Face aux mutations qu’ils connaissent, musées et bibliothèques partagent de nombreuses approches. Tel est le principal enseignement de l’ouvrage "Modèles économiques des musées et bibliothèques", issu d’un appel à proposition du Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture et de la Communication (la Documentation française). Compte-rendu du débat qui a eu lieu le 21 novembre, au Centre Pompidou.
« Modèles économiques des musées et bibliothèques présente un reflet troublant de notre réalité quotidienne : il réfléchit à la possibilité de rapprocher l’activité du musée de celle de la bibliothèque et, en cela, fait écho à la place qu’occupe la Bibliothèque publique d’information au sein du Centre Pompidou » : en écoutant Serge Lasvignes, son Président, on se dit que le Centre Pompidou était tout indiqué pour accueillir la matinée de présentation de cet ouvrage publié dans la collection « Musées-Monde » à la Documentation française.
Celui-ci, qui étudie « les dynamiques organisationnelles » de deux grandes catégories d’équipement culturel, « dévoile des modes de décloisonnement des institutions culturelles et de nouveaux modèles économiques de la culture qui rendent caduque l’idée d’un espace concurrentiel et actualisent l’idée de maison commune », détaille Jacqueline Eidelman, directrice de la collection « Musées-Monde ». Yann Nicolas, chargé d’études au DEPS, qui a coordonné l’ouvrage, revient sur le choix de rapprocher musées et bibliothèques. « Les deux institutions, qui à l’origine étaient hébergées sous le même toit, ont des racines historiques communes. Par ailleurs, elles conservent un fonds qu’elles enrichissent et mettent à la disposition du public. Enfin, elles disposent de ressources humaines de très grande qualification ». Partant de ce constat, l’ouvrage, qui n’omet aucun élément de contexte – qu’il soit budgétaire, lié à la décentralisation territoriale, aux contraintes environnementales, à la révolution numérique…– propose trois études, qui posent un diagnostic et tente d’identifier des modèles économiques soutenables.
Jean-Luc Godard, à qui l’on demandait de quelle manière venait une idée nouvelle, avait eu cette réponse : en étant face à deux idées en même temps. N’est-on pas en droit de penser qu’une émotion nouvelle naît de celles associées au spectacle vivant, aux musées, et aux bibliothèques du fait de leur rapprochement ?
Musées et bibliothèques : vers de nouveaux modèles économiques et de gestion ?
« Bien qu’appartenant à deux mondes différents, des points de convergence existent entre les musées et les bibliothèques », souligne, dans le droit fil de l’analyse de Yann Nicolas, François Mairesse, professeur à l’Université Sorbonne-Nouvelle. Il ajoute : « Cette donnée interpelle pour imaginer de nouveaux modèles futurs ». Au chapitre des différences entre musées et bibliothèques, les illustrations, en effet, ne manquent pas : leurs missions prioritaires – conservation pour les premiers, éducation et médiation pour les secondes – ne sont pas les mêmes, les musées mobilisent davantage d’outils de gestion que les bibliothèques, la dimension internationale est davantage développée dans les musées que dans les bibliothèques, lesquelles sont principalement des équipements de proximité.
Mais dans le même temps, dans un contexte marqué par la diminution des subventions publiques, des pistes de rapprochement se font jour : les bibliothèques organisent ainsi de plus en plus d’expositions temporaires. De même, bibliothèques et musées estiment que les publics d’internet vont augmenter dans les prochaines années. Autant de points d’accord qui font dire à Jean-Michel Tobelem, qui dirige l’organisme d’étude et de conseil « Option culture » qu’il existe « une piste dans l’optimisation de l’utilisation des moyens existants, des marges de manœuvre pouvant se faire jour dans le domaine de la gestion des ressources financières ».
Invité à réagir, Jerôme Belmon, chef du département des bibliothèques au ministère de la Culture et de la Communication, acquiesce : « les bibliothèques sont du côté du service public non lucratif tandis que les musées développent un modèle économique plus diversifié », maiscitant l’exemple de la bibliothèque de Carpentras, qui présente également des œuvres d’art, il rappelle les « points de rencontres » entre les deux modèles. Surtout, il voit dans les mutations que les bibliothèques connaissent aujourd’hui – rôle accru de la médiation, apparition de scénographes dans les programmes de construction des bibliothèques, question des horaires d’ouverture – l’influence directe des musées.
Les musées sont reconnus comme des services publics à part entière, depuis la loi de 2002 relative aux Musées de France
Quels modèles économiques pour les musées face à la raréfaction des ressources publiques ?
Grande hétérogénéité des situations, rôle clé des élus, part prépondérante de la subvention publique dans le budget : telles sont les principales conclusions de la seconde étude, laquelle, issue d’enquêtes de terrain conduites sur la période 2014-2015, s’intéresse spécifiquement aux musées. « La fréquentation qui a connu une très forte hausse – + 60% – sur la période 2001-2007, est caractérisée par une concentration extrême : sept musées accueillent plus d’un million de visiteurs chaque année quand, à l’autre extrémité, 68% des musées reçoivent 20 000 visiteurs », observe Sylvie Pflieger, professeur à l’Université de Paris-Descartes. « La part des ressources propres demeure aujourd’hui encore résiduelle dans les budgets, les musées continuant d’avoir un besoin impérieux de subventions », poursuit-elle.
« On constate aujourd’hui un moindre intérêt des élus, qui répondent à des besoins plus prioritaires, en faveur de leurs musées. Cette absence d’attention, qui entraine la déstabilisation d’un modèle jusque-là central, interroge la manière dont les musées valorisent leur activité », analyse Anne Krebs, qui dirige le service Études et Recherche, au Musée du Louvre. Xavier Greffe, professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne, distingue trois grands modèles de musées : le « musée-marque » est « celui qui tire de la dimension immatérielle des ressources matérielles » ; le « musée-événement », qui « essaye de trouver sa viabilité économique dans l’organisation et la multiplication des événements » ; le « musée de proximité », qui utilise de plus en plus des valeurs extrinsèques de la culture. En cela, il est très sensible à la conjoncture économique. Tous ont en commun de chérir une ressource précieuse : celle de l’attention dont ils sont l’objet de la part de leur public autant que des responsables des collectivités locales où ils sont implantés.
« Les musées sont reconnus comme des services publics à part entière, depuis la loi de 2002 relative aux Musées de France », indique Blandine Chavanne, sous-directrice de la politique des musées au ministère de la Culture et de la Communication. « Cela signifie, la précision est importante, qu’ils reçoivent des dotations » pour exercer cette mission, précise-t-elle, appelant de ces vœux « le lancement d’un nouveau plan pour les musées qui ferait de l’aide aux petits musées un axe prioritaire ».
La diversification de l’offre des musées et des bibliothèques par le spectacle vivant
En prenant l’exemple des métropoles du Grand Paris et d’Aix-Marseille-Provence, Daniel Urrutiaguer, professeur à l’université Lumière-Lyon II, et Laure Ciosi, directrice de l’association Transversité, chargée de cours à l’Université d’Aix-Marseille, présentent les résultats d’une analyse portant sur la programmation en spectacle vivant dans les musées et les bibliothèques. Quand on interroge les responsables des musées et des bibliothèques sur les objectifs qu’ils assignent au spectacle vivant, le développement des publics arrive en premier, suivi par la valorisation des collections, la modification de l’image de l’institution, enfin, le décloisonnement des activités. S’agissant des partenariats, quand les musées de France n’hésitent pas à contacter directement des compagnies, les bibliothèques ont tendance à s’appuyer sur des relais culturels ou des établissements scolaires. Ces expériences ne sont pas exemptes de tensions, notamment s’agissant des distances de sécurité avec les œuvres à respecter pour les musées, ou plus généralement, du trouble occasionné par la transformation du lieu.
« Jean-Luc Godard, à qui l’on demandait de quelle manière venait une idée nouvelle, avait eu cette réponse : en étant face à deux idées en même temps. N’est-on pas en droit de penser qu’une émotion nouvelle naît de celles associées au spectacle vivant, aux musées, et aux bibliothèques du fait de leur rapprochement ? » conclut Mickaël Le Bouédec, inspecteur de la création artistique au ministère de la Culture et de la Communication.
Modèles économiques des musées et bibliothèques est coordonné par Yann Nicolas, chargé d’études au département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture, la Documentation française, collection "Musées-Mondes", 2017