Sur sa droite [la droite de Pierre], au-dessus de Sainte-Adresse, les deux phares électriques du cap de la Hève, semblables à deux cyclopes monstrueux et jumeaux, jetaient sur la mer leurs longs et puissants retards. Partis des deux foyers voisins, les deux rayons parallèles, pareils aux queues géantes de deux comètes, descendaient, suivant une pente droite et démesurée, du sommet de la côte au fond de l'horizon. Puis sur les deux jetées, deux autres feux, enfants de ces colosses, indiquaient l'entrée du Havre ; et là-bas, de l'autre côté de la Seine, on en voyait d'autres encore, beaucoup d'autres, fixes ou clignotants, à éclats et à éclipses, s'ouvrant et se fermant comme des yeux, les yeux des ports, jaunes, rouges, verts, guettant la mer obscure couverte de navires, les yeux vivants de la terre hospitalière disant, rien que par le mouvement mécanique invariable et régulier de leurs paupières : "C'est moi. Je suis Trouville, je suis Honfleur, je suis la rivière de Pont-Audemer ».
C’est un ballet de feux, ici, dans Pierre et Jean de Maupassant, c’est une catastrophe, là, dans le poème Prévert : un gardien de phare aimant trop les oiseaux et ne supportant plus de les voir périr « aveuglés », « assommés » par le phare, préfère éteindre les feux dans un geste de « tant pis je m’en fous ». Une fois la lumière éteinte « Au loin un cargo fait naufrage / Un cargo venant des îles un cargo chargé d’oiseaux / Des milliers d’oiseaux des îles, des milliers d’oiseaux noyés ».
Les « sentinelles de la mer » - qui appellent la tempête comme disait Malcom Lowry dans l’un de ses poèmes -, parce qu’elles sont des repères indispensables pour les navigateurs, des prouesses technologiques et scientifiques, des objets de fascination, mais aussi des éléments essentiels du patrimoine bâti de nos littoraux, ces sentinelles concentrent à elles seules une histoire de la mer, l’histoire aussi d’un imaginaire séculier, celui des architectes et des navigateurs, enrichi par des générations d’artistes.
Je suis très heureux d’être à vos côtés ce soir pour inaugurer cette exposition du Musée National de la Marine, qui nous dévoile, grâce notamment au très fort engagement du ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, le fonctionnement de ces feux de la mer, leur évolution scientifique et technique, leur histoire, leur construction, la part considérable qu’ils occupent aussi bien dans les cultures savantes que dans les cultures populaires.
L’histoire de ces monuments français commence avec l’impressionnant phare de Cordouan, bâti en 1611. Instrument de signalisation, marque du pouvoir royal, le phare de Cordouan, qui a fêté l’année dernière ses 400 ans, est classé au titre de monument historique depuis 1862. Exceptionnel entre tous, ce « phare des rois, roi des phares », selon l'expression consacrée, fera l'objet d'un mini-site internet, en cours de préparation au ministère de la culture et de la communication.
Le ministère de la culture et de la communication, attentif à la protection de toutes les formes de patrimoine, ne pouvait rester indifférent à ces édifices singuliers, de haute valeur architecturale et paysagère, témoins d'une étape essentielle de l'histoire de la navigation, et d'une profession difficile, aujourd'hui disparue : celle des gardiens de phare.
En 2011, à la suite d'un travail en commun initié il y a près de 10 ans, conduit avec la direction des affaires maritimes, 14 phares ont été classés au titre des Monuments historiques, ce qui fut une première depuis Cordouan en 1862. A ce jour 24 phares et feux sont classés au titre des monuments historiques, une quarantaine sont inscrits au titre des monuments historiques et une quinzaine seront présentés à la Commission nationale des Monuments historiques du 18 juin 2012. Au total ce sont autour de 80 phares et feux qui devraient être protégés au titre des monuments historiques, du Cap-Gris-Nez au petit phare de la jetée de Port-Vendres, en passant par le Stiff et Créa’ch à Ouessant, la Pointe Saint-Martin à Biarritz, le phare de Bel-Air à La Réunion, celui de l’îlet de Petite Terre en Guadeloupe, parmi tant d’autres.
Je tiens à cet égard à souligner l’implication déterminante dans cette campagne de protection et de valorisation de MM. Philippe Paolantoni, directeur des affaires maritimes au Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, de Vincent Guigueno, par ailleurs commissaire de cette manifestation, et chargé de mission « patrimoine » au service des phares et balises, ainsi que, pour la direction générale des patrimoines de mon ministère, l’engagement de MM. François Goven, inspecteur général des monuments historiques et Marc Pabois, conservateur honoraire du patrimoine. Je me réjouis de cette politique de protection commune à laquelle mon ministère prend part.
S'ils n'ont pas été, du fait de leur caractère très spécifique, pris en compte dans cette première vague de protection, les fameux « Enfers », phares en mer d'Iroise, popularisés par la photographie et le cinéma, ne sont pas pour autant oubliés. En 2009 le Grenelle de la mer a prévu la mise en place d’une politique de valorisation patrimoniale des phares, ce qui a, notamment, abouti à la création d’un Observatoire des phares en mer d’Iroise, qui associe le service des Phares et Balises des Affaires maritimes, le ministère de la Culture et le Parc marin d’Iroise.
Qu'ils aient ou non conservé leur fonction de signal, certains phares peuvent trouver une seconde vie en tant que monument touristique. A cet égard l’engouement des visiteurs pour ces magnifiques monuments de pierre est plus que conséquent : avec quelque 600 000 visiteurs par an, les phares de France constituent un patrimoine qui participe substantiellement à l’attractivité de nos territoires littoraux. Et je suis convaincu que cette exposition, grâce au talent de ses organisateurs et de toutes les équipes
qui y ont participé, remportera auprès du grand public un succès d’avance mérité.
Je vous remercie.