par sa précision et son intelligence toujours brûlante, par son irrésistible autodérision et son appétit pour la vie des personnages qu’elle incarne.
Propulsée dès votre premier rôle parmi les étoiles du cinéma grâce au personnage de criminelle farfelue qu’Alfred Hitchcock vous offre dans Mais qui a tué Harry ?, votre carrière, dès lors, croise les chemins des réalisateurs et des acteurs les plus talentueux, comme Dean Martin, Jerry Lewis, Clint Eastwood, Jack Lemmon, Jack Nicholson, Nicolas Cage….
Derrière le talent, chère Shirley, on trouve vos impitoyables exigences en termes de travail : pour vous plaire, une bonne journée doit compter « trois heures pour les repas, une heure et demie pour l’amour, cinq heures de sommeil et le reste de boulot ».
Selon vos critères, « une bonne comédienne doit avoir tous les talents » ; alors vous vous êtes épuisée sur les planches et à la barre pour danser, et vous avez appris le chant avec la même rigueur, pour le plus grand bonheur de vos admirateurs. Je pense bien sûr au cancan effréné de Pistache ; à votre show de séduction moqueur et irrésistible en maillot de bain citron pour séduire Jerry Lewis dans Artistes et modèles ; ou encore votre dernier passage au Casino de Paris, en 1995, où vous avez subjugué et envoûté le public dès votre entrée sur scène.
Vous êtes de cette génération d’actrices américaines où le corps, la voix, le geste et le regard se fondent dans un ensemble qui vous fait dire parfois : « je suis une espèce en voie de disparition ». Cette alliance unique du charme et de la justesse sera récompensée d’un Oscar – après deux nominations -, de deux Ours d’Argent à Berlin, et d’un Ours d’or pour l’ensemble de votre carrière.
Shirley MacLaine, c’est aussi celle qui, pour les femmes, a incarné le visage d’une modernité à conquérir. Une femme de son époque, qui grandit à chaque film, en proie à toutes les batailles de sa génération. Une femme politique, sûrement, et militante pour des droits pour lesquels il fallait et il faut encore combattre. Exit la complaisance dans le glamour de rigueur de la comédienne hollywoodienne ; place aux femmes insoumises, qui s’imposent et savent dire non, aux femmes qui s’assument. On rapporte que vous « aime[z] séduire, dominer, commander, [vous] taire aussi » : à la donna mobile, vous donnez toute la profondeur et le choix des armes.
Dans votre documentaire nominé aux Oscars que vous réalisez en Chine en 1974, The Other Half of the Sky : a China Memoir, vous croisez toujours la question du regard de l’autre avec celui des femmes. Dans La Rumeur, aux côtés d’Audrey Hepburn, vous portez à l’écran, dans l’intérieur d’un pensionnat pour fille, un message farouche de libération. « Sur scène, ma politique, ce sont les personnages que je défends ; ces ‘paumés’ que je prends en charge pour les faire aimer du public ». Avec votre fameuse coupe garçonne et votre regard mutin, vous signez chacun de vos personnages d’un anticonformisme qui rayonne autant sur les hommes que sur les femmes.
Shirley MacLaine, c’est aussi celle dont la réputation de pitre remonte à ses deux ans et demi, quand elle commence à prendre des cours de danse pour corriger son habitude de petit clown à marcher comme un canard. C’est l’actrice qui, dans l’exercice obligé des interviews sur les sujets les plus divers, ne s’est jamais départie de sa capacité à la dérision - à l’auto-dérision aussi, qui chez vous n’empêche pas l’identification totale à vos personnages, avec la lucidité de celle qui se veut une éternelle étudiante de la vie ; de l’espiègle liftière dont l’inoubliable Jack Lemmon, surnommé « Brin d’amour », tombe amoureux dans la Garçonnière de Billy Wilder.
Depuis lors, c’est toujours votre appétit unique pour la vie allié à votre volonté de faire partie du monde qui séduit, par son piquant mélange de rigueur et de chaleur humaine, les spectateurs du monde entier, à chacune de vos apparitions sur l’écran noir de nos vies en images.
Chère Shirley MacLaine, nous vous conférons les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur.