Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui pour le
lancement de la carte musique.
Voici donc l’aboutissement de l’une des principales propositions du rapport
«Création et Internet » que m’ont remis en début d’année MM. Patrick
Zelnik, Guillaume Cerutti et Jacques Toubon. Cette mesure avait été, vous
le savez, annoncée par le Président de la République lors de ses voeux au
monde de la culture.
Cette carte virtuelle, subventionnée à 50 % par l’Etat, permet dès
aujourd’hui aux internautes âgés de 12 à 25 ans d’accéder aux offres de
musique en ligne sur les plates-formes légales de leur choix, pour un
montant pouvant aller jusqu’à 50 euros.
La carte musique, c’est « deux fois plus de musique » grâce à l’aide de
l’Etat. C’est même davantage, au vu des offres très attractives des
différentes plates-formes. Outre le gain pour le bénéficiaire, c’est aussi une
opportunité formidable pour le développement de la musique en ligne, et
une excellente nouvelle pour la création.
Je tiens en premier lieu à saluer la mobilisation sans faille de toutes les
parties prenantes de ce projet - qu’il s’agisse des éditeurs de service de
musique en ligne, des ayants droit, des prestataires techniques ou des
services de l’administration, en l’occurrence la DGMIC de Laurence
Franceschini.
Je ne sous-estime pas les efforts, la détermination, « l’optimisme de la
volonté » pourrait-on dire, qui ont été nécessaires pour franchir une à une
les nombreuses étapes, administratives, techniques, budgétaires et
juridiques. Je rappelle que l’accord de la Commission européenne a été
obtenu il y a tout juste 15 jours : c’est donc grâce à un véritable tour de
force que nous avons pu finaliser, dans ce délai, le dispositif.
Je souhaite en particulier rendre hommage aux services de musique en
ligne, que ce soit les plates-formes de téléchargement ou de lecture en
continu, les opérateurs de communications électroniques proposant des
offres de musique en ligne ou les distributeurs. Ils ont apporté, j’en ai
conscience, un soutien considérable à la préparation de ce projet, au plan
technique comme au plan éditorial.
Dès aujourd’hui, pour le démarrage de l'opération, ce sont donc 14 offres
qui seront disponibles sur le site www.carte-musique.gouv.fr, parmi
lesquelles l'essentiel des acteurs majeurs et une diversité importante de
types d'offres, de genres et de répertoires et de modes de consommation :
Amazon, CD1D, Deezer, Disquaire Online, eCompil, FNAC, iTunes,
Musicme, Myclubbing Store, MySurround, Orange, Qobuz, Starzik, Virgin
Mega. Compte tenu des délais très serrés imposés aux plates-formes,
plusieurs d'entre elles comme Allo Music, Musicovery, Nokia, Spotify,
7 Digital, SFR, VivendiMe, Yozik et Zaoza ne nous rejoindront
qu'ultérieurement, dans les prochaines semaines ou d'ici la fin de l'année.
Je souhaite, plus largement, saluer la cohésion spectaculaire qui a existé
au sein de l'industrie musicale autour de ce projet. La solidarité des
éditeurs et des professionnels de l’industrie musicale est un atout
formidable pour la réussite de l'opération. Elle prouve le consensus qui
existe actuellement parmi tous les acteurs de la filière musicale autour de
la nécessité de diffuser l'usage des services en ligne.
Comment fonctionne le dispositif ?
Le site de la carte musique www.carte-musique.gouv.fr est à la fois la
vitrine de l’opération et son point d’entrée. Il permet de remplir un
formulaire d'inscription et d’obtenir des codes pour acheter de la musique
sur les plates-formes partenaires, qui sont toutes référencées sur le site.
Une fois inscrit, l’internaute sélectionne le montant qu'il veut investir (5
euros, 10 euros ou 25 euros), sachant que la valeur de son premier ticket
est automatiquement doublé par la subvention. Le total des tickets ne peut
dépasser 25 euros. L’internaute sélectionne alors la plate-forme qu’il
préfère utiliser, et sur laquelle il fera son paiement. Muni d’un code
d'activation qu'il reportera sur la ou les plates-formes de son choix, il peut
dès lors accéder à l'offre correspondant au montant retenu.
Ce système de tickets permet au jeune qui le souhaite de « tester »
plusieurs plates-formes. Le souscripteur qui choisit par exemple un ticket à
cinq euros sur une plate-forme donnée pourra ensuite découvrir l'offre à 10
euros de cinq autres plates-formes : ce levier incite donc l’internaute à aller
découvrir des offres différentes, dans toute leur diversité.
La carte musique s'adresse à un nombre de bénéficiaires potentiels
maximal de un million par an parmi la population des 12-25 ans. L'aide
étant limitée dans son montant et dans sa durée, le principe sera celui du
« premier arrivé, premier servi » pour les bénéficiaires de l'aide. Il n'y a
aucun processus de sélection, hormis la vérification de l'éligibilité, laquelle
se fait sur la base de la date de naissance.
Tout cela est d’une simplicité qui n’échappera pas aux destinataires de la
carte musique : ceux sont, plus que nous, des navigateurs familiers et
agiles de l’univers numérique.
Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais rappeler les raisons
qui m’ont conduit à soutenir dès l’origine cette proposition, à me battre -
car il a fallu être très combatif - pour qu’elle soit mise en oeuvre.
Il faut pour cela repartir du constat de la mission « Création et Internet »,
que je cite : « si les deux tiers des internautes disent connaître l’existence
de services légaux de musique en ligne, le nombre de ceux qui les utilisent
régulièrement reste encore trop faible, puisque l’on estime que le nombre
de titres téléchargés légalement reste encore 20 fois inférieur à celui des
titres échangés illégalement. Dans le même temps, les deux tiers des
internautes qui téléchargent illégalement se disent prêts à utiliser les
services légaux s’ils étaient moins chers. »
Voilà donc le constat à partir duquel la carte musique a été pensée. Son
idée est de participer activement au développement des usages de
consommation légale de la musique en ligne, en complément de
l’approche pédagogique et préventive mise en oeuvre par l'HADOPI. La
carte musique et l’HADOPI participent d’une seule et même démarche qui
vise à modifier le comportement du plus grand nombre des internautes et
à renforcer l’éco-système fragile de la création. Je me félicite donc du
démarrage réussi de la réponse graduée et de la montée en puissance de
l’action d’encouragement de la Haute Autorité au développement de l’offre
légale.
L’idée de l’accès libre et gratuit à la musique en ligne, par le biais du
téléchargement illégal, s’est imposée dans les esprits, notamment des plus
jeunes consommateurs. Cette situation n’est pas satisfaisante : elle ne
permet ni préserver les conditions de la diversité de l'offre musicale, ni de
rémunérer les ayants droit dans des conditions qui puissent assurer le
renouvellement de la création musicale et des talents. En ciblant la
jeunesse, la carte musique vise donc à créer de nouvelles habitudes, à
susciter un réflexe : aller voir du côté de l’offre légale, et découvrir qu’elle
peut être très variée et d’autant plus séduisante que les prix sont attractifs
pour des petits budgets et les plates-formes faciles et agréables
d’utilisation. La jeunesse représente un formidable moteur d’entraînement
pour toutes les pratiques du numérique : si les jeunes adoptent les platesformes,
la partie sera, je le crois, gagnée pour la musique en ligne.
La carte musique permet également de mieux faire connaître la diversité
des offres des éditeurs de musique en ligne : diversité des styles de
musique disponibles (jazz, variété et pop, musique du monde, classique),
des offres éditoriales, des labels et des artistes-interprètes, et des
formules disponibles - abonnements, streaming ou achats à l'acte,
possibilité d'écoute sur un poste fixe ou mobile. S’il faut préserver et
encourager cette diversité, c’est parce qu’elle est source de valeur dans
une perspective aussi bien économique que culturelle. C’est pourquoi
nous avons limité à 20% du total de l’aide globale le montant maximum
dont pourra bénéficier une plate-forme donnée. Ce plafond vise à garantir,
parmi les acteurs économiques impliqués, un pluralisme qui s’avérera l’une
des conditions essentielles du succès de l’offre légale.
Je voudrais également insister sur le caractère particulièrement ciblé et
proportionné de ce dispositif, qui calibre au plus juste l'effort budgétaire de
l'État tout en permettant, par la contribution des différents partenaires du
projet, d'avoir un effet de levier substantiel sur le développement du
marché de la musique en ligne.
La mesure, vous l’avez compris, est ciblée sur une tranche d’âge étroite
(12-25 ans), choisie sur des éléments précis. Les études sociologiques
montrent en effet que c’est dès l’âge de 12 ans que se forment les goûts
et que se forgent les comportements de consommation de musique en
ligne. On sait également que les 12-18 ans sont considérés comme la
catégorie moteur du marché de la musique en ligne, la catégorie 15-24
ans ayant quant à elle une pratique des loisirs numériques bien plus
importante que le reste de la population.
De la même manière, le montant unitaire d’aide (25 € au maximum par
jeune) a été calibré de la manière la plus fine possible, compte tenu du
pouvoir d’achat de la tranche d’âge visée et de l’effet d’incitation
escompté. Lorsque les deux tiers des internautes qui téléchargent
illégalement se disent prêts à utiliser les services légaux s’ils étaient moins
chers, le prix envisageable est souvent situé autour de 5 à 7 euros par
mois pour une formule d’abonnement mensuel avec possibilité d’écoute
d’un nombre illimité de titres. Grâce à la carte musique, les utilisateurs
pourront par exemple accéder à cinq mois de ce type d'abonnement.
Enfin, il est fondamental de noter que l’État n’est pas le seul contributeur
au dispositif. Les éditeurs de service de musique en ligne et les ayants
droit doivent également supporter une partie des coûts de l’opération, à
hauteur de 20 %. Le décret introduit à cet effet un critère d’éligibilité
tendant à s’assurer que les éditeurs de services proposent une offre
commerciale spécifiquement dédiée à l’opération « Carte musique jeune ».
Cette offre devra mettre en valeur son attractivité distinctive - prix plus bas,
durée d'abonnement plus longue pour les services par abonnement.
En conjuguant les contributions des différentes parties prenantes, le
dispositif ainsi conçu a, j’en suis convaincu, tout le potentiel nécessaire
pour déclencher une dynamique vertueuse, à la fois pour la santé
économique de l’ensemble de la filière (plates-formes, producteurs,
artistes) et pour la qualité de l’offre pour les jeunes consommateurs. Pour
une aide de l'État de 25 M€, c'est au total d'emblée 50 M€ qui viendront
alimenter la filière, ceci sans compter l'effet d'entraînement qui sera ainsi
impulsée. Un chiffre à rapprocher à l'échelle du marché de la musique en
ligne qui, je le rappelle, représentait en 2009 quelque 74 M€. Il s’agit bien
de donner un au marché français de la consommation légale de musique
en ligne un électrochoc salutaire.
Je n’ai pas besoin en effet de rappeler devant vous la crise traversée par
l’industrie musicale, ni ses conséquences sur la diversité de la production
de contenus musicaux et le renouvellement des talents. Nous savons que
les chiffres de la production de nouveaux talents demeurent extrêmement
préoccupants puisque l’an dernier, pour la deuxième année consécutive, le
nombre de nouvelles signatures ne vient pas compenser le nombre de
contrats d'artistes auxquels il a été mis fin. Nous savons aussi que, depuis
2003, le nombre de nouveaux talents « engagés » par les maisons de
disques françaises a baissé de 47 %. Il est donc urgent que la filière
musicale retrouve un modèle économique viable, qui passe
nécessairement par la consommation numérique.
Or malgré une forte croissance, l’immaturité du marché du numérique
freine encore le développement de modèles économiques viables, faute
d’un nombre suffisant de consommateurs. Je rappelle que le chiffre
d'affaires du numérique dans le chiffre d'affaires global de la musique
enregistrée ne représente, en France, que 10 %, ce qui est très faible
comparé à plusieurs autres pays d'Europe ou aux Etats-Unis – où cette
part se situe aux environs de 40 %. Nous devons et nous pouvons
augmenter significativement cette part, en faisant en sorte que le
numérique constitue un véritable relais de croissance pour l’industrie
musicale. En donnant aux jeunes internautes un pouvoir d’achat
supplémentaire, l’objectif de la carte musique est précisément de
permettre aux éditeurs de services et aux industriels d’entrer enfin dans un
cercle vertueux où le volume de la consommation légale en ligne
permettra à plus ou moins brève échéance de trouver un modèle
économique qui assure leur pérennité.
La carte musique est, pour toutes ces raisons, l’une des mesures
essentielles du plan de soutien et d’accompagnement de la filière musicale
vers le numérique que je mets en oeuvre.
Mais mon action va au-delà : d’autres réformes importantes sont
engagées en parallèle. Certaines déboucheront très prochainement, vous
pouvez en être assurés. J’ai cependant pour habitude de ne pas
m’exprimer sur les projets qui ne sont pas encore arrivées à maturité. Je
me contenterai donc de quelques indications.
Sachez tout d’abord que j'ai engagé auprès de ma collègue Christine
Lagarde les démarches nécessaires au renforcement, à hauteur de 10
millions d’euros, des moyens du Fonds d'avances aux industries musicales
que gère l'IFCIC. Ce fonds dédié aux PME de la filière musicale a montré
sa pertinence et son efficacité : le besoin de le renforcer dans le contexte
actuel ne me semble pas faire débat. Je peux vous indiquer que le principe
en est acquis. Il reste désormais à en régler les modalités, je l’espère dans
un bref délai.
J’ai par ailleurs défendu auprès de mes collègues du Gouvernement la
revalorisation du Crédit d'impôt en faveur de la production
phonographique. Contrairement à ce que j'aurais souhaité, ce
renforcement ne pourra être effectif dans le cadre de la Loi de finances
initiale pour 2011 compte tenu des efforts que requiert la situation
budgétaire de notre pays. Pour autant, je continuerai à le défendre avec
insistance. Je demeure en effet convaincu que, tout en représentant une
dépense fiscale très modeste, il reste prometteur et même indispensable
au développement des labels indépendants, qui sont les plus fragilisés par
la crise du secteur.
En ce qui concerne la médiation confiée à Emmanuel Hoog sur la gestion
des droits de la musique en ligne, je ne dirais aujourd’hui que peu de
choses, car c’est en ce moment même que se tient la dernière journée de
concertation. Pour autant, je tiens néanmoins à rappeler qu’il s'agit d'un
enjeu absolument crucial pour le décollage définitif de services musicaux
en ligne attractifs qui puissent être des moteurs de la croissance du
marché de la musique. Le mode de fonctionnement actuel ne peut en
aucun cas être maintenu : il est incompatible avec l’épanouissement d’une
offre abondante et diversifiée, garante du financement de la création et de
la diversité culturelle. L’échec n’est donc pas permis et j’appelle par
conséquent chacun à prendre ses responsabilités, toutes ses
responsabilités, pour que soient trouvées, très rapidement, des réponses
collectives et concrètes. C’est une nécessité impérieuse et je tiens à
renouveler à Emmanuel HOOG toute ma confiance et mon plein soutien
pour qu'il aboutisse dans la mission de médiation que je lui ai confiée.
Vous l’avez compris, nous ne sommes pas encore tout à fait au bout du
cycle « Création et internet ». Le moment n’est donc pas encore venu de
m’exprimer sur la prochaine étape. Mais soyez assuré qu’il y en aura une.
À l’instar d’autres secteurs des industries culturelles comme le cinéma ou
le livre, le secteur de la musique mérite d'être considéré globalement. Il
n’est plus envisageable de traiter séparément les créateurs, les
producteurs de phonogrammes, les producteurs de spectacles, les
éditeurs et les distributeurs. De nouvelles pistes de réflexions, de
nouveaux projets, de nouveaux modes de soutien doivent donc être
envisagés pour l’avenir de la filière musicale - en nous donnant le temps,
en prenant du recul par rapport à l'urgence.
J'ai le sentiment que nous y sommes tous prêts. J'aurai bientôt, je pense,
l'occasion de vous en reparler. Mais pour l’heure, place à la musique.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion du lancement de la Carte musique
Monsieur le Député, cher Frank Riester,Mesdames et Messieurs,
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