Au moment d’ouvrir cette cérémonie de vœux, je me rappelle les maximes de LICHTENBERG, le grand moraliste de GÖTTINGEN. Dans les aphorismes que nous a laissés l’espiègle écrivain allemand du XVIIIe siècle, le fameux auteur de Consolations à l’adresse des malheureux qui sont nés un 29 février, j’ai retenu une phrase que je trouve particulièrement savoureuse. Elle dit que « faire un vœu est un plus grand péché que de le rompre »… LICHTENBERG aimait à se moquer de nos cérémonies, de nos calendriers et de nos conventions…
Et pourtant, je veux faire mentir ce scepticisme, et en ce début d’année 2010, un peu plus de six mois après mon arrivée rue de Valois, j’ai souhaité sacrifier à la tradition et former pour vous, pour nous tous et avec vous des vœux pour la nouvelle année qui commence, afin qu’elle signe une nouvelle page dans la défense et l’illustration des idéaux et des valeurs de la Culture et de la Communication – j’ai presque envie de dire des cultures et de leur communication.
Car pour moi, comme pour le Président de la République, qui l’a rappelé lors de ses vœux du 7 janvier dernier à la Cité de la Musique, le développement c’est-à-dire aussi le partage de la Culture en France est une cause d’intérêt général que je porte ici avec une détermination quotidienne et une attention scrupuleuse.
Je sacrifie à cette cérémonie aussi parce que je sais que vous êtes dans l’attente de mieux saisir les attendus et les contours de la politique que je mène depuis six mois, à la tête de ce ministère et que c’est l’occasion de vous expliquer ma vision de ce que doit être une politique culturelle.
Ce début d’année tombe, en fait, à point car il marque pour moi l’aboutissement d’un premier semestre de travail, où j’ai voulu me donner le temps de la réflexion, sans négliger, pour autant, bien entendu, les nécessités de l’action que bien des dossiers ont imposées.
Cette réflexion, je l’ai menée à la fois ici, avec mes collaborateurs, avec l’administration renforcée et les forces concentrées de mon ministère, avec les nombreuses personnalités que j’ai rencontrées pour recueillir leur point de vue. J’ai souhaité aussi l’élargir à des professionnels avérés et souvent chevronnés d’un certain nombre de domaines et de secteurs importants qui relèvent de mon portefeuille.
Je pense à la mission TESSIER qui m’a remis récemment, vous le savez, un rapport d’excellente facture, capable de manier avec brio l’audace et l’équilibre, au sujet d’une question complexe, et parfois traitée jadis avec des accents qui relevaient peut-être davantage du village gaulois que du message gaullien. C’est en suivant cette méthode de l’écoute et du conseil, que nous avons déjà réussi, je crois, à rebattre les cartes et à faire bouger les lignes.
Parmi les réflexions fructueuses dont j’ai tenu à accompagner mon action, je pense aussi, bien sûr, à la mission « ZELNIK, TOUBON, CERUTTI », visant à développer l’offre légale sur Internet, et dont nous avons commencé à étudier les propositions ingénieuses et novatrices avec toute l’attention qu’elles méritent. Ce travail démontre, si besoin était, que, loin de ressembler à cette caricature d’ennemi du Net que certains voudraient tracer, j’ai fait de la révolution numérique et de tout ce qu’elle entraîne comme potentialités exceptionnelles, mais aussi comme périls pour certaines valeurs inaliénables tel que le droit de l’artiste à être rémunéré pour son travail, l’une des grandes priorités de mon action au ministère.
Cette action, le numérique en est l’un des outils, et je lui ai donné un nom, qui est comme ma devise, mon viatique et presque mon slogan : « la culture pour chacun ». Voilà la direction dans laquelle je veux aller et je veux que nous marchions ensemble avec mon administration ici à Paris, en régions et dans chacun de nos territoires, pour écrire un nouveau chapitre de la Culture française que marque non seulement la nouvelle année, mais aussi la clôture des commémorations du cinquantenaire de notre ministère.
Cinquante ans durant, l’exigence constante de la démocratisation culturelle a bâti un socle à partir duquel il est possible aujourd’hui d’inventer de nouveaux horizons. Ce nouvel horizon, mon idéal, mon rêve pour la culture de demain, c’est ce que j’appelle, je vous l’ai dit : « la culture pour chacun ».
Je dis « la culture pour chacun », et non pas seulement « la culture pour tous ». Car la culture doit toucher chacun dans sa particularité, sa personnalité, sa différence, que ce soit d’origine, de milieu, de territoire, de sensibilité, ou encore de génération. Rien n’est plus émouvant que de voir les frontières sociales rendues artificielles par la magie de la culture, quand une association de quartier va aux textes classiques, quand les textes classiques pénètrent dans les quartiers. Je pense aux vidéastes de LENS, à l’atelier de MARSEILLE... Je travaille en étroite collaboration avec ma collègue Fadela AMARA précisément pour cela : pour que ce mot de « chacun » ne soit pas un vain mot, mais un tremplin, car la culture, loin d’être un luxe, est l’une des clefs de la réussite sociale.
Je dis : « Culture pour chacun » : car la culture est toujours reçue de manière singulière dans la subjectivité de chacun, accueillie dans son environnement social et personnel.
« Pour chacun » en particulier : car la culture, j’aime à le dire, est du domaine de l’intime. De cet « intime » qui est, en même temps – et c’est là tout le paradoxe – fondateur de notre vivre-ensemble collectif, car ce qui est le plus profond est ce qui peut le mieux servir de fondement à l’amitié et à ce sentiment de fraternité qui est l’un des idéaux républicains auquel nous contribuons sans doute, ici, plus que bien d’autres ministères.
« Pour chacun », parce que « la culture pour tous », c’est trop souvent la culture pour les mêmes, toujours les mêmes – parfois même pour quelques-uns seulement – et que justement la culture aujourd’hui, cinquante ans après la création de ce ministère, doit savoir aller à la rencontre de chacun, avec générosité, attention et sans entrave.
« La culture pour chacun » car la culture n’est pas seulement une « affaire d’Etat », et que chacun, je pense aux mécènes, aux partenaires privés, doit trouver sa place dans le soutien à la création et la valorisation de notre patrimoine.
« La culture pour chacun », car chacun construit son propre monde à partir des cultures dont il a reçu l’héritage ou qu’il a choisi de se donner en partage.
C’est dans la richesse de ces échanges et de ces métissages que se construit aujourd’hui notre identité.
C’est pour réaliser cette exigence de la « culture pour chacun » que j’ai décidé de faire des priorités de mon action : de l’Outre-Mer, de la ruralité, de la gratuité des Musées pour tous les jeunes résidant légalement sur le territoire de l’Union européenne, mais aussi de ce grand espace ouvert et de cet « humanisme à visage urbain » que sera le Grand Pari(s), ainsi que le Grand Lyon, le Grand Marseille à venir et à imaginer. Autant de projets dans lesquels l’architecture jouera pleinement son rôle de construction de l’espace public autant et plus encore que de l’espace physique.
C’est pour cette raison aussi que j’ai soutenu les initiatives de l’implantation du Louvre à Lens ou du Centre Georges-Pompidou à Metz, autant d’innovations qui, j’en suis sûr, ont vocation à essaimer et à se multiplier. C’est pour cette raison aussi que je travaille aux grands projets que sont la Maison de l’Histoire de France, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille, la Philharmonie, le Palais de Tokyo, et à tant d’autres projets parfois moins grandioses, mais non moins essentiels, et qui devront incarner les besoins et les rêves de chacun et de tous, jusque dans les mailles les plus fines de notre territoire.
Tous ces « médiateurs de proximité » que constituent nos musées et nos monuments, ont un rôle de tout premier plan à jouer pour briser les « plafonds de verre » qui, trop souvent, retiennent nos concitoyens à la porte de la culture, et pour faire que l’intimidation sociale ne soit pas un obstacle à ce dialogue intime de chacun avec la culture.
C’est pour chacun qu’il faut créer des chemins vers les œuvres. Car elles ne sont pas des isolats sublimes qu’il suffirait d’approcher pour les goûter et les comprendre, mais elles nécessitent une initiation, dès le plus jeune âge. C’est pourquoi j’ai mis en place, avec mon collègue de l’Éducation nationale Luc CHATEL, un programme d’éducation artistique et culturelle à l’école, enfin entré en vigueur à tous les niveaux scolaires, et qui permettra désormais à chacun des élèves d’aiguiser sa sensibilité aux arts et donc de s’initier à la complexité. Cette réalisation me tient particulièrement à cœur et le « portail des arts », désormais accessible sur Internet, en constitue une réussite évidente.
Dans un monde très mobile où les repères paraissent parfois moins clairs qu’autrefois, l’initiation aux arts doit aller de pair avec la formation de l’esprit critique : c’est le sens de l’opération « Mon journal offert », qui permet à chacun des jeunes de 18 à 24 ans de recevoir pendant un an le quotidien de son choix, chaque semaine, parmi 60 titres de presse nationale et régionale. Cette opération est d’ores et déjà un formidable succès et, dans ce domaine comme dans d’autres, mon intention est de semer pour l’avenir.
La culture pour chacun, c’est aussi la culture scientifique, qui ne doit pas être séparée de la culture générale, si nous voulons construire cette « société de la connaissance » dont nous avons besoin au XXIe siècle. « Universcience », né d’un rapprochement entre la Cité des Sciences et de l’Industrie et le Palais de la Découverte, mènera cette reconquête sous l’égide de Claudie HAIGNERÉ.
Un autre domaine où l’audace doit prévaloir et où un nouveau chapitre est en train de s’écrire, c’est le Spectacle vivant. Nous sommes en train de récolter les fruits des quelque 420 heures de débat des Entretiens de Valois, c’est-à-dire de ces échanges nourris, parfois même assez francs, entre l’Etat, les collectivités territoriales et les professionnels du spectacle. Il en ressort que l’on attend de nous une clarification de notre action et notamment de la politique des « labels » dont les critères doivent être transparents et clairs pour tous, afin que les publics puissent se repérer parmi le foisonnement de spectacles qui se fait jour partout sur notre territoire. Ces labels doivent être évidemment un gage de qualité et d’excellence qui protège les artistes en même temps qu’il rassure et oriente les publics. « La culture pour chacun », c’est aussi une carte des spectacles lisible où chacun peut trouver le chemin des genres et des artistes qu’il affectionne, que ce soit le théâtre classique ou plus novateur voire expérimental, le ballet et la danse contemporaine, le nouveau cirque, la musique savante ou populaire, ou encore le Slam, cette nouvelle manière de porter et de partager la langue française, à laquelle je m’intéresse beaucoup. Chacune de ces formes et tant d’autres, qui d’ailleurs ne dédaignent jamais de se métisser, doit être repérable, afin que le public lui-même fasse son choix et compose à sa guise ses plaisirs et sa culture.
C’est aussi pour réaliser cet objectif prioritaire de la « culture pour chacun » que j’ai donc fait, je le disais, de la numérisation le grand enjeu des années 2010 pour la culture et l’axe principal de ma politique. Car aujourd’hui, nos pratiques culturelles passent chaque jour davantage par le numérique et en particulier par Internet, comme l’a confirmé l’enquête décennale du Ministère, qui a confirmé l’omniprésence de cette nouvelle « culture d’écran ». Aujourd’hui, plus que jamais avec Internet, la Culture et la Communication sont donc véritablement réunies et reliées par un lien désormais indissociable. Pour mener à bien cette grande politique numérique, j’ai reçu le plein soutien du Président de la République et du Gouvernement : la Commission du Grand Emprunt nous a octroyé pas moins de 750 millions d’euros pour cette grande œuvre de conservation et de diffusion numériques de notre patrimoine et du travail de nos artistes. Nous pourrons ainsi faire une large place, non pas seulement au développement des grandes infrastructures, mais aussi à la valorisation des contenus culturels.
Internet, c’est aussi un défi pour la presse, auquel le ministère a répondu de façon forte : le soutien sans précédent accordé à ce secteur se double d’un renforcement du statut des éditeurs sur Internet, afin que le pluralisme d’opinions soit préservé et même renforcé dans notre démocratie. Un an presque jour pour jour après la conclusion des États Généraux de la Presse Écrite lancés par le Président de la République, nous pouvons mesurer le chemin parcouru et apercevoir les perspectives qui s’ouvrent pour ce secteur, ainsi que les chantiers qui restent encore à mener à bien. La presse avait besoin de réponses industrielles à des problèmes industriels, concernant en particulier l’impression, les fonds propres et la distribution : nous les avons apportées et sommes en train de finaliser ce premier volet industriel par une réorganisation du système de distribution. À cet égard, la mise en place, par le Premier ministre, d'une mission de médiation confiée à Bruno METTLING, pour déterminer les engagements respectifs de l’Etat et des professionnels, témoigne de l’attachement du Gouvernement à trouver une issue favorable à la crise que traverse actuellement ce secteur. Le second volet est d’ores et déjà engagé : il concerne la qualité des contenus d'information, la revalorisation des métiers et des pratiques du journalisme, la préservation du pluralisme des opinions sur tous les supports, et la reconquête des public. C'est dans ce cadre que le ministère s'intéresse particulièrement au photojournalisme, que nous préparons dès maintenant une extension de l'opération « Mon Journal Offert », avec une probable ouverture au-delà de la presse quotidienne ; c’est aussi dans ce cadre qu’intervient une réflexion sur la modernisation de l’Agence France Presse, notre grand champion national et international de l'information. J’ai mis en place, vous le savez, un groupe de travail chargé de faire des propositions sur une réforme de son statut, afin que celle-ci puisse continuer à exercer sa mission dans les meilleures conditions possibles, et ses conclusions me seront remises d’ici le printemps. Voilà quelques-unes des initiatives que nous avons lancées dans le secteur de la presse, et je crois pouvoir dire que, face aux mutations que connaît ce secteur, le ministère a saisi les problèmes à bras-le-corps et que le chantier est maintenant bien avancé ; nous le mènerons jusqu’à son terme.
La révolution numérique touche tous les domaines de la Culture et de la Communication : le cinéma – un secteur extrêmement florissant, vous le savez – avec un effort important pour l’équipement des salles en numérique, sous l’égide du CNC ; la télévision, avec le lancement réussi de la TNT ; le livre, bien sûr, et la question de la numérisation – en particulier de la BnF et de Google, mais pas seulement – à laquelle nous travaillons pour trouver la réponse la plus équilibrée et la plus adaptée.
Le numérique, et les chances sans précédent d’échanges qu’il rend possible, joue un rôle essentiel, mais ne se substitue jamais à la présence immédiate, réelle et non virtuelle, la confrontation avec les œuvres – que ce soit dans les musées ou dans le domaine du spectacle. Il est plutôt un démultiplicateur du désir de voir et de connaître, une invitation à la découverte. C’est pourquoi je suis persuadé que ce choix d’avenir sera porteur de développement culturel, mais aussi d’une autre forme de croissance, durable et partagée.
Cette « culture pour chacun » que nous allons porter ensemble s’incarnera aussi dans les grands événements populaires qui vont scander l’année 2010, particulièrement riche en célébrations nationales : je pense notamment à l’anniversaire du 18 Juin 1940, à « l’année HENRI IV », mais aussi aux anniversaires de nombreux artistes et non des moindres – CHOPIN, MUSSET, ANOUILH, Jean-Louis BARRAULT, ainsi que DU BELLAY, NADAR, pour n’en citer que quelques-uns – sans oublier la mémoire de l’indépendance des pays d’Afrique francophone, dont la célébration, notamment lors de notre fête nationale, constituera un moment fort. Je pense aussi à l’Année croisée France-Russie, qui permettra de renforcer les échanges entre deux pays dont les relations culturelles ont toujours été particulièrement intenses, notamment dans les domaines musical et littéraire. Ces célébrations sont une œuvre de mémoire collective qui est une manière de tisser sans relâche notre cohésion nationale et notre lien social, en même temps que nos relations avec nos partenaires européens et étrangers.
Nous avons les ressources nécessaires pour mener à bien cette politique. Le dégel de la totalité du budget de notre ministère, annoncé il y a quelques jours par le Président de la République lors de ses vœux au monde de la Culture, témoigne du soin tout particulier qui est apporté par le gouvernement à la Culture et la Communication.
J’ajoute que nous parviendrons d’autant mieux à réaliser cet objectif de la « culture pour chacun » que nous disposons désormais d’un outil administratif modernisé, plus ergonomique et mieux adapté à la complexité des évolutions actuelles dans la mondialisation. Je sais les inquiétudes que ce changement a pu susciter chez certains et je les comprends ; mais je sais aussi que chacun en saisit la nécessité, qu’il se trouve en administration centrale, dans les services déconcentrés de nos régions, dans nos établissements publics.
A l’orée de cette nouvelle année, je voulais m’adresser à vous pour vous dire ma détermination à poursuivre notre engagement à tous en faveur de l’exception culturelle française.
Cette exception culturelle, c’est précisément une forme de la « culture pour chacun », c’est-à-dire le respect de la particularité et de la diversité non seulement de la Culture en tant que telle, mais de chacune des cultures qui constituent la richesse inaliénable de l’expérience humaine et dont la protection, la promotion et la communication, sous toutes ses formes, sont notre grand défi à tous et, bien sûr, à chacun.
Voilà… Je m’étais promis de ne vous parler qu’un « petit quart d’heure ». Or, pour revenir à LICHTENBERG, je me souviens qu’il disait aussi : « Il est bien connu que les petits quarts d'heure sont plus longs que les quarts d'heure »… J’espère ne pas avoir abusé de votre patience…
Je vous remercie.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la présentation de ses voeux à la presse
Mesdames et Messieurs,
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