Dernier volet de notre reportage sur le programme Artiste intervenant en milieu scolaire (AIMS) avec le témoignage des sept jeunes artistes issus de cinq grandes écoles d’art sur leur expérience en milieu scolaire (3/3).

Eddy Terki : "Transmettre ma passion aux élèves"

Pour transmettre un peu de mon travail et de ma passion aux enfants, j’ai travaillé avec eux sur l’écriture dans l’espace, un choix directement inspiré par ma propre pratique artistique. L’expérience a été à ce point décisive qu’elle a abouti à un travail sur la transmission présenté dans le cadre du concours de la Biennale de design graphique dont je suis cette année lauréat. Aujourd’hui, je souhaite continuer à intervenir en milieu scolaire. Ce qui m’a le plus surpris, c’était de voir à quel point en dépit de leur jeune âge – entre neuf et douze ans – les enfants pouvaient être réceptifs et prendre l’atelier à bras le corps. L’un des grands atouts de ce programme est de se dérouler pendant toute une année scolaire. En un an, on a le temps d’attaquer un chantier complexe. Le luxe, c’est d’avoir la même classe six heures par semaine pendant une année. Par ailleurs, nous avons été très bien accompagnés tout au long de l’année : en septembre, avant même de rejoindre nos établissements respectifs, nous avons suivi une formation avec des professionnels qui nous ont fait partager leur expérience en milieu scolaire. C’est une aide précieuse : on bénéficie d’un regard extérieur sur notre travail tout au long de l’année.

Diplômé de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs en 2016, Eddy Terki était en résidence à l’École PEF de Saint-Ouen-sur-Seine

 

Guillaume Hermen : "Entraîner les enfants avec notre force créatrice"

 Mon projet avec les enfants avait pour titre « Au rythme de notre environnement ». A partir des rythmes qui nous entourent dans l’école, de les écouter puis de leur associer des œuvres musicales générant les mêmes perceptions. Je m’étais fixé trois objectifs : développer une perception musicale diversifiée, développer l’expression artistique à tous les niveaux – avec la musique mais aussi le dessin, le théâtre… Une palette très large pour emmener le plus d’élèves possibles dans cette aventure d’expression artistique –, tisser des liens à tous les niveaux. J’ai très rapidement senti, y compris dès le premier contact que j’ai eu avec eux, un enthousiasme très fort qui semblait faire écho à une nécessité : celle de chanter, de s’exprimer. Pendant l’année, j’ai été très surpris par la maturité de leur expression, et même chez certains, par la soif et la puissance de travail. Pour peu que l’on y ajoute la créativité, cela donne des résultats explosifs. Je veux dorénavant pouvoir me consacrer à des projets unifiés, où il y ait à la fois un potentiel de création et de médiation. Si on réussit à partager généreusement avec les enfants l’exigence que l’on a sur nos propres projets, alors on les entraîne avec notre force créative et eux en retour nous apportent énormément dans le processus de création.

Diplômé du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris en 2016, Guillaume Hermen était en résidence à l’École Anatole France de Saint-Ouen-sur-Seine

Ulysse Bordarias : "Donner aux enfants des outils pour qu’ils deviennent indépendants"

J’ai commencé par organiser des ateliers découverte, où les arts plastiques étaient tour à tour envisagés sous l’angle du récit, de l’image du corps, de la rêverie… J’ai ensuite proposé aux élèves de réaliser un travail personnel. Le résultat, qui était assez éclectique, m’a donné l’envie de rassembler les travaux. Comme l’atelier de costume leur avait beaucoup plu et que je savais qu’ils aimaient la peinture, je leur ai proposé de faire des tableaux-costumes et des tableaux-décor en reprenant les images qu’ils avaient produites dans les ateliers. Le but étant de faire leur portrait à leur manière. Enfin, je leur ai proposé un pas supplémentaire, qui consistait à inventer des petites chorégraphies qui ont été filmées. Au départ, j’étais parti avec l’idée de les faire travailler autour de la biographie et, finalement, en regardant ce dont ils avaient envie, le projet a changé de nature. Si les costumes et les décors ont si bien marché, c’est parce que l’idée est venue de la classe. Le but de la résidence est de donner aux élèves des outils pour qu’ils deviennent indépendants. En regardant leurs travaux, je me suis rendu compte que je retrouvais quelque chose de moi. Cette observation m’a permis de faire le point sur mon travail, sur l’omniprésence de l’image du corps et de sa transformation notamment. Plus que jamais, j’ai envie d’explorer cette voie.

Diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2014, Ulysse Bordarias était en résidence à l’école Paul Langevin de Saint-Ouen-sur-Seine

 

Geoffrey Rouge-Carrassat : "Créer un spectacle sur tout ce que je n’ai pas pu dire aux élèves"

Je suis arrivé au collège Césaria Evora avec l’intention de permettre aux élèves de s’étonner d’eux-mêmes. Sauf que créer une sorte de laboratoire où l’on s’étonne de tout, de nous, de nos voix, de nos corps, n’amène pas spécialement à la pratique théâtrale. Je leur ai donc donné des outils pour jouer. Puis, nous sommes partis tous ensemble en forêt où nous nous sommes organisés pour vivre dans une cabane. On a créé un spectacle sur cette organisation avec les rapports de pouvoir qui se mettaient en place, un peu sur le modèle du roman de William Golding, Sa majesté des mouches. On a totalement écrit le spectacle à partir de ce qu’ils avaient inventés autour de cette cabane. Ce qui m’a le plus surpris c’est de voir à quel point on peut se faire peur. Mais une fois que l’on accepte sa peur, qu’elle n’est pas un obstacle à la rencontre, on commence à s’aimer. Aujourd’hui, cette expérience est devenue une source d’inspiration. L’année prochaine, j’ai l’intention de créer un spectacle sur tout ce que je n’ai pas pu dire aux élèves, tout ce qui fait qu’en raison du contexte, de ma pudeur, de la leur, je n’ai pas pu leur dire tout ce que j’avais à leur dire.

Diplômé du Conservatoire national supérieur d’Art Dramatique en 2016, Geoffrey Rouge-Carrassat était en résidence au Collège Césaria Evora de Montreuil

Coline Cuni : "Comment transmettre aux élèves un travail abstrait ?"

J’ai un travail de sculpture, d’installation et de performance, plutôt non figuratif, en tout cas non narratif. Je me suis intéressée à la façon dont je pouvais transmettre aux enfants ce travail plastique plutôt abstrait, aux mots qu’on allait utiliser à la place des notions traditionnelles de représentation et de figuration. On a essayé de prendre des chemins de traverse pour arriver à un rapport très sensible aux matières, à la sculpture, aux gestes. On est obligé de rendre des choses plus simples, élémentaires, pour arriver à les transmettre. En début d’année, on a beaucoup travaillé autour du geste et des matières premières, puis on s’est concentré sur les relations entre les formes dans l’espace. Ce qui m’a le plus surpris chez certains enfants, ce sont des attitudes que l’on peut retrouver chez certains artistes : regarder son travail, prendre du recul, réfléchir, s’y remettre. Je ne m’attendais pas à une observation attentive à ce point, même s’il y a eu de l’autre côté un plaisir de la matière, de l’expression. Je sentais des sensibilités qui se dessinaient. Mon projet dans l’enseignement supérieur est installé depuis un certain nombre d’années : j’ai commencé à enseigner pendant mes études secondaires, je vais poursuivre dans cette voix plus convaincue que jamais. J’ai compris que si j’étais capable d’enseigner à des enfants, j’allais être capable d’enseigner à des gens plus âgés. Je pensais que ça allait être une année à côté et finalement elle est complémentaire.

Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2013, Coline Cuni était en résidence à l’École Daniel Renoult de Montreuil

 

Cécile Paysant : "Les élèves arrivent à faire des choses avec rien !"

Je fais du cinéma d’animation et je viens de la section décor de la Fémis. J’ai travaillé sur ces deux aspects dans ma pratique avec les élèves. J’ai tout de suite voulu qu’ils manipulent différents matériaux, qu’ils s’approprient les principes de l’animation avant de décider ce qu’ils allaient faire. On a réalisé énormément de formes très courtes où ils travaillaient avec de la laine, du papier découpé, de la pâte à modeler, du volume, et utilisaient le banc-titre. Ils ont essayé d’animer à différentes vitesses et ils ont maîtrisé le logiciel. Je n’ai pas travaillé avec une seule classe mais avec beaucoup d’élèves sur des périodes plus ou moins longues, notamment un groupe d’élèves en décrochage scolaire. Tout au long de l’année, j’ai bénéficié d’un accompagnement exceptionnel de la part de l’équipe pédagogique. Ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est le changement dans l’attitude de certains élèves au cours de l’année. Certains sont devenus très moteurs et productifs. J’ai aussi réalisé à quel point raconter une histoire peut aussi être renforcé par le fait d’être dans une économie de moyens. Ils arrivent à faire des choses avec rien ! Dans les films que j’ai réalisés, ce qui me plaisait, c’était d’arriver à quelque chose de très fini. Dans le cadre de l’atelier, c’était impossible de parvenir à ce résultat. D’où mon choix de faire un kaléidoscope de mini-films avec énormément de techniques différentes. Les élèves ont compris que la minutie dont ils font preuve et le travail qu’ils fournissent les conduit vers un résultat à la hauteur de leurs espérances.

Diplômée de la Fémis en 2016, Cécile Paysant était en résidence au Collège Césaria Evora de Montreuil

 

Au début de l’année, je leur ai proposé qu’on invente une île inspirée de l’Ile mystérieuse de Jules Verne. La première séance a consisté à construire et à jouer avec une immense montgolfière. Ensuite, afin d’imaginer l’environnement de cette île, est venue une étape d’observation de la nature, du végétal, des feuilles, prétexte qui nous a permis d’explorer les couleurs, les matériaux. Une fois que tout cela était en place, les enfants ont inventé leur espace végétal, ce qui a donné des arbres à football, à bonbons… J’ai accepté au fur et à mesure de l’année qu’il y ait un écart par rapport à la proposition initiale. Au départ, on a réalisé des choses dans lesquelles j’étais encore très présent. Ensuite, j’ai su accepter que les élèves « prennent le pouvoir ». Cela du reste faisait écho à ma propre pratique où je travaille beaucoup avec l’aléatoire, l’expérience des matériaux. Par exemple, une tortue n’est pas finie car ils se sont lassés de la peindre. Ce n’est pas grave, car ces objets ont une poésie. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils aillent si vite, à ce qu’ils aient un rapport aussi immédiat aux choses. Notre travail a aussi consisté à faire en sorte d’accepter les ratures. Je leur ai montré le travail de Jackson Pollock. Ils ont bien compris que c’était quelqu’un qui travaillait avec son corps à l’échelle de l’atelier de l’espace. Ce que j’ai expérimenté cette année l’a été dans une liberté totale. Je n’ai pas envie de m’arrêter là. Je travaille par ailleurs au sein d’un collectif d’artistes. La clarté, la simplicité dans l’énonciation d’une idée sont primordiales. Je vois de plus en plus mon travail personnel comme quelque chose de collaboratif.

Diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2015, Nicolas Courgeon était en résidence à l’École Jean Lurçat de l’Île-Saint-Denis