Pour changer de regard sur les migrations, le monde de la culture se mobilise. Retrouvez samedi 12 septembre, au musée de l’Histoire de l’Immigration, à Paris, des artistes, des intellectuels, des écrivains, des cinéastes, des musiciens, pour comprendre, échanger, témoigner, débattre sur les enjeux des migrations. En prélude à cette grande journée, l’historien Benjamin Stora, président du conseil d’orientation du musée de l’Histoire de l’Immigration, livre son analyse de la situation.
Alors que les premiers des 24 000 réfugiés que notre pays va accueillir viennent d’arriver en France, le monde de la culture se mobilise samedi 12 septembre dans un lieu hautement symbolique, le musée de l’Histoire de l’Immigration. Qu’attendez-vous de cette journée ?
Je souhaite qu’elle permette de porter un autre regard sur ces hommes, ces femmes et ces enfants qui prennent la mer ou la route souvent au péril de leur vie, que l’on ait un regard de compassion et d’humanité à leur égard et non de méfiance, de soupçon ou d’hostilité. L’objectif est double pour l’institution : dans un lieu comme le musée de l’Histoire de l’Immigration, qui a vocation par sa mission historique à dire l’histoire de la migration en France, je veux que nous puissions inscrire ce qui ce passe sous nos yeux en ce moment dans la durée, dans l’histoire longue. Cette journée sera également le préambule à d’autres types d’actions qui relèveront de la réflexion et qui permettront d’inverser les représentations. La mission d’un lieu comme celui-ci est d’intervenir sur le plan culturel et philosophique, d’offrir des regards, des interprétations, des lectures qui puissent nous renseigner sur ces hommes qui, aujourd’hui, en quittant leurs pays risquent leur vie. Je souhaite que nous inaugurions un chantier de débats sur cette question du droit d’asile et de l’accueil.
Comment expliquez-vous ce sentiment de crainte, voire de peur, qu’on perçoit dans une partie de l'opinion face aux migrations ?
Elle a plusieurs raisons : le contexte économique, et tout particulièrement le chômage, arrivent en premier. Avec les migrations, vient la crainte d’une concurrence sur le marché du travail, crainte renforcée par la fragilité du lien social. Il me semble par ailleurs qu’il existe dans la société française le sentiment diffus que trop d’étrangers mettraient en danger l’identité française. La seule réponse qui tienne en pareil cas, c’est de réaffirmer encore et toujours la force du lien national à travers l’histoire. On ne peut pas non plus contester le fait que les attaques portées ces trente dernières contre les mouvements antiracistes ont considérablement affaibli ces derniers. Des attaques venant du reste aussi bien de ceux qui se réclament de la pureté et de l’identité que de ceux promouvant le communautarisme culturel. Or l’antiracisme est porteur de valeurs universelles : la question de l’altérité est tout à fait décisive pour construire du lien national, la France s’est en grande partie construite dans ce rapport à l’autre. Enfin, il existe une explication générale tenant au déclin des idéologies collectives au profit de l’individualisme.
« Dans un lieu comme le musée de l’Histoire de l’Immigration, il faut inscrire ce qui ce passe sous nos yeux dans la durée, dans l’histoire longue »
Les mots sont importants, parler de migrants plutôt que de réfugiés, n’est-ce pas déjà potentiellement agiter certaines peurs ?
Le débat autour des mots renvoie à la difficulté d’établir une distinction entre le migrant forcé, celui qui fuit les guerres et les persécutions, et le migrant qui décide volontairement de quitter son pays. La frontière est très ténue, très difficile à établir. Le mot de migrant permet d’englober les deux aspects, et, à ce titre aurait donc pu satisfaire toutes les appréciations, mais il n’est plus juste dans la situation actuelle. On voit bien que la notion de réfugiés s’impose aujourd’hui. L’urgence, c’est la solidarité, le regard porté vers ceux qui partent de manière forcée de leur pays, qui quittent un pays dont ils sont obligés de se séparer.
« Porter un regard de compassion et d’humanité et non de méfiance et d’hostilité »
Cette peur est d’autant plus surprenante que la France est depuis toujours une terre d’accueil...
Cette attraction de la France aussi bien sur le plan géographique que sur le plan politique a toujours existé. La France, qui s’est construite en partie à partir de la Révolution française, s’est d’emblée posée comme la patrie des droits de l’homme, elle était la « grande nation », un phare en quelque sorte pour tous les persécutés, les opprimés, les exilés mais aussi pour ceux – journalistes, écrivains, artistes, intellectuels – qui étaient pourchassés en raison de leurs opinions politiques. C’est une vieille tradition française. Il a pu arriver en certaines occasions que des oppositions s’expriment, qu’une certaine hostilité se manifeste, je pense notamment aux Républicains espagnols en 1939. Au départ, ils ont été très mal accueillis mais cela ne les a pas empêchés deux ans plus tard d’être dans la Résistance.
Changer de regard sur les migrations, une journée de mobilisation le 12 septembre
De 10h à 22h, au musée de l’Histoire de l’Immigration, à Paris, le public est invité à s’interroger, échanger, témoigner, débattre sur les enjeux des migrations. Tables-rondes avec Gérard Miller, Paula Jacques, Michel Wieviorka, Benjamin Stora, Dominique Schnapper, etc. (« Asile et accueil, une histoire française ? », « Les mots et les images pour le dire », « Peurs françaises, les comprendre, les surmonter », « Le regard des artistes, des créateurs »), mais aussi des performances d’artistes (15 street artistes, parmi lesquels Combo, sont invités à exprimer dans une fresque leur vision de la crise des migrants), lectures (par des acteurs de la Comédie-Française et par des élèves du Conservatoire d’art dramatique), ateliers pédagogiques (parcours thématiques du musée, interventions sur des artistes…) et grands films sur les migrations (dont The Immigrant de Chaplin, Timbuktu de Sissoko et Dheepan de Jacques Audiard) seront proposés au public. Entrée libre.
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