Ils sont photographes, conteurs, danseurs, écrivains, chanteurs, sculpteurs ou musiciens de hip-hop, et ils représentent la France au Jeux de la Francophonie organisés à partir du 21 juillet par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Leurs portraits dans le second volet de notre série (2/2).

Najoua Darwiche (conte) : « Le français est une langue qui bouge parce qu’elle se teinte d’accents différents »

Après avoir étudié le cinéma, pratiqué le théâtre, administré des studios de répétition ou encore organisé des concerts de musique, la Nantaise Najoua Darwiche est revenue à ses premiers amours, l’art de la parole. Depuis trois ans, elle se produit dans des théâtres, festivals, écoles, médiathèques et aime particulièrement insérer le conte dans des lieux où on ne l’attend pas. Pour créer ses spectacles, elle puise son inspiration dans les contes traditionnels, les textes contemporains et développe sa propre écriture.

« Je trouve extraordinaire qu’il y ait une section conte dans le cadre des Jeux de la Francophonie. Je vais voyager, raconter des histoires, les partager, et plus largement, défendre ma discipline qui est un art de la relation au monde, à l’autre, à la vie, à la mort, et une matière que l’on transmet à l’oral. Qui plus est, l’usage de la langue française, qui nous est commune, permet une immédiateté dans la rencontre, nous n’avons pas besoin de traduction. Le français est une langue qui bouge et reste vivante parce qu’elle se teinte d’accents et d’expressions différents en fonction des territoires. C’est une dimension qui m’intéresse beaucoup. Participer aux Jeux de la Francophonie, c’est l’occasion de rencontrer 19 autres conteurs autour d’une même langue teintée de 19 cultures différentes, c’est vraiment très beau. J’aime aussi que les langues véhiculent des images fortes. Et le conte le fait à merveille. Pendant ces dix jours, je vais aussi rencontrer des artistes dont je partage le métier mais qui ont d’autres manières de travailler. J’attends beaucoup de ces échanges. Enfin, j’aime la notion de défi. L’idée n’est pas de remporter une médaille – le simple fait de participer aux Jeux de la Francophonie est en soi une victoire – mais de pouvoir donner le meilleur de moi-même ».

Najoua Darwiche est née le 13 janvier 1984 à Carpentras. Dernier spectacle : "Une aventure singulière" (résidence artistique à La Chartreuse, Villeneuve-Lez-Avignon). www.najouadarwiche.com

Pockemon Crew (hip-hop) : « La force du hip-hop est d’appartenir à la sphère sportive autant qu’à la sphère créative »

Le Pockemon Crew, c’est tout d’abord un nom. Et un style. Facilement identifiable. Inspiré de la rue, aérien, alliant technicité et esthétisme, avec un peu de provocation et surtout beaucoup d’humour et de dérision. Le Pockemon Crew, c’est aussi un palmarès. Dans le milieu du hip-hop, la compagnie lyonnaise, créée en 1999, est l’une des plus titrées au monde. Deux titres mondiaux (2003 et 2006), deux médailles d’or européennes (2004 et 2012), trois titres de championne de France (2003, 2008, 2012). Sans oublier différentes victoires de prestige sur le circuit des « battle » (confrontation entre deux groupes). Il y a quatre ans, à Nice, les Français avaient remporté la médaille d’argent du concours de hip-hop pour leur première participation aux Jeux de la Francophonie.

« Lorsque nous avons participé à la précédente édition des Jeux de la Francophonie, nous avons pris part à une compétition que nous n’avions jamais remportée et nous avons représenté la France, ce qui était une immense fierté. C’est encore le cas pour cette nouvelle édition, mais nous avons aussi à cœur, il faut bien le dire, de réparer une injustice. Lors de notre première participation, certains concurrents se sont opposés à notre présence au motif que nous étions hors catégorie. En dépit d’un soutien sans faille de l’Organisation internationale de la francophonie et de la délégation française, notre victoire n’a pas été homologuée. Nous sommes également heureux de retrouver l’Afrique où les compétitions sont rares et où nous sommes appréciés et respectés. La force de la danse hip-hop est d’appartenir à la sphère sportive autant qu’à la sphère créative. De grandes compagnies, à l’instar de celle du chorégraphe José Montalvo, prennent naturellement en compte ces deux dimensions. Certains lieux culturels trouvent encore étrange que l’on puisse être une compagnie de danse championne du monde. Mais ils s’y font petit à petit. D’autres danses, en plus du hip-hop, commencent à organiser leurs propres compétitions » (Riyad Fghani)

Compagnie Pockemon Crew (Riyad Fghani, chorégraphe et directeur artistique, Karl Asokan, danseur, Karim Felouki, danseur, Gael Bafinal, danseur, Alex Thuy, danseur, Etienne Lebigre, danseur. Dernier spectacle à la Biennale de Lyon 2016.  www.pockemon-crew.net

 

Guillaume Parodi (littérature) : « On lit des livres parce que nous souhaitons vivre des situations qui nous sont étrangères »

Guillaume Parodi s’engage vers des études littéraires au sortir de l’adolescence et se découvre un goût pour l’écriture à travers les ateliers de Benoît Conort, poète et critique littéraire. Entre plusieurs séjours en République Tchèque, en Turquie et dans les Balkans, il se consacre à l’écriture de nouvelles. Passionné par les sciences humaines, en particulier l’histoire et la mythologie, il participe en tant qu’anthologiste à la création d’un recueil de nouvelles sur les mythes et légendes du Moyen-Orient. Installé à New York depuis 2015, il s’intéresse aux droits de l’homme et aux sciences politiques. Aux Jeux de la Francophonie, il présentera un texte engagé, En pleine dérive.

« En présentant un projet dans le cadre des Jeux de la Francophonie, j’ai l’impression de me lancer un défi personnel. En sport, la notion de concours, où l’on juge les participants sur leurs performances, est incontournable. Dans le domaine de l’art, c’est très différent. On juge sur ce qui nous émeut, ce qui nous touche, donc participer à ce concours pour moi, c’est aller à la rencontre des autres écrivains présents, soit une vingtaine qui tous ont entre 18 et 35 ans. Je le vois comme une opportunité pour apprendre, un moment de vie. Pourquoi lit-on des livres ? parce que nous souhaitons vivre et ressentir des situations qui nous sont étrangères. En outre, chacun représentera son pays. Sur le plan linguistique, depuis que je vis aux Etats-Unis, mon français se teinte au fur et à mesure d’anglais. Les échanges autour du bilinguisme vont me permettre de m’enrichir linguistiquement. En pleine dérive, le texte que je vais présenter, raconte l’histoire de la rencontre entre un passeur et un réfugié sur les côtes normandes et le choix cornélien auquel va être confronté le réfugié. C’est un thème qui fait écho à l’actualité terrible que l’on sait et qui touche la francophonie en raison des mouvements migratoires. Quand je vivais encore en France, je m’intéressais à ces thématiques, mais peut-être de plus loin. Paradoxalement, depuis que je vis aux Etats-Unis, je m’intéresse encore plus à ce qui se passe en France et à l’intérieur de l’Union européenne ».

Guillaume Parodi est né le 29 septembre 1988 à Saint-Maur-des-Fossés. Dernière nouvelle parue : « Le chat ne s’est pas échappé de la boîte, il n’y a jamais été » dans Quantpunk, Realities Inc (2016)

Marie-Charlotte Loreille (photographie) : « Valoriser le patrimoine traditionnel guadeloupéen encore trop sous-représenté »

Après s’être découvert un intérêt pour la photographie au lycée, Marie-Charlotte Loreille suit au début des années 2000 une formation en photographie à l’Ecole EFET à Paris et commence à travailler dès la sortie de l’école. Sa pratique à la fois de la musique (BAC option Musique) et de la danse a accentué son intérêt pour les cultures traditionnelles. Après un premier projet sur la musique traditionnelle irlandaise, la jeune femme, danseuse de gwoka depuis dix ans, a souhaité intégrer l’univers musical, mais aussi culturel des guadeloupéens d’Île-de France. De cette immersion s’est progressivement dessinée une volonté de valoriser des patrimoines culturels traditionnels encore trop sous-représentés et les valeurs humaines et universelles qu’ils véhiculent. Le projet « Moun a gwoka », qu’elle présentera à Abidjan, s’inscrit dans cette démarche.

« Je développe un projet autour de la culture traditionnelle Gwoka en Guadeloupe. Il s’agit d’un patrimoine traditionnel particulier dans un territoire ultra-marin encore méconnu. Il m’a semblé que ma démarche rejoignait celle de valorisation des cultures francophones qui se trouve au cœur des Jeux de la Francophonie. Ces deux dernières années, j’ai travaillé sur la prise de vues et la réalisation de photos dans la communauté guadeloupéenne d’Île-de-France. Je travaille encore actuellement sur cette première partie, une seconde étant prévue en Guadeloupe. À Abidjan, je dois présenter seulement quatre images. Le choix n’a pas été simple, car j’ai travaillé à la fois en studio sur des portraits avec les acteurs de la tradition Gwoka en Île-de-France, des musiciens, des professeurs, des chanteurs, mais j’ai aussi fait un travail de reportage autour des soirées traditionnelles. J’avais donc deux approches différentes. J’ai choisi quatre portraits de femmes, car elles sont plus minoritaires dans cette culture traditionnellement masculine même si les choses sont un peu différentes aujourd’hui. Je ne sais pas du tout comment va se passer la partie création sur place. Est-ce que ce sera une création libre ? une thématique imposée ? Je ne suis pas très compétitive de nature, j’y vais surtout pour l’expérience, pour rencontrer des artistes et des talents du monde entier. Si ensuite le concours fonctionne bien, et je ferai le maximum pour cela, alors tant mieux, mais à vrai dire, je n’y ai pas trop réfléchi, je suis déjà très contente d’avoir été sélectionnée ».

Marie-Charlotte Loreille est née le 16 mai 1983 à Avranches. Prochain projet : 2e partie de « Moun a Gwoka ». http://mounagwoka.com/apropos

 

Keurspi (chanson) : « Notre message, c’est l’ouverture d’esprit, le dépassement de soi »

Son nom de scène renvoie au mot anglais « speaker » qui peut se traduire par « orateur » ou « haut-parleur ». Rappeur incontournable de la scène bordelaise, Fabien Modolo dit Keurspi a des choses à dire. Dès les premières mesures, la musicalité et la sincérité qui émanent de cet artiste émergent et engagé favorisent l’immersion dans son univers, où le dépassement de soi et l’espoir vont de pair. Passé de l’autre côté du micro en 2001 au lycée de Blaye, le rappeur, aux influences éclectiques – Nas, Eminem, IAM, Common, Bob Marley, Marvin Gaye, Kendrick Lamar… – produit des textes lourds de sens avec un débit qui mitraille et des musiciens à l’énergie rock. Alors que son premier album solo est annoncé au second semestre 2017, Keurspi retrouvera avec plaisir le continent africain, après une première tournée au Sénégal il y a quelques années.

« Quand la Rock School Barbey (Scène de Musiques Actuelles de Bordeaux (NDLR) qui nous suit en parcours professionnel nous a proposé de postuler pour participer aux Jeux de la Francophonie, nous avons tout de suite dit oui. Nous allons rencontrer des groupes qui viennent d’univers et d’horizons musicaux différents des nôtres. Qui plus est, l’Afrique est une terre que l’on connaît bien, où s’exprime pleinement la vitalité de la culture hip-hop. Nous avons notamment fait plusieurs tournées au Sénégal, quand on part là-bas, c’est génial, on en prend plein la figure. Il y a des messages à faire entendre, que ce soit au niveau de la culture hip-hop, de notre façon de voir le monde, de l’ouverture d’esprit, du dépassement de soi. Dire ces choses face à un public le plus large possible, c’est le but de tout artiste. La culture hip-hop s’entend au sens large en y englobant toutes les disciplines, que ce soit la musique, la danse, le BeatBox, le DJing. Nous allons présenter notre projet 100% vocal à Abidjan avec le BeatBoxeur Beasty, ancien champion de France, de niveau mondial, et DRBX, qui est un chanteur bénino-sénégalais avec lequel je travaille depuis quelques années ».

Keurspi est né le 22 mars 1985 à Bordeaux. Dernier album : CHOEURSPI !. www.keurspi.com

 

La compagnie Soul City (danse de création) : « Nous avons à cœur de rencontrer d’autres artistes et de les partager avec d’autres publics »

Soul City est l’un des plus anciens groupes de breakdance de la Réunion. Reconnu pour ses spectacles, battles et transmissions, le crew devient une compagnie de danse professionnelle en 2008. La danse hip-hop est sa base d’expression, vient s’y ajouter un état d’esprit, une culture et une liberté corporelle. Après une forte collaboration avec l’Afrique du Sud, Soul City affirme son identité chorégraphique en 2013 avec la pièce REFLEX. À la croisée de différents styles de danse, le chorégraphe, Didier Boutiana, apporte dans ses chorégraphies hip-hop une énergie et un état d’esprit tiré du Rite.

« Les Jeux de la Francophonie sont une très belle occasion de donner une visibilité à notre travail. Si nos spectacles sont présentés naturellement en premier à la Réunion, nous avons à cœur de les diffuser à l’extérieur, de promouvoir notre savoir-faire, de rencontrer d’autres artistes et de les partager avec d’autres publics. C’est exactement ce qui va se produire à Abidjan où de nombreuses autres compagnies francophones sont invitées. Le mélange entre culture et sport est une dimension des Jeux de la Francophonie qui m’intéresse également beaucoup. Je vois le concours comme un challenge pour moi en tant que chorégraphe, pour la compagnie, et pour les danseurs. J’ai hâte d’y participer d’autant plus que nous allons retrouver nos amis de Madagascar, de l’île Maurice, nous allons tous être réunis dans un même cadre loin de chez nous. Nous n’avons pas l’habitude de participer à des concours, la plupart ont lieu en France et, très souvent, les frais ne sont pas pris en charge. Je vais présenter une de mes performances intitulée Tir Pa Kart, un spectacle autour du combat réunissant un trio de garçons, très viril, très brut, très énergique avec beaucoup d’acrobaties, basé sur la taquinerie, la complicité, la trahison » (Didier Boutiana).

La compagnie Soul City est composée de Didier Boutiana, direction artistique et chorégraphie, Médérick Lauret, danseur, Ulrich Lauret, danseur, Said Toto Mohamed, danseur. Prochaine création : Kanyar. www.compagniesoulcity.re/fr/soul-city-crew/


Orphée Salvy (sculpture) : « Reconstruire la tour de Babel pour admettre que nous sommes tous différents mais que l’on peut se comprendre »

C’est un projet ambitieux, exigeant et poétique. À l’image de son créateur. Artiste plasticien, Orphée Salvy présentera cet été aux Jeux de la Francophonie une Tour de Babel de plus de 2 mètres, dont le sommet en bronze symbolisera le trait d’union entre la France et la Côte d’Ivoire. Un lien avec l’Afrique que le sculpteur formé à l’école nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris entretient depuis plusieurs années. S’il a son atelier à la Villa Belleville, qui accueille des artistes émergents dans une ancienne fabrique de clés proche du métro Belleville, le jeune artiste se rend régulièrement en Côte d’Ivoire pour enrichir et diversifier sa technique de moulage à la cire perdue aux côtés des artisans locaux, et notamment ceux de Grand-Bassam. À Abidjan, on le voit, Orphée Salvy ne partira pas en terre inconnue.

« La Côte d’Ivoire est un pays que je connais et que j’aime beaucoup, j’y ai notamment beaucoup de souvenirs d’adolescence. C’est aussi le pays où j’ai fait mes débuts dans la sculpture et où je retourne régulièrement : dans le cadre de ma technique de modelage et de moulage, je travaille en effet avec une fonderie située à Grand-Bassam, à environ une demi-heure de voiture d’Abidjan. À l’occasion des Jeux de la Francophonie, je vais présenter une tour de Babel de 2,5 mètres de hauteur. Le mythe de Babel, c’est la naissance des différentes cultures, des différentes langues étant entendu qu’au départ, l’unique langue parlée par les hommes était la langue adamique. J’ai pris le parti de reconstruire la tour de Babel à partir des décombres de la première ce qui est une façon d’admettre que nous sommes tous différents mais que l’on peut travailler ensemble, se comprendre, et pourquoi pas recommencer en travaillant main dans la main. Même si la langue française ne peut pas être comparée à la langue adamique, elle est omniprésente dans l’espace francophone. La tour de Babel fait écho à tout cela. Quant au sommet en bronze, il symbolise mon attachement pour la Côte d’Ivoire et son artisanat. J’ai modelé le sommet avec des matériaux ivoiriens, et ensuite, je l’ai fait couler dans la fonderie de Grand-Bassam ».

Orphée Salvy est né le 6 juin 1987 à Paris.

Entre danse et sport, le groupe S3 crée l'événement

JDF groupe S3, freestyle ball

A la frontière du sport et de l’art, les performances du groupe S3 (fondé par Séan, Andreas et  Djiminho) sont nées en 2006 de la rencontre improbable entre trois disciplines : le football, le basket et la danse. En 2017, après s'être imposés à la planète sportive avec de véritables prouesses mettant en avant le talent individuel aussi bien que l’esprit collectif (ils ont ainsi "bluffé" balle au pied des techniciens aussi légendaires que Zidane ou Neymar, et remporté de nombreux championnats internationaux), ils participent aux Jeux de la Francophonie dans une discipline qu'on croirait créée sur mesure : la jonglerie avec ballon, appelée aussi le freestyle ball.

http://www.streetstylesociety.com/s3-team.html.