Bâtiment-œuvre unique en son genre, le Centre architectonique imaginé en 1973 à Aix-en-Provence par Victor Vasarely, artiste phare de l'art optique, vient de recevoir l'appellation « Musée de France ».

Le portrait iconique du président Pompidou situé à l'entrée du Centre Pompidou, à Paris, c'est lui. Mais sait-on que Victor Vasarely (1906-1997), le chef de file de l'Op' Art, l'un des mouvements artistiques les plus marquants des années 1970, est également l'auteur d'une œuvre prolifique et complexe, dont le Centre architectonique, ce bâtiment-œuvre, unique en son genre, inauguré à Aix-en-Provence en 1976, est la clé de voûte ?

Après une longue éclipse, son œuvre, aux résonances multiples, bénéficie aujourd'hui d'un regain d'intérêt, concrétisé par l'attribution par le ministère de la Culture de l'appellation « Musée de France » au Centre architectonique d'Aix-en-Provence (ainsi qu'à deux autres établissements : le musée Narbo Via, à Narbonne, et le musée Daubigny, à Auvers-sur-Oise). Ce lieu devient ainsi le 121e établissement soutenu par la direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d'Azur à recevoir ce label. Président de la fondation Vasarely depuis 2009, Pierre Vasarely, unique petit-fils et légataire universel de l’artiste, revient sur le nouvel élan qu'il entend donner à ce site exceptionnel, acteur culturel important de la région.

Pierre Vasarely, en quoi l’appellation « Musée de France », attribuée par le ministère de la Culture, va-t-elle donner un nouvel élan à votre fondation ?

Cette consécration est une étape majeure pour notre institution. Nous sommes fiers de recevoir ce gage de reconnaissance, qui récompense tous les efforts et le travail rigoureux accomplis depuis 2009 sur tous les plans : humain, scientifique, artistique et culturel.

Elle va nous permettre de faire rayonner davantage l’œuvre de Victor Vasarely, en développant notre programmation dans le Centre architectonique, mais aussi en dehors de ses murs. Nous bénéficierons de la part de l’État, d’un conseil, d’une expertise et de moyens renforcés pour la conservation et la restauration des œuvres de la collection, la création de nouvelles expositions, la conception et l’organisation d’activités d’éducation artistique et culturelle, et de médiation.

L’appellation « Musée de France » nous permettra également de recevoir en dépôt les œuvres d’autres institutions. Forts de notre partenariat avec le Centre Pompidou, engagé depuis 2019, nous avons devant nous de belles perspectives pour faire toujours mieux connaître les œuvres du père de l’Op art.

 

La Fondation Vasarely a anticipé sur les nombreuses missions dévolues à un Musée de France. Elle est bien préparée à relever les enjeux qui sont les siens : non seulement la conservation, la restauration et l’exposition, mais aussi, par l’accessibilité aux œuvres et la diffusion des connaissances, le renouvellement du mouvement optico-cinétique, la fécondation de nouvelles générations de créateurs et l’enrichissement de la relation à tous les publics.

Classé monument historique, le Centre architectonique est un exemple, unique en son genre, de « bâtiment-œuvre », dont l'architecture fait partie de la collection. Quels sont les principes qui ont présidé à sa restauration ?

Dès la fin de l’année 2009, la Conservation régionale des monuments historiques nous a aidés à définir les enjeux et la méthode. Il fallait mieux comprendre les morphologies, les matériaux, leur mise en œuvre, leur résistance à l’épreuve du temps, les réseaux techniques et leurs performances, enfin les modifications de toute nature qui ont été faites au fil du temps, depuis la création de cet ensemble architectural.

 

Le principe a été d’intervenir pour une conservation maximale des espaces et des matériaux, et de procéder, dans la mesure du possible, au retour partiel à certaines dispositions initiales. Néanmoins, nous avons pris en compte aussi la nécessité d’améliorer les conditions de conservation des œuvres, ainsi que notre désir d’assurer un meilleur confort au personnel de l’établissement comme aux visiteurs eux-mêmes. Ces deux types d’exigences nous ont conduit, très tôt, à étudier et programmer la construction d’une extension.

Quant au travail sur les Intégrations monumentales, débuté en 2015, il prendra plusieurs années. Il appelle des études exigeantes sur les matériaux, les supports, leur comportement, les dispositifs de présentation et de sécurité. Cette culture technique, novatrice dans les arts plastiques des années 70, donne lieu à un véritable conservatoire des connaissances, qui intéresse le milieu artistique et scénographique, bien au-delà du Centre et de nos frontières.

Enfin, nous voulions, pour le parc, respecter l’intention première de mon grand-père, ce qui a conduit à un travail très subtil sur le paysage. Ainsi a-t-on pu intégrer, d’une manière très réussie, une glissière de sécurité périphérique, qui structure discrètement le parc.

Victor Vasarely en 1970

Depuis plusieurs années, la Fondation Vasarely mène une politique active de médiation. Quels sont vos projets pour attirer et sensibiliser de nouveaux publics ?

Nous souhaitons toucher en priorité les jeunes publics. Non seulement ils se montrent très réceptifs aux phénomènes optiques, mais aussi parce qu'ils ont une forte influence sur le public adulte. C’est grâce à eux que les familles viennent au Centre et que le site se fait de mieux en mieux connaître.

Chaque année, nous recevons plus de 10 000 visites scolaires ou péri-scolaires, soit 10 % de la fréquentation totale du site. Nos offres sont réfléchies à partir des demandes pédagogiques et éducatives de la part des établissements scolaires, des demandes artistiques et ludiques de la part des centres socio-culturels, des demandes expérimentales de la part des familles et des touristes.

L’enjeu est de permettre aux jeunes générations d’entrer dans cet univers fantastique d’interactions entre les formes et les couleurs, d’illusions d’optique, d’architecture, de structures géométriques, d’alphabet des couleurs… Les 44 œuvres monumentales, l’exposition permanente et les expositions temporaires offrent ici un champ d’expériences esthétiques magnifiques, propre à être utilisé à l’infini.

Dans le domaine du numérique, nous collaborons avec les acteurs du territoire, comme Gamerz, Hexlab, Seconde Nature, Zinc, et avec les établissements publics comme l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence et l’Universite Aix-Marseille. Dans le cadre de partenariats avec l’Ecole de la Seconde Chance, l’association pour les autistes de La Bourguette et l’Hôpital d’Aix-en-Provence, le Centre, ses espaces et ses œuvres offrent un support formidable pour y construire une aide à la formation et à la maîtrise du numérique.

Prix international de la fondation Vasarely pour les arts numériques : installations de jeunes plasticiens au Centre architectonique, 14 et 15 janvier 2021

De la cité universitaire de Caracas à la Bundesbank de Francfort, en passant par le siège de RTL à Paris ou le collège de Dole, Vasarely a conçu de nombreuses œuvres in situ. Comment entrent-elles en résonance avec le Centre architectonique ?

Le Centre architectonique est le couronnement de l’œuvre de Victor Vasarely. Il abrite sa conception d’un art pour tous, sous la forme d’un véritable kaléidoscope d’œuvres construites à partir de prototypes d’atelier : ce sont les quarante-quatre Intégrations monumentales. Ces dernières ont été réalisées grâce à l’architecte Claude Pradel-Lebar, qui était en charge de la coordination des nombreuses équipes d’artisans sur le site. Il faisait le lien entre Victor Vasarely et des entreprises à la pointe de la technologie de l’époque. Il y avait, pour les mosaïques, les émaux de Briare ; pour les carreaux de céramique, la Manufacture Royale de Delft ; pour les savonneries, les Gobelins ; pour les tapisseries, la Manufacture Pinton d’Aubusson ; pour les verres, Saint-Gobain ; pour les cartons sérigraphiés, l’Atelier Arcay ; pour l’aluminium anodisé, l’Atelier Silium.

Ces œuvres avaient vocation à embellir des habitations individuelles et collectives. Victor Vasarely a écrit : « Notre objectif ne peut être que l’esthétique. Nous pourrons essayer d’influencer, par nos exemples, tous ceux qui ont un rôle à jouer dans les constructions à venir. »

C’est pourquoi, dans le même esprit, l’œuvre de Vasarely s’est étendue à une centaine d’Intégrations, cette fois, architecturales, dans divers lieux du monde, depuis la cité universitaire de Caracas, en 1954, jusqu’à la sculpture polychrome de la Faculté des sciences économiques d’Aix-en-Provence, en 1989.

Siège de la Bundesbank à Frankfort, 1972

Aujourd’hui, la Fondation a l'ambition de mener à bien le projet de son fondateur : devenir un centre de ressources pour l’intégration de l’art dans la cité. Ainsi met-elle ses espaces et son centre de documentation à la disposition des chercheurs, dans le cadre de colloques et de conférences. Elle compte participer plus activement à des projets, en lien avec les services de l’État, notamment la Conservation régionale des monuments historiques, mais aussi avec des laboratoires de recherches scientifiques. L’engagement de la Fondation aux côtés du Centre Pompidou donnera lieu également, nous le souhaitons, à des programmes de recherche ambitieux, comme, par exemple, recueillir le témoignage des assistants de Victor Vasarely,  Actuellement nous voudrions confier à un étudiant en thèse une recherche sur un adhésif qui permettrait de consolider les Intégrations monumentales.

Les "Intégrations monumentales" entrent dans la danse

Rouvrir le monde

Dans le cadre du programme « Rouvrir le monde » de la DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Centre architectonique Vasarely a reçu, pendant une semaine, en octobre 2020, le danseur Andres Garcia Martinez, pour un projet de création artistique en direction des visiteurs. Celui-ci revient sur son expérience.

« Dans l’art optique, nous raconte-t-il, les œuvres sont dynamiques : en les regardant, elles nous donnent le sentiment d’être en mouvement. Et lorsqu’on bouge soi-même, elles se transforment. Il me restait juste à inviter les visiteurs à sentir ces effets sur le corps tout entier.

« Danser dans cet espace unique est une chance incroyable. J’essayais d’être un trait-d'union dynamique entre le public et ces œuvres. Être à l’écoute de mes sensations et proposer un temps de danse, en invitant les visiteurs à regarder autrement les Incrustations monumentales.

« Certains visiteurs venaient commenter ma performance. C’était de beaux moments de partage d’émotions. Avec d’autres, sans insister, on se trouvait dans le même espace, ils me regardaient, ils passaient. À d’autres moments, je développais un mini-spectacle devant un mini-public. J’ai suivi les visites guidées, avec de beaux moments de conjugaison d’explications verbales et physiques.

« Les spectateurs ressentent des mouvements intérieurs sans les extérioriser. Avec les enfants, c’est plus facile, car ils n’ont pas peur de bouger. Ils ont envie de jouer, d’explorer, de découvrir toutes les possibilités que leur offre le corps. Ils ont une capacité de concentration, lorsque quelque chose les intrigue, qui est remarquable. D'ailleurs, certains m’ont suivi dans toutes les salles du musée ! »

Andres Garcia Marquez devait clore son intervention par un spectacle inspiré de cette expérience. Ce spectacle, construit à la manière d’une visite dansée, n’a pas pu se faire à cause des restrictions sanitaires. Partie remise, souhaitons-le !