Cette exposition fait écho à une première session de travail qui s'est tenu en mars 2021 au Credac, Centre d’art contemporain d’Ivry, soutenu par la Drac Île-de-France. Cette performance a également bénéficié du soutien à un projet artistique de l’Aide à la captation et aux diffusions alternatives pour le secteur des arts visuels de la Direction régionale. A cette représentation s'ajoute des expositions personnelles d’Ethan Assouline et de Juliette Green et une sélection de vidéos de Wolfgang Stoerchle. Du 9 avril au 10 juillet 2022.
"En mars 2021, alors que le centre d’art est fermé au public en raison de la pandémie, nous accueillons le bureau d’études performatives, TOGETHER UNTIL_ __ (what)* ?, initié par la curatrice Cassandre Langlois et l’artiste Flora Bouteille pour une "occupation amicale". Nous poursuivons ce dialogue avec Tout dans le cabinet mental, dans la grande salle du Crédac, un projet évolutif et expérimental autour de la performance", explique Claire Le Restif. "Ethan Assouline, que nous invitions à participer à l’exposition collective La vie des tables en septembre 2020, occupe la deuxième salle. 2024, dont le commissariat est assuré par Sébastien Martins, présente des sculptures-architectures qui questionnent la vie urbaine dans un monde régi par la spéculation et le néolibéralisme. Il s’agit pour lui, comme pour Juliette Green, exposée dans la troisième salle, de leur première exposition personnelle dans une institution en France", précise la Directrice du centre d'art contemporain d'Ivry..
Flora Bouteille, S U S T A I N A B I L I T Y : Or, Having-your-heart-in-the-right-place-is-not-making-history*, Espace Niemeyer, Paris, septembre 2021. Une production du bureau TOGETHER UNTIL _ __ (what)* ? © Photo : Tom Brabant, courtesy de l’artiste.
© Image d'en-tête Flora Bouteille, croquis de plateau pour l’exposition du bureau d’études TOGETHER UNTIL _ __ (what)* ? au Centre d’art contemporain d’Ivry – le Crédac. Courtesy de l’artiste.
Découverte lors de la Bourse Révélations Emerige 2021 par Ana Mendoza Aldana et Claire Le Restif, Juliette Green présente Le goût des mots qui réunit de nouveaux dessins proposant divers récits fictifs autour de l’alimentation et de son histoire. Enfin, les vidéos de Wolfgang Stoerchle (1944–1976), figure influente mais confidentielle de la scène artistique à Los Angeles dans les années 1970, sont présentées dans le Crédakino par l’éditrice Alice Dusapin qui lui consacre récemment une monographie. "Avec ces quatre projets, le Crédac s’engage dans les missions de compagnonnage, de production de formes expérimentales, et de redécouverte, rôles essentiels des centres d’art" conclut Claire Le Restif.
Tout dans le cabinet mental est une exposition conçue dans le cadre des activités du bureau d’études en performances TOGETHER UNTIL _ __ (what)*?. Elle fait directement écho à une première session de travail accueillie en mars 2021 par le Centre d’art contemporain d’Ivry — le Crédac. Celle-ci portait sur la dimension prospective de la performance ainsi que sur la conceptualisation d’un plateau —bureau de travail, espace scénique et studio de production— à venir. Elle a donné place à la réalisation d’entretiens avec des chercheurs, artistes et commissaires d’exposition (Virginie Bobin, Pierre Bal-Blanc, Lenio Kaklea, Sasha Pevak et Nora Sternfeld), à des expérimentations scénographiques ainsi qu’à des répétitions-performances —dont le scénario s’est construit autour de la notion de contrôle— étendues sur plusieurs journées.
Cette nouvelle étape opère sur le mode d’un cabinet des pratiques de la performance ouvert au public pendant trois mois. Un plateau sur lequel déambuler prend en compte la relation du corps à l’espace tout en favorisant l’articulation entre pièces fixes, éléments de recherches théoriques exposés et temps discursifs. Au fil des semaines, les unes après les autres, ces pratiques invitées adviennent. Elles y agissent et interagissent selon différents paradigmes. Pour les unes, au-delà de certaines rationalités normatives. Pour les autres, à l’encontre de la dimension spec‑ taculaire qui leur est parfois rattachée. Certaines embrassent la question du rôle social sous l’angle du scénique. Certaines encore promettent des fictions de corps et d’espaces. Ensemble, elles permettent de (re)penser l’environnement institutionnel, économique, archivistique et de médiation pour un art de la performance viable.
Dans le même temps, le projet poursuit les recherches réalisées par le bureau sur le concept de pre-enactment qui, selon Oliver Marchart, correspond à "l’anticipation artistique d’un événement politique (Oliver Marchart, Conflictual Aesthetics — Artistic Activism and the Public Sphere, Berlin, Sternberg Press, 2019, p. 177.", c’est-à-dire à la pré-définition des caractéristiques structurelles de celui-ci. Le philosophe autrichien considère également que l’art, comme tout autre champ social, peut être un terrain d’entraînement ou d’anticipation de certains moments d’antagonisme politique. À petite échelle, le cabinet est envisagé comme une zone à la fois active et auto-réflexive qui s’interroge sur ce qu’un lieu serait en mesure de fabriquer aujourd’hui. Il se développe ainsi —en filigrane— sous la forme d’un lieu dans le lieu où des pratiques alliées, issues de la performance, de la recherche universitaire ou de l’action curatoriale, s’exercent. Là, elles émettent des projections pour le futur d’un lieu de l’art.
Commissariat Cassandre Langlois
2024
Ethan Assouline esquisse à travers sa pratique de la sculpture, de l’édition, de l’écriture et du dessin, un rapport critique à la ville, dans sa dimension paysagère, économique et politique. Il compose ses œuvres sculpturales à partir d’objets assemblés aux sources variées, évoquant la bureautique, le mobilier de collectivités, des formes décoratives domestiques d’une relative jovialité, des tentatives vagues de tendre vers le design. La gamme de couleur resserrée – le blanc un peu passé, le gris clair et l’argenté, la transparence et un peu de noir – donne un aspect générique et sec.
Ethan Assouline, Disparaître (J et moi), dans l’exposition collective La vie des tables, 2020, Centre d’art contemporain d’Ivry — le Crédac, © Photo Marc Domage, courtesy de l’artiste
L’artiste reprend la confiance dans la modernité technologique et architecturale, pour la renverser, à travers les lignes industrielles lissées, presque désincarnées, emblématiques du début des années 2000, portant la promesse d’un futur radieux. Il renforce ces caractéristiques en passant sur certains éléments un blanc immaculé agissant comme un voile – assumé comme tel – marqueur d’homogénéité et d’harmonie. Cette blancheur est posée pour justement décevoir les attentes, en révélant sa précarité par l’écaillement, les salissures, donnant un air prématurément daté : «un blanc qui ment, violent (...) / Blanc ironique, autodestructeur, déjà sali et en ruine.» L’obsolescence et la vétusté précoces apparaissent comme le revers de la promesse, un signe annonciateur de l’abandon, et en révèlent ainsi la violence.
Les objets que collecte Ethan Assouline témoignent eux aussi de cette obsolescence et d’une certaine absurdité du quotidien. Ils constituent des déchets du capitalisme et de l’industrie consumériste, accessoires décoratifs bon marché qui, selon l’artiste, donnent l’illusion que la vie peut être belle et luxueuse, en se parant de fantaisie. Intégrés dans les assemblages de manière à être sortis de leur état de produits de masse échoués, les objets deviennent des éléments pour composer des espaces – compartiments domestiques, mondes réduits, villes miniatures – où se rejouent à une échelle plus maîtrisable des jeux de domination et de pouvoir sans que l’artiste n’y intègre de résolution. Ces espaces sont composés avec un équilibre précaire et une "incertitude malaisante", à la fois fortifiés pour tenter de renverser la donne, et rendus vulnérables pour s’écarter d’un système de valeurs. Dans son processus de composition, Ethan Assouline met ses assemblages à l’épreuve de la fragilité pour tester leur capacité à résister, à être vu et entendu, pour « essayer que les choses tiennent debout / Encore un peu / Pendant que d’autres s’effondrent"
Sa pratique souligne les violences et tensions de la ville contemporaine plus prégnantes dans ses périphéries. "Il y a cet endroit tout gris avec écrits des mots : vivre ensemble, différence, bien-être, emploi, identité, avenir, qualité, bonheur, cohésion... ". Des termes qui composent selon l’artiste "une sorte d’horrible poésie du quotidien, créée par ceux qui travaillent contre les valeurs qu’ils diffusent, des bouts d’illusions, du peu qu’on a à nous offrir, le vide du langage d’aujourd’hui, infusé par la publicité, le monde du travail, la politique officielle, l’argent et l’administration, qui tendent à tout neutraliser et positiviser." Ces grandes idées détournées composent un simulacre de société idéalisée posé sur une réalité aride – auquel le voile que l’artiste dépose sur ces objets fait d’ailleurs écho. À travers, transparaissent des concepts inverses, tels exclusion, spéculation, gentrification.
Ethan Assouline, Autonomie (Berlin), dans l’exposition collective Le Saint Ennui, BQ Gallery, Berlin, juin 2021, © Photo Roman März. Courtesy de l’artiste
Le titre de l’exposition, 2024, évoque un futur très proche, trop sans doute pour permettre la projection ouverte et relève davantage d’une anticipation datée qui n’a pas été accomplie. Le resserrement temporel réduit de fait le champ des possibles et annonce alors un futur déjà ficelé, dont la mise en œuvre est palpable. 2024 évoque implicitement les Jeux Olympiques qui se tiendront en France. Ethan Assouline s’intéresse au hors-champ, à savoir les préparatifs mis en œuvre sur ses territoires d’accueil, imposant transformations et réorganisations, compétition et adaptation, qui constituent les rouages d’une telle machine.
La position qu’Ethan Assouline adopte vis-à-vis des contextes sociaux et politiques qu’il questionne relève d’une stratégie mêlant le repli et l’infiltration, l’action et l’observation, avec l’intention notamment de constituer une nouvelle parole pour la ville et des espaces pour penser l’autonomie. Il détourne et retourne les concepts, valeurs et symboles pour les adresser en retour, en mettant en avant leur caractère acerbe ; tout à la fois en leur rattachant de l’affect. Car malgré leur rudesse, qui est le reflet du contexte qui nous entoure, les œuvres de l’artiste laissent transparaître une sensibilité et une vulnérabilité ; elles sont livrées à la précarité de leurs matériaux, à la fragilité de l’assemblage, mais témoignent néanmoins d’une forme de délicatesse par l’attention et le soin qui leur sont donnés. Ethan Assouline retourne ainsi l’idée de fantaisie décorative comme illusion, en y réintégrant de l’intime. Ses compositions fonctionnent comme des espaces mentaux de repli, des refuges, et suggèrent l’idée de se soustraire. De "disparaître", utilisé de manière récurrente comme titre – notamment de sa revue –, l’artiste propose la définition suivante : "disparaître, c’est résister pour être un jour tranquille".
Sébastien Martins, Commissaire de l’exposition et responsable de la production au Crédac
Biographie de l'artiste
Ethan Assouline est né en 1994, il vit à Paris et travaille à Saint-Denis. Il pratique principalement la sculpture et explore également le dessin, l’écriture et l’édition. Il publie une revue, intitulée Disparaître, dans laquelle il développe une réflexion sur la ville moderne et son langage à travers ses dessins et textes. Il est associé à différents projets collectifs, comme la revue Show et les structures de diffusion, de production et d’exposition Massage Production et Treize. Il a exposé son travail à Zabriskie Point (Genève), Macao (Milan), Bonington Gallery (Notthingham), et a participé à des expositions collectives au Crédac (Ivry-sur-Seine), au Plateau-Frac Ile de France (Paris), à la galerie BQ (Berlin)
Le goût des mots
Pour sa première exposition personnelle, Juliette Greena choisi de travailler sur les thèmes de la nourriture et de l’alimentation à travers neuf œuvres créées pour l’occasion. Celles-ci nous livrent des récits inspirés par des questions de société : Qu’est-ce qui changerait au quotidien si nous n’avions plus besoin de manger ? Que penseraient nos ancêtres si on leur faisait goûter la nourriture du XXIe siècle ? Comment une recette traverse-t-elle le temps ?
© Juliette Green, Qu’y a-t-il derrière les façades des immeubles ?, 2021. Acrylique sur papier, 70 × 100 cm. Courtesy de l’artiste
Les histoires suscitées par ces problématiques, tout en mots et en dessins, se déploient sur des supports tels que le papier, la toile, le bois ou l’ardoise. Un dessin in-situ est également visible sur les vitres de l’espace d’exposition. La tonalité de certaines œuvres est légère et poétique. Par exemple, l’une d’elles raconte l’histoire d’une petite fille qui cherche à deviner quelle saveur aurait les nuages si elle pouvait les goûter. Dans d’autres pièces, l’histoire adopte les conventions de l’analyse scientifique la plus rigoureuse mais ce sérieux n’est qu’apparent car tout est inventé. C’est notamment le cas d’un dessin qui imagine le nombre de personnes nécessaires pour que nous croquions dans un sandwich, de l’éleveur à la transporteuse, en passant par le vétérinaire et l’ingénieure agronome.
© Juliette Green, Que s’est-il passé dans cette chambre d’hôtel ? 2021 Dessin mural, œuvre in situ à la Drawing Factory. Courtesy de l’artiste
© Juliette Green, Si les mots avaient une saveur, parlerait-on différemment ? 2022. Acrylique sur papier. Courtesy de l’artiste
Si l’exposition invite à s’interroger en profondeur sur la consommation, les modes de vie, la transmission ou la mondialisation, elle est aussi très accessible : les textes des œuvres sont faciles à lire, de façon que des visiteurs et des visiteuses de générations différentes puissent les comprendre.
Wolfgang Stoerchle
Wolfgang Stoerchle est une figure artistique assez confidentielle des années 1970. Il a laissé une empreinte discrète mais certaine sur toute une génération d’artistes californiens, notamment grâce à ses vidéos et performances dont la matière première était son propre corps.
Né en 1944 à Baden Baden en Allemagne, Wolfgang Stoerchle et sa famille ont déménagé au Canada en 1959. En 1962, alors qu’il a 17 ans, il part à dos de cheval avec son frère pour une traversée des États-Unis jusqu’à Los Angeles qui durera 11 mois. Stoerchle revendiqua ensuite ce voyage comme sa première œuvre artistique. Après avoir passé trois ans à l’Université d’Oklahoma puis deux ans à UCSB, il devient l’un des premiers enseignants de CalArts (James Welling, Matt Mullican, David Salle et Eric Fischl comptaient parmi ses étudiants). C’est une période très prolifique dans son travail où il tourne des vidéos à l’aide d’une caméra Portapak. Il réalise aussi des performances emblématiques comme sa tentative d’avoir une érection devant un public (réalisée dans l’atelier de Robert Irwin en 1972) ou d’avoir une relation sexuelle avec un homme (présentée dans l’atelier de John Baldessari en 1975).
© Capture du film dans lequel Wolfgang Stoerchle arrive à Los Angeles, 23 décembre 1962. Courtesy Karen Couch Wieder
Rejouant des actions élémentaires mais fondamentales pour interroger des changements d’état et de statut, utilisant son propre corps comme moyen d’expression, Stoerchle a marqué la scène artistique de Los Angeles de manière significative. Travaillant souvent avec des notions d’inconfort et de vulnérabilité, dans un espace flou entre humour et sincérité, ses œuvres ne "marchaient pas toujours - et c’est là que résident leur efficacité. Lors d’une répétition d’une de ses pièces il décrira celle-ci comme un "succès par l’échec". A méditer. Il déménage à New York en 1973 où il commence à se désintéresser du monde de l’art. Pendant deux ans, il voyage et fait de nombreuses retraites - étudiant ses rêves et vivant dans les montagnes mexicaines comme un ascète - avant de finalement s’installer à Santa Fé, où il revient lentement à la création artistique. Sa vie et son œuvre sont difficilement séparables. En 1976, Wolfgang décède à l’âge de 32 ans dans un accident de voiture.
© Wolfgang Stoerchle, Untitled (Fictional News), 1970. Courtesy Wolfgang Stoerchle Estate - Carol Lingham
À l’occasion de la parution de la première monographie que lui consacre Alice Dusapin, Wolfgang Stoerchle, Success in Failure, sont présentées dans le Crédakino une sélection de vidéos que Wolfgang Stoerchle réalise à CalArts entre 1970 et 1972 à l’aide d’une caméra Portapak ainsi que sa dernière vidéo, Sue Turning, filmée en studio à l’aide de trois caméras à l’occasion d’un workshop dans le Connecticut.
Biographie de la curatrice. Née en 1989, à Paris. Alice Dusapin est éditrice et chercheuse indépendante, cofondatrice et codirectrice de la revue octopus notes et de la maison d’édition Daisy, et du projet Ampersand (Lisbonne). Depuis 2017, elle mène des recherches sur le physicien, éditeur et poète Bern Porter (1911–2004) ainsi que sur le vidéaste et performeur Wolfgang Stoerchle (1944–1976) dont elle publie la première monographie (Wolfgang Stoerchle, Success in Failure, 2021), et dont elle a organisé des expositions à Overduin & Co (Los Angeles), à Air de Paris (Paris), et au Macro (Rome). Pour l’ensemble de son travail Alice Dusapin a bénéficié du soutien du CNAP, de la fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, est lauréate d’une bourse de recherche du Getty Research Institute, de la Terra Foundation for American Art, et est pensionnaire à l’Académie de France à Rome — Villa Médicis en 2020–2021.
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