Saint-Ouen, Aubervilliers et, bientôt, Clichy-Montfermeil… Depuis quelques années, plusieurs écoles du réseau de l’enseignement supérieur culture ont ouvert des antennes en banlieue. Que cherchent-elles dans ces nouvelles implantations ? Des espaces qu’elles n’ont pas ? Des profils inédits ? Les réponses de trois établissements, l’école nationale supérieure des Beaux-Arts, l’Institut national du patrimoine et une future institution dont la préfiguration suscite de fortes attentes, le projet Médicis Clichy-Montfermeil. Premier volet : l’école des Beaux-Arts (1/3).
Alors que la rentrée universitaire est imminente (elle aura lieu le 22 septembre), les étudiants de l'école nationale supérieure des Beaux-Arts – un site patrimonial unique, situé au cœur de Saint-Germain-des-Prés, à Paris – disposent, depuis 2007, d'un deuxième campus à Saint-Ouen. Jean-Christophe Claude, directeur-adjoint de l’école, revient sur les atouts de cette antenne en Seine-Saint-Denis.
Pourquoi ce redéploiement en Seine-Saint-Denis, dans le « 9-3 » ?
C'est une petite révolution pour cette école prestigieuse, creuset de générations d'artistes, dont les plus anciens bâtiments furent élevés au début du XVIIe siècle pour le couvent des Petits-Augustins. Le plus récent, conçu par Auguste Perret, date de 1950. Les différents styles et strates qui composent ce lieu unique sont pour les étudiants une leçon d'histoire de l'art qui s'étend sur deux hectares. Et pourtant ! De tous temps, cette école a manqué de place. Pour les étudiants de ce campus, il n'existait pas vraiment d'ateliers et certains cours étaient donnés à l'extérieur. Aussi était-il urgent d'ouvrir un deuxième site pour accueillir les ateliers et enseignements dits « de technicité ». A vingt minutes de métro du site parisien, au cœur des Puces de Saint-Ouen, nous leur offrons des espaces généreux et des conditions optimales de travail, de stockage, de lumière. Entre les deux campus, les navettes sont incessantes. Au cours de leur pratique, en effet, beaucoup d'étudiants de Paris sont amenés à travailler à Saint-Ouen.
Présentez-nous le « Cap Saint-Ouen » et ses ateliers ?
Il nous a fallu inventer une deuxième école pour nos étudiants en technicités. Le site du Cap-Saint-Ouen s'y prêtait naturellement. Imaginez une ancienne librairie du 19e siècle, très vaste – 800 m2 – et éclairée par des verrières zénithales. Tout est en rez-de-chaussée, ce qui facilite la logistique. Les étudiants en technicités, en effet, manipulent des matériaux lourds : pierre, béton, métal, plâtre. Nous y avons installé sept des treize ateliers du département matière/espace, liés à la pratique de la sculpture et du volume. Quant au mode d'enseignement, il est resté le même depuis que l'école des beaux-arts existe : tous nos « chefs d'atelier » sont en même temps de grands artistes. Ils entretiennent un rapport individuel étroit avec leurs étudiants. Il s'agit d'un véritable travail de compagnonnage qui a pour but de forger des individualités. Ainsi, Patrice Alexandre enseigne le modelage, Götz Arndt la taille et Fabrice Vannier la mosaïque. Les enseignants de technicités, eux, transmettent un savoir-faire technique. Pour Jérémy Berton ce sont les matériaux composites, pour Claude Dumas la céramique, pour Carole Leroy la forge, pour Philippe Renault le moulage. A la rentrée, nous attendons l'artiste Nathalie Tallec, une nouvelle enseignante en sculpture/installation. Avec son arrivée, l'équipe pédagogique va s'étoffer.
Une vraie symbiose s'est créée, au point que certains étudiants du site de Saint-Germain-des-Prés souhaitent présenter leur diplôme à Saint-Ouen !
Après trois années d'exercice, quel bilan tirez-vous de l'installation de cette antenne à Saint-Ouen ?
Aujourd'hui, l'école a trouvé son rythme de croisière. Je veille à ce qu'une personne de l'administration assure l'interface avec les enseignants et les étudiants. La vie au Cap Saint-Ouen est une vie pleine. Une vraie symbiose s'est créée, au point que certains étudiants du site de Saint-Germain-des-Prés souhaitent présenter leur diplôme à Saint-Ouen ! Ainsi, en novembre prochain, un étudiant y présentera un projet parce que, parmi plusieurs autres éléments, celui-ci inclut une mosaïque. Pour ces jeunes encore en devenir, les trois premières années sont des années d'apprentissage et d'engagement total. Ils ont besoin de solitude et de réflexion. Nous ne voulons surtout pas en faire des « stars » trop tôt. Nous leur donnons le meilleur. L'espace, pour créer et entreposer des projets d'exposition pouvant aller jusqu'à deux mètres de hauteur. L'assiduité au travail est notoire, comme l'est aussi le niveau d'exigence du diplôme.
Quels sont les rapports que ce campus entretient avec la commune environnante ?
L'école est immergée en plein cœur du marché Serpette, un lieu très animé. Elle profite d'un environnement professionnel et urbain propice à la création. A proximité, se trouvent la galerie d'art contemporain « Art Untitel », la galerie d'antiquités des Soeurs Steiniz... Le Cap a toute sa place dans cet environnement. Il est le fer de lance du nouveau quartier qui est en train de se créer. Nous allons travailler la visibilité de l'école sur la rue, en sachant qu'elle n'est pas – pas encore – un espace d'échanges mais essentiellement un espace de travail. Certains matériaux et équipements qui s'y trouvent, comme la forge, ne peuvent être en accès libre. Nous allons aménager des horaires de visite le week-end en augmentant la facilité d'accès et la surveillance. A court terme, nous allons exposer les travaux des étudiants dans un espace supplémentaire de 185 m2 ouvrant sur la rue, le « R 15 ».
Ouverture sur le quartier de développement des opérations d'éducation artistique dans les écoles locales : les autres activités des Beaux-Arts à Saint-Ouen
Vous pilotez avec la ville de Saint-Ouen un programme d'immersion d'artistes en milieu scolaire...
Saint-Ouen est une ville qui mise beaucoup sur les arts. Elle a fait de l'éducation artistique et culturelle à l'école un enjeu prioritaire et l'une des ambitions de notre école est de former des artistes ouverts, capables de transmettre leur expérience du sensible aux jeunes enfants. C'est ce que nous faisons depuis maintenant trois ans avec des classes de primaire et de collège de Saint-Ouen dans le cadre du programme AIMS – artiste intervenant en milieu scolaire. Il s'agit d'une formation diplômante financée par les Fondations Rothschild. Chaque année, nous sélectionnons trois à cinq jeunes artistes diplômés de notre école pour mener à bien, en immersion totale pendant un an, un projet artistique de qualité avec les élèves et leurs enseignants. La restitution a lieu en juin dans la galerie du Crous, rue des Beaux-arts, à Paris. A ce jour, vingt-et-un artistes et plus de cinq cents élèves de Saint-Ouen, de toutes origines, ont pu cheminer ensemble. Ces artistes sont de grands ambassadeurs de l’école des Beaux-Arts. Au contact des enfants, ils ont modifié leur regard sur leur propre travail artistique. Aujourd'hui, la création n'est plus l'unique curseur de leurs envies.
Les projets de Jean-Marc Bustamante, nouveau directeur des Beaux-Arts
Placer l’artiste au cœur du projet, favoriser une plus grande transversalité, accroître la visibilité internationale de l’école, relancer la concertation entre l’administration et les étudiants… Les projets ne manquent pas dans les tablettes de Jean-Marc Bustamante. Artiste de renommée internationale, celui-ci vient d’être nommé par Fleur Pellerin à la tête de l’école nationale supérieure des Beaux-Arts, où il va faire sa première rentrée en tant que directeur (il y enseignait depuis 1998). Parmi ces chantiers, il en est un auquel il est particulièrement attaché : élargir l’origine sociologique des admissibles aux Beaux-Arts. « J’aimerais créer une classe préparatoire en interne, car les prépas qui existent sont privées et chères. L’avantage de la classe prépa publique interne, c’est que l’on peut passer plus de temps avec les étudiants. Il faut aussi davantage informer les élèves dans les collèges et lycées, et sur les réseaux sociaux. Je constate qu’en Allemagne, mes élèves sont issus de milieux plus modestes qu’en France. Peut-être parce que leurs parents n’ont pas pour ambition que leurs enfants fassent carrière », a-t-il précisé au Quotidien de l’art du 14 septembre 2015.