Si le thème de cette 14e édition des « Rendez-vous aux jardins » ne reflète guère, en ce moment, les couleurs du ciel, il n’en brillera que davantage à travers les 2300 parcs et jardins ouverts au public les 3, 4 et 5 juin. En témoigne « Stockage », une saisissante scénographie florale dans la cour d’honneur de l’Hôtel de Soubise - siège parisien des Archives nationales. Entretien avec l’artiste franco-brésilienne Luzia Simons.
Comment votre œuvre a-t-elle rencontré les Archives nationales pour ces Rendez-vous aux jardins ?
C’est un long chemin. Il commence avec ma découverte éblouie du jardin des Tuileries, puis du jardin des Archives nationales. C’est un jardin beau comme un jardin à la française, bien réglé, avec au milieu des couleurs différentes selon les saisons, qui lui apportent une petite touche anglaise. Ce jardin dialogue avec l’Hôtel de Soubise, une œuvre d’architecture sublime avec ses colonnades qui évoquent la basilique Saint-Pierre de Rome du Bernin. Précisément, ces colonnades avec leurs hautes niches m’ont paru un cadre idéal pour abriter huit des tableaux de ma série Stockage.
Stockage, cette série de fleurs au titre qui renvoie au concept des archives existait donc avant son accrochage à l’Hôtel de Soubise...
Très longtemps avant ! C’est en 1996, au moment de l’éruption du volcan du Mont Unzen au Japon, qu’est née pour la première fois cette envie de fleurs – et en même temps ma technique de travail avec un grand scanner. Je devais exposer au Japon. Ma réflexion sur le rythme et la nature vient de ce choc devant la force de la nature. Cette série était, depuis, restée dans mes archives personnelles, et attendait l’occasion d’en sortir. Les huit tableaux que j’ai choisis ont une relation rythmique entre eux, exactement comme les colonnades de l’Hôtel de Soubise qui sont loin d’être sagement alignées. Même si cela ne se voit pas à l’œil, chaque niche a des dimensions différentes. Il peut y avoir jusqu’à un mètre de différence ! Cela a entraîné certaines difficultés techniques dans la fabrication des bâches préalables à l’accrochage.
En quoi vos « tableaux »de fleurs « scannerisées » font-elles écho aux Archives nationales ?
Il y a ce dialogue avec l’architecture : les colonnes qui dansent et également, sur leurs chapiteaux, des motifs floraux qui font exploser mes fleurs, comme si elles étaient heureuses de cette proximité. Mais il y a aussi les couleurs. Les couleurs du temps, qui décolore aussi bien les végétaux que les documents d’archives. En visitant les Grands Dépôts d’archives, mon émotion a été énorme de voir les changements de ton qu’avaient subis les cuirs de l’époque Philippe Auguste : il y avait du vert, du turquoise, du mauve… C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de montrer l’autre côté de la beauté : les fleurs qui fanent, partent doucement, mais gardent encore de la vie. Les compositions florales que j’expose en ce moment au Domaine de Chaumont-sur-Loire – autre lieu emblématique de l’art des jardins en France – montrent le côté luxueux de la floraison, parfait contraire des fleurs enchevêtrées, éparses, avec leurs pétales décrochés, flétris et quand même pleins de couleurs.
De quoi parlent vos autres séries ?
J’ai commencé très jeune à me déplacer à travers le Brésil – c’est un continent en soi – avant de partir à l’étranger. Je parle beaucoup de ces déplacements, de l’identité, des perpétuels rappels que l’administration adresse gentiment aux étrangers. Dans ma série biographique « Transit », qui utilise des scannogrammes de documents, j’ai travaillé l’ornement et les arabesques administratives. Les papiers de naturalisation sont d’ailleurs gardés à Fontainebleau Une autre série me tient à cœur, celle que j’ai réalisée dans la forêt de l’Amazonie. Cette forêt disparaît si vite, qu’on n’a pas le temps de savoir tout ce qu’il s’y passe. J’ai été choquée de voir l’état de l’herbier. Cette réserve entièrement verte est pourtant le poumon de notre planète. Les plantes jettent leurs graines à trois cents mètres, les fleurs ne poussent qu’au sommet d’arbres hauts de quarante mètres. Les Européens n’ont pas la contemplation de la Forêt qui existe au Brésil, par exemple. Là-bas – comme en Allemagne – la forêt est sacrée.
Selon vous, une opération telle que « Rendez-vous aux jardins » peut-elle participer au sauvetage de notre biodiversité ?
Une telle opération est très importante, très urgente. Notre vie numérique coupée de la réalité du monde peut nous amener une catastrophe naturelle. Les jardins sont sublimes. Le début du mois de juin est le moment où l’on peut avoir des légumes et des fleurs. Tout ce qui a un rapport à ce qui vit et grandit me ravit, me touche. Je souffre chaque fois qu’on rase des forêts peuplées d’espèces endémiques pour installer du haut débit, ou pour construire des fermes d’élevage intensif.
Participez à la 14e édition des rendez-vous aux jardins
Des conférences sur les couleurs du jardin
À l’arboretum du domaine départemental de la Vallée-aux-Loups (Châtenay-Malabry, 92), venez découvrir de manière ludique la théorie et la pratique de la mise en couleur des jardins.Thibault Garnier-Boudier, paysagiste, proposera une conférence intitulée « Jouer avec les couleurs ».
Pour une approche plus scientifique, rendez-vous aux jardins de Brogieux (Roiffieux, 07) où vous pourrez acquérir quelques notions fondamentales sur la lumière et la perception des couleurs.
Nathalie Pintus, historienne de l’art, présentera la couleur dans l’art des jardins au Pavillon des arts de Trévoux (01).Une conférence sur la couleur garance aura également lieu au au jardin botanique EM Heckel(Marseille, 13).
Découvrez la teinture végétale
De la garance des teinturiers au citron, en passant par les pétales de roses, les couleurs que nous offrent les jardins peuvent se transposer sur papier ou tissu. Percez les secrets des plantes tinctoriales en participant à des ateliers au jardin du musée-atelier du feutre (Mouzon, 08) et au parc de la Tête d’or (Lyon, 69). Vous pourrez aussi confectionner des cartes végétales au jardin Camifolia (Chemillé-en-Anjou, 49) et apprendre à dessiner sans feutre ni peinture au Conservatoire national des plantes de Milly-la-Forêt (91).
En famille
Au Parc Rivière de Bordeaux (33), les enfants pourront participer à un grand jeu de piste sur les couleurs de l’arc-en-ciel ainsi qu’à de nombreuses autres animations : découverte des plantes vivaces et aromatiques, initiation à l’aquarelle, atelier graffiti, observation d’une ruche…
Chacun fera appel à son imagination au parc de l’abbaye de Jumièges (76) grâce à un atelier land art animé par l’association Ludokiosque. Des ateliers-découvertes sur les couleurs du jardin attendent les jeunes visiteurs aux jardins de la Tour (Castellane, 04), aux jardins du château du Touvet (38) ou encore au jardin de l'abbaye du Relec (29).
Les jardiniers vous révèlent leurs secrets
Jardiniers et propriétaires accueilleront les visiteurs et leur proposeront des promenades commentées dans les jardins labellisés Jardin remarquable.
Déambulez dans le jardin des Prés-Fichaux de Bourges (18) avec un guide-conférencier pour en apprendre davantage sur ce jardin public d’inspiration Art déco. Au domaine de Lacroix-Laval (Marcy-l'Étoile, 69), les jardiniers vous présenteront des variétés anciennes de fleurs ainsi que des fruits et légumes typiquement lyonnais. À Vezac (24), visitez les jardins de Marqueyssac qui offrent plus de 6 kilomètres de promenade ombragée par 150 000 buis. Les jardiniers vous dévoileront leurs méthodes pour les entretenir quotidiennement à la main.