Comment l’Institut national du patrimoine, qui a ouvert en février une antenne à Aubervilliers, tire-t-il parti de cette implantation en banlieue ? Les explications de Philippe Barbat, son directeur, dans le deuxième volet de notre enquête sur le rapports entre l’enseignement supérieur culture et la banlieue (2/3).
L’Institut national du patrimoine (Inp) est une école prestigieuse autant qu’atypique…
L’Inp offre la particularité, unique en Europe, de former dans un même établissement à deux métiers étroitement complémentaires : celui de conservateur et celui de restaurateur. Les deux formations existèrent d’abord séparément, puis furent réunies à partir de 1996. En France, la notion de patrimoine prend toute sa force à partir du XIXe siècle. Victor Hugo, dans son pamphlet Guerre aux démolisseurs, écrit : « Il y a deux choses dans un édifice, son usage et sa beauté ; son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde ». C’est une idée très moderne. En formant ses professionnels, l’Inp accompagne l’évolution de la sensibilité collective vis-à-vis du patrimoine.
« Dans les magnifiques murs de la Manufacture des allumettes, à Aubervilliers, cette école d’excellence républicaine a toute sa place »
En quoi consistent les deux formations d’excellence proposées à l’Inp ?
Chaque année, à l’issue d’un concours très sélectif, l’Inp accueille entre trente et cinquante élèves conservateurs et une vingtaine d’élèves restaurateurs. Chaque formation possède son identité et sa finalité propres. Les conservateurs du patrimoine sont destinés à devenir de hauts-fonctionnaires spécialistes du patrimoine au sein de l’État, de la fonction publique territoriale et de la Ville de Paris. Reconnu au grade de master, le diplôme de restaurateur du patrimoine confère quant à lui l’habilitation à intervenir sur les collections des musées de France. La scolarité de cinq ans repose sur un ensemble d’enseignements théoriques d’épreuves scientifiques et pratiques, de cours en atelier et de stages en France et à l’étranger. Les élèves restaurateurs se répartissent entre sept ateliers : arts du feu, arts graphiques et livre, arts textiles, mobilier, peinture, photographie, sculpture.
En février, vous avez installé le département des restaurateurs à Aubervilliers. Pourquoi le choix de cette commune ?
Le département des restaurateurs a dû quitter en milieu d’année scolaire 2014 le bâtiment qu’il occupait à Saint-Denis La Plaine depuis 1995. Il a été installé à Aubervilliers en un temps record, dès le 2 février 2015, sans aucune interruption de la scolarité. La Manufacture des allumettes - le site de cette implantation - est un magnifique témoignage du patrimoine industriel du début du XXe siècle. Dans ces murs, cette école d’excellence républicaine a toute sa place. L’autre atout de la Manufacture est sa fonctionnalité. Sur 4000 m2 de surface nous disposons de deux ailes du bâtiment. Ainsi, tous les ateliers sont placés en enfilade, les uns à côté des autres, ce qui permet la communication et la convivialité. Pour cette installation, l’Inp a bénéficié de la part du ministère de la Culture et de la Communication d’un important programme d’investissements ayant permis d’acquérir des équipements modernisés qui conforteront l’excellence pédagogique des enseignements.
Qu’apporte à l’Inp son ancrage au cœur de la Seine-Saint-Denis ?
Le bénéfice est réciproque. Nous avons à relever le défi d’être implantés au sein d’une ville dynamique, d’un territoire passionnant, très actif en matière culturelle – et bien sûr du Grand Paris. A la Manufacture, nous sommes environnés de lieux d’enseignement : les collèges et les lycées, le Campus Condorcet… Nous souhaitons participer à des projets communs avec les institutions culturelles présentes sur le territoire. Et nous insérer dans son tissu économique.
Faites-nous partager le quotidien des étudiants, à la Manufacture des Allumettes ?
L’accès direct par la ligne 7 du métro, depuis l’implantation parisienne de l’Inp, rue Vivienne, permet un lien fort entre les deux sites. Il existe d’ailleurs des formations communes, en particulier les « chantiers des collections » : élèves restaurateurs et conservateurs se rendent dans une institution pendant une semaine, travaillent sur un ensemble d’objets en vue d’assurer leur meilleure conservation, puis présentent le résultat de leur travail. En 2015 par exemple, les étudiants des deux départements ont travaillé sur des sculptures conservées dans les réserves d’un lieu étonnant, propriété de la Ville de Paris : le Conservatoire des œuvres d’art religieuses et civiles.
« Il y a une grande diversité d’origines sociales chez nos élèves, et une majorité d’étudiants boursiers chez nos élèves restaurateurs »
Les élèves restaurateurs interviennent sur de « vraies » pièces de musée ?
Nos étudiants font leurs premières armes de restaurateurs sur des pièces issues des collections publiques. Nous développons en eux simultanément la réflexion intellectuelle et la maîtrise du geste technique. Lors d’une prochaine soutenance, le 14 septembre, une étudiante expliquera comment elle a restauré un objet des collections du musée Guimet, destiné à rejoindre le Louvre d’Abu Dabi. Autre exemple : un étudiant a restauré un tellurium appartenant aux collections du Conservatoire des arts et métiers de Paris. Il a étudié la possibilité de faire fonctionner le mécanisme de cet instrument de 1819 qui permettait de visualiser les mouvements de la terre et de la lune autour du soleil!
De quels horizons viennent les élèves ?
Il y a une grande diversité d'origines sociales chez nos élèves, et une majorité d’étudiants boursiers chez nos élèves restaurateurs. Avec le soutien de la Fondation Culture & Diversité, nous avons créé le programme « Egalité des chances » destiné à des étudiants issus de milieux modestes, souhaitant s’orienter vers la restauration. Nous les aidons à préparer le concours d’entrée à l’Inp. Ainsi, par exemple, deux jeunes femmes ont pu intégrer cette année la section art graphique. De même pour la filière conservation, où une classe préparatoire intégrée a été créée en 2010 afin d'assurer la diversité sociale. En ravivant, par petites touches délicates, une sculpture religieuse – une pièce unique du XVIe siècle confiée à l’Inp – l’une des nouvelles élèves boursières en restauration déclarait : « Il n’est pas donné à tout le monde de vivre de sa passion ». Pour elle, ce rêve est en train de devenir réalité.