C'est un spectacle atypique. Construit patiemment pendant huit ans, né sur des tréteaux dans un jardin puis accueilli au festival d'Avignon 2022, au terme du long chemin d'une création collective, il réunit sept pièces, treize heures de spectacle organisées autour de quatre entractes, dont deux repas !
Traversée des inquiétudes comme des désirs de notre temps, Le Nid de Cendres est une merveilleuse épopée au pays des contes, qui dépeint la rencontre de deux univers en péril, au sein desquels deux êtres singuliers comblent les insuffisances et les incohérences du monde par leur amour.
Avant de se produire aux Amandiers de Nanterre puis à Toulouse, il s'arrête en Normandie pour une représentation unique, le 11 mars 2023, au CDN de Caen. Ne pas manquer cet événement ! Entretien avec Simon Falguières.
Simon Falguières, pouvez-vous nous dire un mot sur Le K, votre compagnie ?
La compagnie Le K est née il y a maintenant plus de 15 ans. Elle a vécu plusieurs métamorphoses au fil des années. Nous avons d'abord été un collectif pluridisciplinaire, puis un collectif théâtral, et enfin une compagnie. Nous avons grandi dans le milieu des squats et des lieux alternatifs avant de nous ré-implanter dans notre territoire d'origine, la Normandie, il y a plus de dix ans.
La compagnie a toujours travaillé, en parallèle de ses créations, sur une implantation de territoire extrêmement assidue (d'abord sur le département de l'Eure puis sur la totalité de la région normande) avec des actions culturelles et des petites formes tout terrain. Nous travaillons en troupe avec une grande fidélité entre les collaborateurs techniques et artistiques au fil des créations.
« Nous travaillons depuis toujours notre implantation dans le territoire. »
Ces dernières années nous avons développé un répertoire de spectacles aux formats très variés allant de la petite forme en milieu scolaire à l'épopée théâtrale sur les grands plateaux nationaux. Nous réunissons sur la dernière année une quarantaine de salariés qui ont participé aux différentes aventures de la compagnie. Nous défendons un théâtre de récits, un théâtre de texte, seulement autour de créations originales. Nous défendons un théâtre qui met les acteurs et les actrices au centre du dispositif.
Depuis deux ans, la compagnie participe à une aventure d'une toute autre envergure : la création d'un lieu – une fabrique théâtrale en milieu rural – Le Moulin de l'Hydre à Saint Pierre d'Entremont dans le département de l'Orne.
Le Nid de cendres a été présenté pour la première fois en 2018. Comment avez-vous monté cette pièce ? Avez-vous été soutenu par le ministère de la Culture ?
Le Nid de Cendres est l'aventure fondatrice de la compagnie. C'est une aventure de théâtre comme on en vit peu dans une vie. Elle a commencé dans une école, puis, sans production, sur un tréteau de bois sous les étoiles, deux étés de suite dans un jardin en Charente.
A partir de 2018, le réseau des Producteurs Associés Normands et le Théâtre du Nord, CDN de Lille-Tourcoing-Hauts de France ont décidé d'accompagner le projet, sur la production d'une première version de six heures de spectacles. Le Théâtre du Nord a alors pris la production déléguée et nous avons constitué une « SEP » (société en participation) avec les différents producteurs et la compagnie Le K.
« Le ministère de la culture nous a soutenu sur toutes les étapes. »
Suite au succès de cette première version, nous avons organisé une tournée en région. La compagnie a ensuite repris la production du spectacle et un nouveau temps de création a été monté pendant le COVID au Théâtre de la Tempête à Paris. A la suite de cette recherche, le Festival d'Avignon nous a proposé de venir finaliser l’œuvre telle que je la rêvais au lancement de l'aventure : une épopée théâtrale de treize heures.
Nous sommes alors repartis en création pour finir cette aventure artistique et humaine qui aura occupé huit ans de ma vie. Le ministère de la culture a soutenu ce projet sur toutes les étapes de vie de ce spectacle, depuis sa première version professionnelle à Tourcoing.
Le Nid de Cendres est une œuvre à la fois simple et complexe, en 7 pièces. Pouvez-vous nous la présenter ?
Le Nid de Cendres parle d'un monde coupé en deux, comme une pomme coupée en deux.
D'un côté, un monde qui pourrait ressembler au nôtre. On y retrouve un jeune couple de classe moyenne, Jean et Julie. Un jour, le diable s'invite chez eux. Il leur dit que les machines de la finance se détraquent. Les échelles de valeurs sont inversées. Il n'y a plus de travail pour personne. Le peuple décide de passer le continent par le feu. Jean et Julie s'enfuient dans le pays en flamme et ils abandonne leur enfant, un nourrisson, Gabriel, devant une roulotte de comédiens. Les comédiens adoptent Gabriel qui va grandir avec eux dans les cendres du continent disparu.
De l'autre côté, un monde de conte. Dans ce monde, la reine tombe malade. Le roi fait un rêve. Dans ce rêve, il voit qu'un homme de l'autre côté pourra sauver son royaume. La princesse Anne, sa fille, prend la mer pour le retrouver et sauver sa mère.
« La mosaïque d'un miroir brisé de moi-même. »
Anne et Gabriel s'aiment sans se connaître. Ils vont faire des odyssées pour tenter de se retrouver et par leur union, sauver les deux mondes en péril.
Quels sont les auteurs ou les références artistiques qui ont nourris votre écriture ?
Le Nid de cendres est une déclaration d'amour au théâtre ! J'ai voulu tout y mettre, tous mes émois de spectateurs et de lecteurs. Il s'agit d'une œuvre monde. C'est aussi une pièce où nous passons d'un genre à l'autre : la farce, la comédie, le drame, le mélodrame, le drame symboliste, le thriller, la satire politique etc. Les références sont donc multiples. On peut y retrouver l'âme de Shakespeare, de Molière ou de Maeterlinck mais aussi parfois comme des parfums légers, de Beckett, de Lewis Carroll ou de Lagarce.
Il y a aussi la présence très forte d'un film qui a marqué ma vie et qui nimbe tout l'univers de l'œuvre : Fanny et Alexandre de Bergman. Un film sur la paternité et sur la magie du théâtre. Enfin pour les références de mise en scène, elles sont elles aussi multiples. Je pense très sincèrement que je ne les maîtrise pas. Le Nid de cendres est une pièce épique qui part d'une nécessité intime, comme toujours. C'est la mosaïque d'un miroir brisé de moi-même. Un lit dans lequel j'ai voulu mettre tous mes amours.
Y a-t-il des comparaisons possibles entre votre œuvre et le monde contemporain ?
Dans Le Nid de Cendres, je parle d'une déchirure du monde, je parle d'une perte de sens. Ainsi par le filtre du conte et de la fable, je parle de ma vision du monde dans lequel je vis et de l'espoir que le théâtre me donne face à ce monde en souffrance.
« L'aventure de notre troupe est une histoire d'amour. »
Les comparaisons sont donc possibles et multiples. Mais je ne veux pas m'inscrire dans une actualité. Je préfère passer ces impressions dans le récit d'une œuvre la plus intemporelle possible. Je souhaite faire un théâtre du présent plein des fantômes du passé et non un théâtre de l'actualité.
D’aucuns parlent de l’art comme d’un moyen de dépasser l’absurdité du monde, l’amour l’est-il également, selon vous ?
Ce que je peux dire, c'est que notre aventure de troupe, depuis toutes ces années, qui se poursuit aujourd'hui avec la création de notre lieu, avec mes plus proches collaborateurs et collaboratrices, est une histoire d'amour.
Je crois que le théâtre est toujours une histoire d'amour. Une agapè faite de fragiles équilibres pour tenter des gestes fous. Et le soir de la représentation, si cet amour peut redonner pour quelques-uns et quelques-unes, un peu de sens face à l'absurdité du monde, le temps d'un instant, le temps d'une soirée, je me dis que nous aurons dépassé quelque chose par notre travail.
Quels sont, aujourd'hui, vos projets ?
Je suis actuellement en travail sur un solo que je vais jouer au Tangram Scène nationale Evreux-Louviers. Il s'intitule Morphé. Il s'agit d'une pièce presque sans parole, tout public. Je renoue avec mes premiers amours d'un théâtre burlesque mais aussi d'un théâtre plastique fait de peintures, de sculptures et de marionnettes.
Et pour la prochaine pièce de la troupe, j'aimerais repartir en travail autour de l'œuvre d'un poète. Écrire à partir d'une autre matière, repartir en étude. Ce sera un projet pour l'année 2025. Entre temps, je mets toute mon énergie à la construction du Moulin de L'Hydre et de plusieurs projets participatifs sur la Région Normande.
De Louviers à Avignon, en passant par le théâtre du Nord et celui de la Colline, de l'animation d'un collectif au seul-en-scène et retour : l'itinéraire d'un jeune artiste.
Auteur, metteur en scène et comédien, Simon Falguières est le directeur artistique de la compagnie Le K implantée en Normandie depuis 12 ans. Après une dizaine de créations, il écrit et met en scène en 2018 son premier spectacle jeune public, Poucet. Le texte est édité en Mars 2020 à l’Ecole des Loisirs. Il crée en Janvier 2019 la première version de Le Nid de Cendres au Théâtre du Nord CDN de Lille Tourcoing Hauts de France. Entre 2017 et 2019 il crée sept épisodes d’un journal intime théâtral intitulé Le Journal d’un autre qu’il joue seul en scène. En 2020 il écrit et met en scène Les Étoiles, au Théâtre National de la Colline. La pièce est éditée à Actes Sud Papiers. En Juillet 2022 il met en scène l’intégrale du Nid de Cendres au Festival d’Avignon à la FabrikA. Le texte est édité à Actes Sud Papiers pour l’occasion. Il tourne ses spectacles dans de nombreux théâtres de Normandie, Le Préau CDN de Vire et la Comédie de Caen où il est artiste associé, mais aussi le Tangram SN Evreux-Louviers, Le CDN de Rouen Normandie, DSN, Le Trident SN Cherbourg en Cotentin ainsi qu’au réseau national Théâtre de la tempête, Théâtre de Nanterre Amandiers, Théâtredelacité de Toulouse, Tréteaux de France. Il crée en 2022 et 2023 trois pièces : Le Rameau d’Or au Conservatoire National Supérieur d’art Dramatique de Paris, L’Errance est notre vie avec la Belle troupe du Théâtre de Nanterre Amandiers et un solo Morphé.
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