Pédagogie, recherche, international... la réforme de l’enseignement supérieur de l’architecture se décline à tous les niveaux. Praticiens et acteurs de premier plan des écoles, Philippe Prost, Jacques Porte, et Jean-Christophe Quinton apportent leur éclairage (2/3).

« Développer les perspectives pédagogiques »

Philippe Prost, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, président du conseil d’administration

* La pédagogie issue de la réforme est étroitement liée à la question du statut des enseignants. Tous seront désormais enseignants-chercheurs ; or, s’agissant d’un enseignement, l’architecture, dispensé à la fois par des praticiens et des théoriciens, cela signifie que les praticiens seront amenés à développer des approches de recherche dans le cadre de leur pédagogie. C’est un changement profond de l’approche pédagogique. Il n’y a plus cette séparation, qui a pu sembler asséchante, entre enseignants et chercheurs : aujourd’hui, les premiers doivent nourrir les seconds et inversement. De fait, les écoles d’architecture atteignent l’âge adulte. L’enseignement s’était déjà structuré autour d’une filière doctorale et d’une filière professionnelle – l’habilitation à exercer la maîtrise d’œuvre en son nom propre. En ouvrant de nouvelles perspectives pour la recherche, la réforme vient amplifier ce mouvement. Par ailleurs, le système de recrutement qui en découle va permettre aux écoles d’affirmer davantage leur identité. Chaque école va pouvoir définir ses propres axes de recherche, puis recruter en conséquence à terme son personnel enseignant. À l’autre extrémité, en fonction de leur sensibilité, cela aidera les étudiants à choisir leur école.

* S’agissant de la gouvernance, les étudiants sont déjà intégrés aux instances existantes mais ils vont l’être de manière accrue avec la réforme. On ne peut que s’en féliciter. Le regard et les questions que se posent les étudiants vont nourrir plus encore les débats pédagogiques entre enseignants.

* Il est heureux que la réforme favorise les initiatives dans le domaine de l’éducation artistique et culturelle. Tout ce qui peut favoriser la transmission de l’architecture avant l’entrée en  première année est positif, d’autant qu’on sent, ne serait-ce qu’à travers l’exemple des élèves qui font leur stage de 3e dans une agence d’architecture, un véritable désir pour ce métier. Inversement, le fait qu’il y ait des initiatives qui partent des écoles pour créer de l’intérêt et de l’appétit pour l’architecture, est également une très bonne chose. En Italie, cet enseignement existe déjà. Il est certes réduit, mais les jeunes qui s’inscrivent en architecture après avoir passé leur baccalauréat savent pourquoi ils sont là. Il faut créer en France un écosystème similaire dans le secondaire.

« Renforcer la recherche par projet »

Jacques Porte, directeur de l’École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne, administrateur provisoire des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau

* Avec la réforme, les écoles d’architecture rejoignent le droit commun de l’enseignement supérieur français et européen dans lequel la recherche alimente et innerve la formation initiale. Or la recherche en général, et la recherche en architecture en particulier, est une recherche scientifique mais aussi une recherche-action, par le projet. Cette notion de recherche par le projet est très importante. Le monde universitaire est très intéressé par les écoles d’architecture parce qu’il voit en elles le moyen de renforcer la recherche par projet.

* L’architecture est par essence un champ qui mobilise de nombreuses disciplines. La réforme permet de démultiplier les alliances avec le monde universitaire, elle permet également d’augmenter le nombre de docteurs en architecture (la France accuse un retard important du nombre de docteurs par rapport à d’autres pays de l’OCDE). Pour les écoles d’architecture, il y avait une forte légitimité à avoir des enseignants qui soient en même temps des praticiens. La réforme réussit cela : être à la fois une école professionnelle et universitaire tout en gardant et en valorisant les enseignants-praticiens, qui sont une vraie richesse.

* Je prends l’exemple des Grands ateliers de l’Isle d’Abeau : il s’agit d’une plateforme technologique d’expérimentation créée à l’initiative du ministère de la Culture, qui mélange des étudiants architectes, des étudiants en art, des étudiants ingénieurs, des compagnons du devoir ainsi que des entreprises de toutes tailles. C’est donc le lieu idoine du lien pédagogie-recherche, qui permet la mise en place du doctorat pratique et un décloisonnement de la recherche & développement avec la formation initiale de nos écoles. Nous avons là un lieu tout à fait emblématique de la nouvelle manière d’enseigner, et même au-delà, de faire de la recherche en architecture. Les Grands ateliers de l’Isle d’Abeau – qui viennent d’être transformés en société par actions simplifiée à l’initiative du ministère – sont un outil exceptionnel à l’échelle nationale et internationale pour nos établissements. Parallèlement, une fondation abritée par l’université de Lyon, vient d’être créée pour favoriser les relais avec le monde professionnel. On voit bien que la réforme permet des collaborations, des accords, ce qui n’était pas possible précédemment. Et elle met à niveau l’enseignement de l’architecture français à l’échelle européenne. C’est une chose extrêmement intéressante et favorable pour les étudiants, qui l’ont bien compris : cela fait longtemps qu’ils ne s’embarrassent pas des cloisonnements administratifs, ils sont extrêmement réactifs. Aujourd’hui, dans le cadre renouvelé issu de la réforme, nous pouvons les accompagner sereinement.

« Frapper fort à l’international »

Jean-Christophe Quinton, directeur de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles

* La question internationale est abordée de manière très stratégique par les écoles depuis longtemps. À l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles par exemple, tous nos étudiants de master passent au moins un semestre ou deux à l’étranger. De même, nous avons une forte visibilité à l’international dans le cadre d’échanges avec des écoles à Chicago, au Brésil, à Shanghai… L’alignement du statut des écoles sur le droit commun va encore faciliter les choses, que ce soit au niveau des formations initiales ou de la recherche. La relation entre les institutions, la façon dont on va tisser une relation ou construire une stratégie à l’international, vont s’en trouver simplifiées.

* Depuis des années, nous nous posons la question suivante : comment faire pour devenir attractifs aux niveaux national et international pour les doctorants qui veulent faire de la recherche par le projet ? De grandes écoles, comme l’Essec par exemple, viennent vers nous car elles savent que nous avons une transversalité opérationnelle entre toutes les disciplines et la capacité à affronter la complexité du monde par le projet. La culture de projet est une culture de transversalité. Il y a aujourd’hui une convergence heureuse pour l’école : d’un côté, la réforme des statuts, de l’autre, le programme d’investissement d’avenir (PIA3) que nous venons de remporter. Celui-ci prévoit la création d’une École universitaire de recherche (EUR) avec un double mouvement : un financement pour des contrats doctoraux et une assise institutionnelle nouvelle qui a une souplesse pour accueillir de façon très ouverte la discipline et le potentiel de la discipline. Aujourd’hui, je ne peux pas vous dire exactement à quoi ressemblera un doctorat par le projet, ce sont les premiers chercheurs et doctorants qui le diront. Mais ce qui est certain, c’est que le dispositif que nous sommes en train de mettre en place va pouvoir beaucoup mieux se déployer grâce à la réforme. Cette EUR a pour ambition de frapper fort à l’international. Nous allons accueillir nos premiers doctorants dès septembre. Il y a là un vrai saut qualitatif et un immense potentiel pour aller vers de nouvelles stratégies de recherche. 

* Je tiens à insister sur une des qualités de la réforme qui reste à concrétiser : le fait que la création du statut unique puisse garantir à terme un équilibre serein et audacieux entre les carrières disciplinaires et les carrières professionnelles.