Cher Nicolas Le Riche,
En vous voyant danser avec cette grâce infinie et cette intuition du geste, on pense aux mots de Shakespeare : « nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves ». Au plus près de la vérité et de l’intention juste, vous avez interprété tous les grands ballets du répertoire avec une virtuosité, bien sûr, mais aussi une générosité rares.
Parmi les plus brillantes étoiles dans le firmament de l’Opéra de Paris, vous avez marqué tous les rôles que vous avez créés, des jeunes princes du répertoire à Ivan le terrible où vos gestes extrêmes traduisent la jubilation physique de l’interprétation ou Quasimododont vous incarnez avec une grâce fulgurante la bouleversante monstruosité.
Vous êtes entré à l’École de danse de l’Opéra à l’âge de dix ans, vous êtes engagé dans le Corps de Ballet six ans plus tard. Quadrille, Choryphée, Sujet puis Premier danseur, c’est Rudolf Noureev qui vous offre votre premier grand rôle dans son Roméo et Juliette - vous y êtes Mercurio et Roméo. Vos prestations de soliste sont récompensées du prix du public de l’Opéra de Paris mais la consécration arrive par Roland Petit, qui fait de vous le Jeune homme dans Le Jeune homme et la mort. Puis Mats Ek qui vous donne le rôle d’Albrecht. Et c’est à l’issue d’une représentation de sa Giselle que vous êtes nommé par Patrick Dupond avec le soutien enthousiaste de Pierre Bergé, Danseur Etoile.
De vos collaborations avec les plus grands vous avez développé une profonde connaissance du ballet, de vos personnages et de vous-même, chacune de ces rencontres, qui agissent comme autant de révélateurs, façonnant l’artiste et l’homme que vous êtes. Car, ainsi que vous aimez le rappeler, « être danseur c’est bien, être un homme qui danse c’est mieux ». De Jerome Robbins, vous retenez le travail et le mouvement sans cesse recommencé, la nécessité de l’exactitude et le souci de la nuance, avec Roland Petit, vous comprenez que l’on danse pour raconter des histoires.
Vous êtes aussi à l’aise avec le registre classique que moderne et Roland Petit dit de vous que votre seule présence suffit à moderniser la pièce la plus académique. Votre talent, c’est d’appréhender toute œuvre, classique ou contemporaine, de manière résolument moderne. Votre parcours brille par son ouverture aux esthétiques les plus actuelles dePreljocaj à Teshigawara ou à Forsythe, vous vous êtes aussi frotté à d’autres modes d’expression scénique avec Guillaume Gallienne ou Matthieu Chedid.
« La technique en danse, dites-vous souvent, est ce que le vocabulaire est à la littérature». Plus que la performance physique ou la perfection technique, vous recherchez la sensation du mouvement, sa vérité dans le moment de son exécution. Vous avez, pour le dire, une jolie formule : « la danse c’est l’art de l’instant qu’il faut choisir».C’est le don de soi le plus total où l’élan l’emporte sur tout où l’on danse pour la seule beauté du geste, de l’instant.
Pour vos adieux à la scène de l’Opéra de Paris où vous avez repris ce soir certains de vos plus grands rôles, vous n’avez pas voulu d’un baisser de rideau mais d’un passage de témoin avec la prestation remarquable du ballet que nous célébrons aussi dans son intégralité à travers vous ce soir. Dans Le Bal des cadets de David Lichine où un jeune élève nous a interprété le rôle du tambour que vous avez-vous-même joué plus jeune, nous avons pu mesurer une fois de plus grâce à vous l’excellence de l’école de danse. Je tiens à saluer Brigitte Lefèvre pour son engagement au service d’un véritable joyau de notre patrimoine, une talentueuse maison pleine de promesse, qui est à la fête ce soir à travers vous.
Votre révérence ici n’est pas un salut définitif puisque le Théâtre des Champs Elysées vous a déjà donné carte blanche avec 5 ballets dont L’Odyssée dont vous êtes le chorégraphe.
Ce soir, alors que nous rendons hommage par cette distinction à ces riches années où vous avez fait battre le cœur de l’Opéra de Paris, cette belle maison dont vous avez si magnifiquement incarné les valeurs et le style français, et Brigitte Lefèvre ne me contredira pas, nous saluons aussi votre immense générosité et votre passion communicative qui vous feront très prochainement parcourir la France pour aller au-devant du public avec votre spectacle Itinérances. Cette étape je la vois comme un point de départ qui vous projette dans un avenir ouvert. Votre nouvel envol est là, dans la réalisation de votre ambition de rendre la danse accessible au plus grand nombre. A n’en pas douter le plus beau jeté qu’il nous sera donné de voir.
C’est avec une très grande fierté et beaucoup de joie que je vous adresse les hommages de la République des Arts et des Lettres qui honore ce soir, plus qu’un danseur à l’immense talent, un homme qui danse la vie avec générosité et passion.
Cher Nicolas Le Riche, au nom de la République française, nous vous faisons Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres.