Je suis très heureux de l’occasion qui est offerte d’entrouvrir le Musée Picasso et de me trouver ainsi, à vos côtés, en haut de cet escalier somptueux de l’Hôtel Salé, pour vous présenter la métamorphose du musée. Vous le savez, j’ai souhaité engager une politique ambitieuse dans le domaine des musées, et cela à tous les niveaux, en accompagnant nos grands établissements dans leurs ambitions stratégiques, en développant – grâce au « Plan Musées » annoncé en septembre 2010 – une action volontariste en faveur de 79 musées présents en région, en relation avec les collectivités territoriales. L’innovation en matière de politique des musées, elle est au cœur de mon action, avec l’idée que ce sont les collections, leur spécificité, leur histoire qui nourrissent des modèles de développement différents. Dans une offre qui s’adresse au monde, dans un paysage de plus en plus ouvert et parfois dématérialisé, face à des publics hétérogènes, il n’y a pas un modèle de croissance pour nos musées au XXIe siècle, il y a des modèles, il y a des stratégies de développement. Le musée Picasso repensé et rénové est au cœur de cette politique que j’ai engagée, soucieuse de la spécificité de chaque collection, soucieuse des œuvres qui y sont réunies, soucieuse des métiers scientifiques qui sont au cœur de l’idée même de musée. Soucieuse également de penser et d’inventer le musée du XXIe siècle à travers son inscription dans un nouvel âge numérique, à travers sa place dans la ville et dans le paysage qui l’environne, à travers enfin l’idée de son déplacement vers les publics empêchés, les publics éloignés, vers celles et ceux qui ne vont pas spontanément au musée.
Ce projet d’extension et de rénovation du musée Picasso, j’ai souhaité le promouvoir dès mon arrivée rue de Valois. Ma démarche s’inscrit dans la continuité de celle de mes prédécesseurs : André Malraux, le premier, en grand ami de Pablo Picasso et amoureux des arts, décida de la création d’un musée national Picasso. On lui doit également le plan de protection patrimonial du quartier du Marais qui permit de sauver l’hôtel Salé. C’est Malraux qui impulsa la démarche d’innovation règlementaire mise en œuvre en 1968 par Valéry Giscard d’Estaing avec la loi sur la dation en paiement des droits de succession sous forme d’œuvres d’art. La dation Picasso fut en effet la première à avoir lieu en France. Elle permit de réunir plusieurs milliers d’œuvres et de constituer la plus grande collection publique au monde de l’œuvre de Picasso comme de créer ex nihilo un grand musée monographique.
On doit à Michel Guy en 1979 le choix de l’Hôtel Salé – en plein accord avec la famille de l’artiste - pour y implanter le musée. L’Hôtel Salé est un écrin de premier ordre, d’un très grand intérêt patrimonial, témoignage des arts décoratifs à l’époque de Mazarin : c’est le lieu adéquat pour la présentation de l’œuvre de Picasso, lequel a travaillé sans vie durant dans des ateliers et bâtiments aux volumes comparables. Jack Lang oeuvra à la réalisation du premier chantier de rénovation de l’hôtel et d’aménagement du musée confié au grand architecte Roland Simounet. François Mitterrand inaugura cette importante et nouvelle institution muséale à l’automne 1985.
Aujourd’hui, c’est un pas supplémentaire qui est franchi en faveur de l’édification d’un pôle de rayonnement mondial sur Picasso en France. Ce pays que le maître découvrit à l’âge de 19 ans, où il s’installa dès 1904 et où il vécut et travailla jusqu’à sa mort en 1973, à l’âge avancé de 91 ans.
Certes il était nécessaire de restaurer le monument historique – ce que le ministère a fait, ce que vous avez fait, chère Anne Baldassari, 2006 et 2009 en conduisant un premier chantier de restauration des façades et décors de l’hôtel. Le projet de « grand musée Picasso » voit plus loin. Cela tient à la dimension mondiale, à la reconnaissance internationale qui entoure cette collection Avec 5000 œuvres et 200 000 pièces d’archives, c’est non seulement la plus importante collection publique au monde sur le maître, mais c’est aussi la seule qui permette, par sa qualité et sa diversité, une traversée complète de toute l’œuvre de Picasso : peinture, sculpture, dessin, gravure, photographie, céramique, livres illustrés, films, manuscrits, documents et imprimés.
Cette collection, en outre, est la seule à témoigner du processus de création de l’artiste, à travers carnets de dessins, états de gravures, variations photographiques, maquettes, correspondances et documents de toute nature.
Des lieux aussi étroits et inadaptés ne pouvaient à long terme absorber une telle attractivité et un tel engouement. Avec 1600 m² de surfaces d’exposition sur les 5700 m² que comptait l’hôtel, le musée se trouvait dans l’impossibilité de déployer pleinement la richesse de la collection permanente. Il était de plus, contraint de la décrocher épisodiquement pour organiser des expositions temporaires, ce qui ne pouvait que frustrer les attentes du public. Il était en outre matériellement impossible d’exposer la belle collection particulière de maîtres anciens et modernes réunie par Picasso, comme l’exigeait pourtant la clause de sa donation à l’Etat.
Depuis 1985, le public est devenu plus exigeant, plus international, plus informé aussi. Les grands musées sont des lieux-mondes, des territoires d’expérimentation culturelle qui proposent - au-delà d’une collection, si exceptionnelle soit-elle - une programmation d’expositions temporaires, d’évènements scientifiques et culturels, de spectacle vivant ou multimédia, des services éducatifs et culturels, un accueil adapté pour les publics scolaires, des lieux d’étude, de recherche et de documentation. Autant de fonctions que ce chef d’œuvre de l’architecture « mazarine » ne permettait pas de satisfaire dans sa configuration de 1985.
C’est toute l’ambition du chantier lancé depuis l’automne 2011. La surface désormais dédiée au public passera à près de 6000 m² sur les 9000 m² que comptera le nouveau site, ce qui est remarquable dans le tissu urbain si dense et si exigeant du Marais, en plein cœur de Paris.
Tout aussi remarquable a été la méthode arrêtée pour ce projet de restauration, restructuration, modernisation et d’extension, conçu comme un dialogue avec l’urbanisme du quartier, le caractère historique de l’Hôtel, et l’importante proposition architecturale de Roland SIMOUNET. En effet, le programme de rénovation de l’hôtel Salé prévoit de « restaurer » dans leur état initial les grands aménagements de Roland SiMOUNET qui avaient été considérablement dégradés par 25 années d’utilisation. Je tiens à le dire ici à Madame LANGRAND, compagne de Roland SIMOUNET, la singularité architecturale de son œuvre architecturale sera pleinement respectée.
Si les mètres carrés augmentent, c’est avant tout parce que le musée a pris le parti de consacrer le monument historique aux fonctions nobles de présentation des œuvres et d’accueil du public. Les fonctions administratives et techniques (bureaux, réserves, installations diverses) qui occupaient près des deux-tiers de l’hôtel, seront soit enfouies, soit délocalisées, soit installées dans des immeubles mitoyens. Ces immeubles qui comptent 900m², ont été récemment acquis par le musée sur ses fonds propres ; ils seront rénovés et réaménagés dans le courant de l’année 2012. Les visiteurs du musée vont donc, grâce à cette restructuration, avoir accès à des espaces nouveaux, notamment le troisième étage situé dans les combles de l’hôtel, la moitié du deuxième étage, les Communs, son pavillon et sa terrasse, ici à ma gauche, qui pourra désormais accueillir le public pour un cours d’architecture exceptionnel. L’un des maîtres d’œuvre du projet, M. Jean-François BODIN, architecte libéral, qui travaille en étroite relation avec M. Stéphane THOUIN, Architecte en chef des monuments historiques en charge de l’hôtel Salé, nous en dira davantage tout à l’heure.
Et puis il y aura l’extension à proprement parler, la nouvelle aile qui surélèvera l’actuel garage du musée situé le long des jardins et donnant sur la rue Vieille-du-Temple. Dans le projet de Roland Simounet, ce garage était destiné à être le socle d’un immeuble d’ateliers d’artistes avant que des restrictions budgétaires n’y fassent renoncer.
Nous irons dans le jardin tout à l’heure : chacun mesurera tout l’intérêt qu’il y a aujourd’hui à construire sur cette parcelle constructible du musée, devenue par l’effet du temps et de l’inachèvement du projet de 1985, une sorte de friche urbaine en plein cœur du Marais. Monsieur le Maire du 3ème arrondissement, qui connaît mieux que quiconque les désagréments liés à cette friche, ne me donnera pas tort.
En effet, cette extension, d’environ 2000 m², permettra de créer une galerie d’expositions temporaires, mais aussi des locaux pour accueillir le jeune public et les scolaires. Elle fonctionnera comme un véritable équipement de quartier, ouvert sur la ville et ses habitants. La communication avec l’Hôtel Salé se fera en sous-sol, et la construction se fera dans le cadre de la révision du plan de sauvegarde et de mise en valeur du Marais (PSMV) et dans un dialogue attentif et constant avec la ville de Paris qui est, je le rappelle, propriétaire de l’Hôtel Salé. Un concours international d’architectes sera lancé cet automne. Il permettra de choisir le projet qui dialoguera le mieux avec l’architecture du XVIIème siècle et l’urbanisme du quartier.
Rénové et doté de ces nouveaux espaces, le musée Picasso proposera à partir de mai 2013 – date prévue de sa réouverture- un programme scientifique et culturel de haut niveau qui fera de lui un pôle à la fois parisien et international.
Depuis votre nomination en 2005, chère Anne Baldassari, je sais quels ont été vos efforts pour dynamiser la fréquentation du musée et développer un ambitieux programme culturel et scientifique. Je pense au succès rencontré par les expositions Picasso/Dora Maar, Picasso Cubiste, Laboratoire Central, 1937-2007 :Hommages à Guernica, Picasso-Carmen, Daniel Buren : la Coupure, Picasso/Berggruen : une collection particulière.
Grâce à ce chantier, grâce au triplement des surfaces muséographiques, le musée Picasso peut désormais entrer pleinement dans le XXIe siècle. La totalité de l’Hôtel Salé sera consacré aux collections permanentes ; une politique d’accueil des publics en faciliteront l’accès et la valorisation ; le musée proposera régulièrement des cycles d’expositions temporaires ; des événements et spectacles vivants en résonance avec l’œuvre et la vie de Picasso comme aux artistes qui lui furent liés pourront être programmés ; un centre de documentation et de recherche de tout premier plan mondial pourra voir le jour ; l’accueil des publics en situation de handicap sera facilité et encouragé. Sans oublier une politique de mécénat dynamique grâce à la création d’un fonds de dotation dont la présidence d’honneur sera confiée à un très grand mécène français.
Cette transformation profonde, Mesdames et Messieurs, n’aurait pas été possible sans deux conditions et deux préalables.
Un chantier institutionnel d’une part, préalable aux chantiers immobiliers et culturels que je viens d’exposer. Si le musée exerce la maîtrise d’ouvrage de ses chantiers, s’il a pu faire acheter ses futurs immeubles de bureau, s’il peut construire sa politique scientifique, culturelle, patrimoniale, économique pour les années à venir, c’est parce qu’à l’instar d’autres grandes institutions muséales, il a été doté du statut d’établissement public administratif (EP) sous tutelle du Ministère de la Culture et de la Communication (Direction générale des Patrimoines).
Avec le Musée Picasso, nous avons poursuivi une décennie de transformation en établissements publics des institutions du ministère qui en avaient l’échelle suffisante pour conduire un projet scientifique, culturel et économique plus autonome. C’est une réforme considérable et dont vous pouvez tous ressentir les effets en mesurant le dynamisme du musée national Picasso dans cette phase de reconstruction.
Il y a tout juste un an, je suis venu assister à la séance inaugurale de votre conseil d’administration. J’ai pu remarquer l’engagement et la crédibilité de ce conseil, notamment celui des personnalités de droit ou de personnalités qualifiées : Mme Anne SINCLAIR, journaliste et mécène ; M. Claude PICASSO, administrateur judicaire de l’indivision Picasso ; M. Jean-Paul CLAVERIE, conseiller du président de Louis Vuitton-Moët Hennessy (LVMH) ; Mme Maria EMBIRICOS, grand mécène ; M. Pierre AIDENBAUM, maire du 3ème arrondissement. Certaines sont présentes ce matin ; je leur renouvelle ma gratitude et mon soutien pour leur engagement dans ce projet exemplaire.
Alors que vous avez dû conduire plusieurs chantiers immobiliers lourds, développer l’implantation géographique du musée, réorganiser son travail, préparer la réouverture dans des conditions de fonctionnement renouvelées, vous et votre équipe - équipe restreinte mais très motivée - ont conduit cette entreprise avec résolution et passion .
La deuxième condition de cette mue nécessaire, ce sont les financements internationaux que vous avez réussi à rassembler grâce au programme d’expositions internationales de la collection du musée. Je sais que le mérite vous en revient, je sais l’énergie que vous avez déployé et déployez encore pour rassembler les 35 millions d’euros inscrits dans le plan d’affaire. J’ai souhaité que l’Etat accompagne cette transformation décisive avec un engagement à hauteur de 19 millions jusqu’en 2013. Car il s’agit bien ici de valoriser un patrimoine national, de créer les conditions d’un « désir de voir » - ou de revoir - préalable à tout projet culturel ambitieux ouvert sur le monde.
Vous avez su faire de ce qui était a priori une faiblesse -la fermeture du musée pour travaux - une force. Puisque le monde ne peut plus venir au musée –il faut rappeler que 65% de la fréquentation du musée était internationale-, le musée ira vers le monde ! On me dit qu’à ce jour, de Madrid, Abou Dhabi, Tokyo, Helsinki, Moscou, Saint Petersburg, Seattle, Richmond, San Francisco, Taipei, Shanghai et Sydney, plus de 4 millions de visiteurs on fréquenté les expositions internationales de la collection du musée Picasso. D’ici à la réouverture du musée, ce chiffre sera porté à plus de 6 millions. Soit, en 3 années de tour du monde, la moitié de la fréquentation totale du musée depuis son ouverture en 1985 : 12 millions de visiteurs.
Ce tour international concilie l’exigence scientifique, culturelle et efficacité économique. Moi qui ai inauguré les étapes de Moscou et de Saint Petersbourg à l’occasion de l’année croisée France-Russie en 2010, je puis témoigner que vos expositions sont à la fois de grandes rétrospectives didactiques de l’œuvre de Picasso et de véritables voyages pour les sens au sein du processus de création qui anime le maître, animés par l’esprit des « correspondances » - au sens que Baudelaire prête à ce mot.
Elles associent peintures, sculptures, dessins, gravures, constructions, photographies, rassemblés dans un catalogue de haut niveau scientifique. Elles sont à chaque étape différentes, elles s’adaptent aux attentes et aux publics du pays d’accueil. Et je sais que vous assurez une veille particulièrement scrupuleuse – et c’est un point sur lequel je vous sais aussi exigeante que moi – en matière de conservation préventive des œuvres. Experts en sécurité, sûreté, conservation, assurance se relaient sur ces sites pour mesurer, anticiper et prévoir avec vos équipes les meilleures conditions de présentation des collections nationales françaises.
Dans les pays hôtes, ces grandes rétrospectives de l’œuvre de Picasso sont l’occasion sans cesse renouvelée d’une fête autour de la culture française - je l’ai mesuré dans le dossier consacré à la rétrospective de Shanghaï - comme d’un approfondissement des connaissances sur l’art moderne tant Picasso a su tisser de liens, tant il a su construire et faire bruisser autour de lui et de son œuvre un « monde pluriel », une « poétique du divers » (Edouard GLISSANT).
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, le projet de rénovation et d’extension du Musée national Picasso s’inscrit pleinement dans les orientations de mon ministère en matière de politique des Musées. Il fait partie de cette ambition en matière d’innovation et de développement qui est au cœur de ma politique. Par sa nature monographique, par le prestige de ses collections, par son histoire, il conduit un projet à la fois innovant et spécifique qui le singularise. Je tenais par ma présence aujourd’hui combien nos grands établissements forgent, en lien avec l’administration du Ministère de la Culture et de la Communication, avec la Direction générale des Patrimoines, les outils et les leviers de leur développement, combien ils construisent les voies de leur développement. Cathédrales murées dans le silence solennel des œuvres et de la contemplation, musées de société et « lieux de mémoire » traversant le grand vaisseau du temps, musées-agoras ouverts au geste des créateurs et nourris de la demande sociale, musées-mondes ouverts à la diversité culturelle et aux métissages, lieux réinventés ou réenchantés par le trait d’architectes et de scénographes de talent : la diversité de la palette est éloquente ! C’est cette diversité de talents, de savoir-faire et d’expertises que j’entends faire vivre au service d’une politique des Musées de France conciliant l’exigence de la tradition et l’impératif de l’innovation.
Je vous remercie.