Elles sont, chacune dans leur domaine, des personnalités emblématiques du monde de la culture. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, elles livrent un témoignage sur leur parcours et leurs convictions. Treizième volet de notre série : Nacera Belaza, chorégraphe (13/15)

A la tête de la compagnie qu’elle a fondée en 1989,  la chorégraphe Nacera Belaza multiplie les projets pour sensibiliser de nouveaux publics à la danse ou réconcilier les deux rives de la Méditerranée.

Votre talent et votre engagement font de vous une personnalité emblématique du monde de la culture. Quelles sont les principales étapes de votre parcours ?

La première étape, je l'ai atteinte très tôt, le jour, l’instant où j’ai su que mon être, dans sa totalité, allait devoir s’exprimer, se connaître, se réaliser au travers de mon corps. La seconde, ce fut le moment où je pris la décision intime de me consacrer à l’Art de la Danse. Après des études de lettres et de cinéma dont les possibilités me paraissaient vastes et riches, je doutais de l'expression existentielle que la danse proposait, cet art me paraissait trop étriqué. Comment le corps pouvait-il porter nos plus grandes aspirations, répondre à nos questions les plus pressantes ? Je me souviens, précisément du moment, vertigineux, où j’ai pris la décision de tenter de résoudre ce problème. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que ces deux moments furent pour moi des points de bascule, des instants déterminants et irréversibles de ma vie.

Dans le domaine culturel, l'égalité entre les femmes et les hommes connaît aujourd'hui encore une situation contrastée. Quelle place les femmes occupent-elles dans votre secteur ?

Je pense que les fonctions occupées au sein des compagnies montrent une assez bonne parité entre les femmes et les hommes dans leurs attributions. En revanche, l’accès aux postes de direction des organismes officiels structurant le monde de la danse, les Centres chorégraphiques nationaux par exemple, ne présente pas le même équilibre.

Cependant, tout au long de ma carrière, ma préoccupation première ayant été de sonder, d’interroger la nature humaine en ce qu’elle possède d’universel, de commun à chaque être, je ne me suis que peu attachée à ce qui prétend nous définir, nous distinguer, en tant qu'individu. Dans une société de plus en plus clivée, divisée, il me semble qu’au-delà des catégories femme ou homme, il est essentiel, et même urgent, de défendre une cause supérieure à soi, en mesure de produire de la réconciliation, de l’unité.
 

Votre personnalité est reconnue dans lutte pour l’égalité femme-homme. À quoi attribuez-vous cette visibilité ?

Si cette lutte a eu lieu, elle s’est faite sans que j’y prête attention, du simple fait d'avoir toujours aspiré à une liberté inconditionnelle. C'est ce qui m’a permis, je crois, de me défaire d’innombrables projections, que ce soient les miennes ou celles des autres. Il me semble indispensable, si l’on poursuit une quête de liberté, de se définir en regard de ses propres aspirations et non par rapport ou contre l’autre. Si mon travail a eu la chance de résonner aussi fortement chez l'autre, c’est qu’il procède d’une véritable nécessité. Et ce même s'il est devenu fort délicat et bien difficile, dans nos sociétés survoltées et à la fois empêchées dans leurs élans, de retrouver et préserver la pureté d’un tel acte.
 

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes femmes qui voudraient entreprendre une carrière dans le domaine culturel ?

De ne surtout pas attendre qu’on leur accorde ou reconnaisse leur liberté ; cela ne viendra en aucun cas de l’extérieur, il leur faudra s’en emparer de toute urgence. Il y a cette phrase de Rainer Maria Rilke dans Lettre à un jeune poète que j’ai lu très jeune, et qui je pense a orienté de façon définitive mon parcours. Répondant à un poète en devenir qui lui demande « s’il doit » écrire, il dit : « Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : Suis-je vraiment contraint d’écrire ?... Si cette réponse est affirmative alors construisez votre vie selon cette nécessité ». Par conséquent la question pour moi, vous l’aurez compris, n’est pas de savoir comment faire partie du milieu culturel, mais d’engager et de jouer sa vie à chaque instant.

 

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