Fermés au public mais bouillonnants d'activité !
Les musées franciliens — dont 130 bénéficient de l'appellation Musée de France — sont actuellement soumis aux mêmes règles de fermeture que l'ensemble des lieux culturels. Pour autant, leur activité reste intense : les équipes sont affairées pour préparer la réouverture, bien sûr, mais s'attèlent également à concevoir les prochaines expositions, mènent leur travail sur les collections pour un grand nombre d'entre elles — avec une politique d'acquisition particulièrement active en Île-de-France grâce à l'engagement de la DRAC et du Conseil régional —, poursuivent les travaux de recherche et de valorisation, expérimentent de nouveaux outils numériques et multiplient les propositions en direction des publics sur internet.
Afin d'illustrer ce travail de l'ombre, largement méconnu, nous sommes allés à la rencontre de trois directrices de musées et d'une médiatrice culturelle : Céline Cotty, directrice du Musée Gatien-Bonnet à Lagny-sur-Marne (77) ; Antoinette Hubert, directrice du Musée ARCHÉA à Louvres (95) ; Marie-Pierre Deguillaume, directrice du Musée d’histoire urbaine et sociale à Suresnes (92) ; et Magalie Dubois, médiatrice culturelle au Musée Gatien-Bonnet.
Le confinement de mars 2020, par sa soudaineté, a nécessité une adaptation très rapide de la part des musées. L'accent a alors été mis sur les propositions numériques et l'offre de médiation, afin de ne pas perdre le lien avec les publics, voire en séduire de nouveaux.
"L’équipe s’est réinventée pour maintenir le lien avec les publics, explique Marie-Pierre Deguillaume. Elle a proposé sur le site internet du musée des visites contées, visites virtuelles de l’École de plein air et de la cité-jardin, tutos d’ateliers, conférences, et séquences vidéos, ainsi que plusieurs petits jeux."
Disposant d’un nouveau site internet qui avait été mis en ligne avant le premier confinement, les équipes d’ARCHÉA ont pu s’appuyer sur cet outil pour proposer une galerie des collections "Les trésors d’ARCHÉA". Grâce à cette base de données, les collections du musées sont restées accessibles au public, de manière virtuelle.
"On a eu la chance d’avoir une refonte du site internet peu de temps avant, admet Antoinette Hubert. Il a été mis en ligne début mars 2020, et donc ça a été l’occasion d’améliorer certaines choses et on a développé notamment une galerie des collections : Les trésors d’ARCHÉA. On a beaucoup travaillé sur ce projet pendant le premier confinement et pendant la réouverture pour valoriser les collections."
Une présence sur tous les fronts numériques et hors-les-murs
Dans une démarche similaire, Céline Cotty et Magalie Dubois ont rapidement mis en place des propositions d’ateliers en ligne à destination des enfants. Ces ateliers, baptisés "Le musée chez moi", ont permis au musée de rester en lien avec les enfants, son public cible. Par ailleurs, les réseaux sociaux du musée ont aussi été utilisés afin de permettre au public d’accéder aux collections, notamment en mettant en place un calendrier de l’avent diffusé sur la page Facebook du musée qui proposait chaque jour une animation sur une œuvre du musée.
De leur côté, Marie-Pierre Deguillaume et les équipes du MUS de Suresnes ont fait le choix de professionnaliser leurs vidéos d’expositions en faisant appel à un réalisateur pour concevoir des capsules vidéo scénarisées de l’exposition "C'est du propre ! L'hygiène et la ville depuis le XIXe siècle". De la conception du scénario au tournage des capsules, les équipes du musées ont su relever le défi de cette expérience et, très satisfaites du résultat, souhaitent à présent pérenniser cette expérience.
"Noëmie Maurin-Gaisne et moi-même avons été filmées pendant 2 jours, dans un dialogue autour des œuvres de l’exposition, explique Marie-Pierre Deguillaume. Ces vidéos sont ainsi diffusées comme un teasing sur le site Youtube pour donner envie aux publics de découvrir l’exposition quand le MUS aura rouvert."
Afin de garder le contact avec le jeune public les institutions se sont aussi consacrées à la poursuite des activités hors les murs, notamment dans les salles de classes tout en s’adaptant aux nouveaux protocoles sanitaires. Ainsi Magalie Dubois a poursuivi le dispositif "La classe, l’œuvre" en se déplaçant dans les classes de Lagny-sur-Marne pour faire découvrir l’art et le musée aux enfants. Ce temps nécessaire a nécessité que Magalie retravaille ses ateliers pour qu’ils soient réalisables individuellement afin de limiter les contacts.
On reçoit des lettres d’enfants qui nous attendent avec impatience.
"Notre projet « La classe, l’œuvre » était en attente, confie Céline Cotty. Assez vite on a réagi pour continuer à garder le lien avec les classes qui participaient déjà au projet et ensuite pour pouvoir réagir avec les classes qui avaient déjà réservées. Et leur fournir des contenus."
Photo : Céline Cotty, directrice du musée Gatien-Bonnet à Lagny-sur-Marne
"Dans l’ensemble c’est hyper agréable de les voir, de reprendre contact avec eux, avoue Magalie Dubois. C’est notre cœur de métier. On échange de la même manière autour des œuvres, des reprographies que j’emmène pendant les ateliers. Les propositions plastiques sont un peu plus légères sur les ateliers. On communique avec les enseignants pour mettre en place les protocoles sanitaires. […] On reçoit des lettres d’enfants qui nous attendent avec impatience. Ils n’ont pas perdu l’envie d’être en face des œuvres."
De la même manière Antoinette Hubert et Marie-Pierre Deguillaume ont aussi organisé des visites en extérieur autour du patrimoine local. En limitant le nombre de visiteurs, les équipes du Musée d’Histoire Urbaine et Sociale et d’ARCHÉA ont pu proposer des visites de la cité-jardin et des sites archéologiques présents sur le territoire de la communauté d’agglomération Roissy Pays-de-France. Ces temps privilégiés ont permis de garder le lien avec le public pendant la fermeture.
Comme l'explique Antoinette Hubert : "ce qu’on a développé encore d’avantage c’est le hors-les-murs. On le faisait déjà, soit par des visites sur des sites archéologiques gérés par ARCHÉA, notamment à Orville et à Fosses. Soit aussi avec des balades patrimoniales pour faire découvrir le patrimoine de la communauté d’agglomération. Mais là on a évidemment favorisé tous les ateliers individuels en extérieur, sur le site archéologique. Il y a vraiment eu une adaptation. Sachant que la communauté d’agglomération comprend 42 communes sur le Val-d’Oise et la Seine-et-Marne. Le territoire est immense. Donc en fait l’enjeu du hors-les-murs, c’est quelque chose qui est très bien identifié depuis longtemps. C’est quelque chose sur lequel on travaille. Donc c’était un moyen pour diversifier une offre qu’on avait déjà et qu’on pourra tout à fait réinvestir à l'avenir."
Photo : Magalie Dubois, médiatrice culturelle au Musée Gatien-Bonnet de Lagny-sur-Marne
Le premier confinement a également nécessité une adaptation de l'organisation en interne. Il a fallu, en premier lieu, mobiliser des membres de l’équipe qui habitaient près du musée pour qu’ils puissent s’assurer de la sécurité et de la bonne conservation des œuvres.
"On n’avait pas de tradition de télétravail, admet Antoinette Hubert. On n’était pas équipés. Il a donc fallu essayer de continuer de porter les projets qui étaient importants et d’avoir une veille sanitaire sur les collections. On a réussi à mobiliser deux personnes de l’équipe qui habitaient la ville et qui ont eu l’autorisation de venir tous les deux jours pour vérifier l’état sanitaire des collections et le bâtiment pour vérifier que tout allait bien. Ça n’a pas été facile parce qu’on était coupés du public et de nos missions."
Du temps pour les collections et pour l'expérimentation
Le travail sur les collections a quant à lui pu continuer sans trop de difficultés. En effet, si les équipes des musées se sont largement consacrées aux publics et aux offres de médiation pendant les confinements, les période de fermeture au public ont aussi été l’occasion de consacrer plus de temps à l’étude des collections. Ainsi, Antoinette Hubert et ses équipes de la régie des collections ont pu continuer de travailler à l’organisation de chantiers de restauration et d’acquisitions d’objets archéologiques. Les équipes du Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes ont quant à elles commencé le nouveau chantier de récolement décennal. Profitant de la fermeture du musée au public, des membres des équipes d’accueil ont été mobilisés pour travailler sur ce chantier qui avait pris du retard lors du premier confinement.
"Nos collègues de la régie des collections, explique Antoinette Hubert, à partir du moment où elles ont pu réintégrer le musée et les liens avec les collections, ont pu avancer sur les acquisitions, qui se font à titre gracieux et lorsque que le statut juridique de l’œuvre est réglé. Elles ont pu avancer sur tout le travail de fond qu’elles n’ont pas le temps de faire quand elles sont prises dans le rythme des expositions et de la régie d’expositions qui sont des missions très chronophages."
Photo : Antoinette Hubert, directrice du Musée ARCHÉA à Louvres
Malgré leurs fermetures, les musées continuent aussi à travailler sur leurs prochains projets. Et bien que les incertitudes actuelles demeurent sur la date de réouverture, les équipes restent mobilisées pour préparer la suite. Ainsi, Céline Cotty travaille actuellement sur la rédaction d’un nouveau projet scientifique et culturel (PSC) qui va définir les prochaines priorités du Musée Gatien-Bonnet, et notamment son déménagement dans des locaux plus adaptés pour améliorer l'accueil du public.
Elle explique : "Sur 2019 et 2020, on a produit de gros bilans d’activités et effectivement il y a déjà des choses qui émergent et qui se reverront dans le PSC. L’année passée va forcément nourrir notre réflexion. C’est vrai qu’on voit plusieurs musées, notamment en Seine-et-Marne, mettre en place des visites virtuelles avec le public, c’est vrai que ça fonctionne bien. Nous on milite déjà pour une réouverture du lieu, avant d’être sur du virtuel. Mais quand on voit comment le numérique fonctionne bien, il faudra trouver à un moment donné le curseur entre le fait de venir avoir une vraie expérience de visite et le virtuel."
Et poursuit : "Une maison XIXe n’est pas un lieu d’accueil pour le public. Accueillir une classe dans une pièce de 25 m2 ce n’est pas possible, il n’est pas accessible aux personnes en situation de handicap. Donc on a hâte de se lancer dans ce projet de déménagement. C’est un gros projet, on se rend compte que le bâtiment est arrivé au bout de ces capacités d’accueil. Particulièrement avec la crise sanitaire puisqu’on est fermé depuis mars."
Le projet scientifique et culturel est aussi l’occasion pour ces musées de poursuivre et d’approfondir des démarches qui était présentes avant la crise sanitaire et qui se sont intensifiées avec cette dernière. En effet, les enjeux numériques étaient déjà une réalité dont les musées avaient conscience avant la crise sanitaire, cependant cette dernière en a accentué les besoins. Marie-Pierre Deguillaume prévoit ainsi d’actualiser les outils multimédias du musée présents au sein de l’espace d’exposition mais également le site internet de ce dernier qui pourrait être amélioré.
Renforcer la place des musées sur le territoire
Les musées placent le territoire au coeur de leurs problématiques et la crise sanitaire n’a fait que renforcer cette volonté de s’y inscrire. Ainsi Antoinette Hubert exprime sa volonté d’implanter le Musée ARCHÉA dans le territoire, de construire des réseaux de sites archéologiques au sein de la communauté d’agglomération de Roissy Pays-de-France. C’est également le cas de Marie-Pierre Deguillaume qui travaille sur un projet de colloque sur la cité-jardin qui mobilisera notamment l’association régionale des cités jardins d’Île-de-France.
"Aujourd’hui, le musée, on voudrait faire en sorte qu’il soit la tête de pont d’un réseau qui irrigue vraiment le territoire de l’agglomération, s'enthousiasme Antoinette Hubert. Donc là on commence à être implantés sur le territoire, à être connus. Évidemment il y a un travail à faire pour qu’on continue d'être visibles dans l’agglomération et au-delà. L’enjeu maintenant, ça va être à la fois de développer toutes les actions hors-les-murs, pour aller vers les publics qui sont éloignés d’une manière ou d’une autre et aussi parce que le territoire sur lequel on est, est très vaste. Et ça va être aussi de développer des antennes du musée comme à Fosses, comme à Orville."
Face à la crise sanitaire, les professionnels des musées, accompagnés par l'État et les collectivités territoriales, ont su trouver de nouvelles organisations, s'adapter et innover pour garder le lien avec les publics. Ils ont démontré la capacité de résilience des institutions culturelles. Cette période a également permis de développer des réflexions et des bonnes pratiques, et de parachever des chantiers de longue haleine, notamment sur les collections, dont les résultats seront visibles à court terme.
Liens :
Musée d'histoire urbaine et sociale de Suresnes
Musée Gatien-Bonnet de Lagny-sur-Marne
ARCHÉA (archéologie en Pays-de-France) à Louvres
Focus sur le Fonds régional d'acquisition des musées (FRAM)
Depuis 1982, la DRAC Île-de-France et le Conseil régional Île-de-France s’associent pour mettre en place et financer un Fonds annuel destiné à assurer un soutien financier actif en faveur des acquisitions des musées de France, territoriaux, d’association et de fondation.
Régi par une convention, le fonds est doté annuellement sur le principe de la parité. Le FRAM étudie les demandes de subventions émanant des musées de France, territoriaux, d’association et de fondation sur avis favorable préalable de la commission scientifique régionale d’acquisition des musées de France. Il propose l’attribution d’une subvention, pour achever le plan de financement d’une acquisition sans laquelle le musée, sa tutelle, ne pourrait réaliser l’achat. L’acquisition d’œuvre(s) ou d’objet(s) doit être en adéquation avec la politique d’enrichissement des collections définie dans le projet scientifique et culturel du musée.
L’organisation matérielle et le secrétariat du FRAM sont assurés par le service des musées de la DRAC. La commission est constituée de 14 membres, nommés par le préfet de région et la présidente du Conseil régional (7 pour l’Etat, 7 pour la Région). Le comité est co-présidé par le DRAC et le directeur de la culture du Conseil régional. Il se réunit une fois par an, en séance plénière, au cours de laquelle les conservateurs sont invités à présenter leur(s) projet(s) d’acquisition. Le comité délibère à l’issue des exposés (1 voix par membre). L’avis et le montant de l’aide sont décidés en fin de séance et communiqués ensuite aux conservateurs des musées. Le taux de subvention varie, en fonction de l’importance des projets et du budget annuel d’acquisition du musée ; il se situe entre 15% et 50% du coût d’acquisition.
De nombreux musées ont bénéficié, au cours des vingt dernières années, des aides du FRAM, leur permettant une politique d’enrichissement des collections dynamique, par l’achat d’œuvres majeures ou ensembles remarquables.
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