Dans l’une des magnifiques salles du musée que nous venons de parcourir, des astrolabes suspendus interrogent le visiteur. Cette installation résume particulièrement bien ce qui motive cette magnifique institution qu’est l’Institut du Monde Arabe : le désir de donner des repères.
Depuis 25 ans, dans ce vaisseau conçu par Jean Nouvel sur les bords de Seine l’Institut du Monde Arabe œuvre, en France, en Europe, à une meilleure connaissance du monde arabe. Nous savons tout ce que la recherche et la coopération entre nos pays lui doivent, son public aussi, par sa programmation en tous points remarquables, ses concerts, ses conférences, ses expositions.
Un quart de siècle plus tard, en cette date anniversaire, force est de constater que les ponts culturels se sont multipliés, entre la France et le monde arabe. L’IMA, qui a joué dans ce domaine un rôle pionnier, s’inscrit désormais dans un paysage qui s’est enrichi et diversifié : je pense bien sûr au Département des Arts islamiques du Louvre conçu dans un remarquable geste architectural de Mario Bellini et de Rudy Ricciotti, dont je suis attentivement l’avancement des travaux dans la cour Visconti. Je pense bien sûr également, cher Renaud Muselier, au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, qui sera inauguré dans les temps quand Marseille, dans quelques mois, sera capitale européenne de la culture. Enfin, depuis la naissance de l’IMA, a vu le jour une initiative ambitieuse, portée notamment par le Président de la République : l’Union pour la Méditerranée. Les obstacles politiques qu’elle rencontre ne doivent pas nous empêcher d’avancer le plus loin possible sur sa dimension culturelle ; et là aussi, cher Renaud Muselier, vous qui présidez son Conseil culturel, je suis sûr que vous partagez cette conviction.
Parler d’al qantara entre nos cultures n’est donc plus un vœu pieux. Les ponts se sont multipliés. J’ai pu le constater lors de mes nombreux déplacements dans le monde arabe, en Tunisie, en Algérie, au Maroc où j’ai eu le plaisir d’inaugurer il y a quelques semaines le magnifique musée d’art berbère conçu par Pierre Bergé à Marrakech, aux Emirats Arabes Unis, où je me suis rendu il y a quelques jours pour soutenir le magnifique projet du Louvre Abu Dhabi.
Il fallait donc pour l’IMA concevoir quelque chose de nouveau, en particulier pour son musée, dont je suis particulièrement heureux qu’il ait été reconnu musée de France par mon ministère l’année dernière.
Je viens de visiter avec vous ce magnifique espace muséal totalement repensé, où sont désormais parfaitement mis en valeur les collections exceptionnelles qui bénéficient des dépôts d’œuvres d’art consentis par le musées de Damas et d’Alep, de Lattaquié, d’Amman, de Tunis, de Kairouan ou encore de Manama, les pièces des collectionneurs privés du monde arabe, celles des églises et des couvents de Syrie et du Liban, ainsi que des partenariats avec le Louvre, le musée du Quai Branly, la Bibliothèque nationale de France, ou encore l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM). Plusieurs points m’ont frappé.
Prendre comme axe principal la diversité du monde arabe est un défi qui ne va pas de soi. Parce qu’au fond, elle est si mal connue, même s’il existe une littérature abondante qui en fournit les témoignages depuis au moins les récits de voyage d’Ibn Battuta et l’œuvre d’Ibn Khaldun au XIVème siècle de notre ère. Parce que le mot même de « diversité » est désormais tant utilisé qu’il se démonétise parfois, alors même qu’il est si indispensable pour lutter contre les représentations monolithiques. Le défi était de taille, et c’est l’ambition que l’IMA s’est fixé : montrer comment, dans le monde arabe, on habite une multiplicité de langues et de pratiques, religieuses ou profanes ; comment cohabitent des cultures terrestres et maritimes, le monde nomade et le monde urbain, l’Islam et ses autres. Or c’est précisément cette prise en compte de la diversité qui empêche les identités, pour reprendre le mot d’Amin Maalouf, de devenir « meurtrières ».
Représenter la diversité du monde arabo-musulman, c’est donc aussi donner toute leur place, par exemple, aux cultures kurde, amazigh ou araméenne. C’est prendre en compte également la diversité confessionnelle d’un espace qui là aussi est loin d’être uniforme, avec notamment les communautés chrétiennes et juives qui font partie intégrante du monde arabe. Depuis les royaumes de Nabatène et de Palmyre, on a habité et l’on continue à habiter des langues et des pratiques religieuses différentes, parallèlement à la force de l’écrit et de la langue arabe, parallèlement à l’Islam et la diversité confessionnelle qui lui est propre. À ce titre, la place de choix qui est désormais faite aux cultures pré-islamiques dans les collections du musée fait particulièrement sens : je pense par exemple à ces magnifiques stèles funéraires de Bahreïn, ou encore aux pièces d’orfèvrerie copte que les visiteurs pourront désormais admirer.
La force, enfin, du nouveau musée de l’IMA, c’est de mettre en scène le patrimoine sous toutes ses formes, les figures du sacré et du divin, le phénomène urbain, l’expression de la beauté sous l’angle d’une abstraction qui touche à l’universel ; en faisant place à la matérialité des usages, en ne négligeant ni les portes ornées, ni les étoffes, en faisant place aussi aux voiles, propres à l’ensemble méditerranéen, aux turbans, aux coiffes et la variété de leurs significations - qui m’ont d’ailleurs rappelé la très belle exposition, il y a quelques mois, de Christian Lacroix intitulée « l’Orient des femmes » au musée du Quai Branly ; au hammam, aux arts culinaires, à l’hospitalité.
Je tiens à saluer très chaleureusement, pour leur travail exemplaire, les deux commissaires de cette rénovation en profondeur, la conservatrice en chef Marie Foissy et Eric Delpont, le responsable des collections du musée, ainsi que Roberto Ostinelli pour la scénographie. Ils ont pour tout cela fait le pari de mettre de côté la chronologie, et de faire entrer au musée de l’IMA l’archéologie, l’histoire des arts et l’anthropologie ; la poésie et la musique aussi, par un usage très fin du son et de la vidéo.
Cher Renaud Muselier, je tiens également à saluer l’engagement de Dominique Baudis, votre prédécesseur, qui aura veillé de près sur la préparation de cet anniversaire et les trois ans de travaux dont nous voyons aujourd’hui l’aboutissement. Mesdames et messieurs les ministres, Excellences, je suis à la fois heureux et particulièrement fier d’ouvrir avec vous cette nouvelle page de l’histoire d’une institution qui nous est particulièrement chère, et qui est désormais encore plus en mesure de remplir sa mission.
Je vous remercie.