C’est avec un immense plaisir que je me trouve aujourd’hui parmi vous,
dans cet espace exceptionnel d’invention, de dialogue et d’échange entre
les artistes et les publics qu’est le Palais de Tokyo, et je tiens tout d’abord
à remercier son directeur, M. Marc-Olivier WAHLER, de nous y accueillir
et de nous permettre de donner un nouvel élan à ce dialogue, à ces
échanges et à cette inventivité, grâce à ce « Fonds d’expérimentation
pour la jeunesse ».
« Expérimentation » : je trouve ce terme particulièrement bien choisi pour
rendre compte de l’originalité de cette opération, de l’esprit de recherche
et d’innovation qui l’anime, comme elle animera les projets qui vont bientôt
la décliner et l’incarner. Car c’est bien, aussi, d’une recherche de nouvelles
formes d’action politique, culturelle et sociale qu’il s’agit, d’un renouvellement
de nos conceptions et de nos pratiques, et, en somme,
d’une nouvelle phase de la démocratisation culturelle.
En cela, cette « Expérimentation pour la jeunesse », lancée par mon collègue
Marc-Philippe DAUBRESSE, entre en pleine résonance avec mon
idéal d’une « culture pour chacun », dont j’ai fait l’axe structurant de mon
action à la tête du ministère de la Culture et de la Communication. Il était,
en effet, devenu indispensable de dépasser la logique quelque peu uniformisante
de la « culture pour tous », qui ne prenait pas suffisamment
en compte la diversité de plus en plus foisonnante des publics et de leurs
pratiques culturelles, qui devait s’adapter davantage aux spécificités des
différents publics qui composent désormais notre société.
Quels sont donc les publics qui ont besoin de cette adaptation ? J’ai envie
de dire : tous. Mais, d’abord, tous ceux qui sont enclavés, géographiquement,
socialement, culturellement : je pense aux habitants des zones
rurales, à ceux des banlieues, aux populations marginalisées, que ce soit
par un handicap, par la maladie, par la vieillesse ou la réclusion carcérale,
mais je pense aussi, bien sûr, aux jeunes.
« En démocratie, chaque génération est un nouveau peuple », a dit très
justement TOCQUEVILLE. Et c’est d’autant plus vrai lorsque les évolutions,
notamment technologiques, se font plus rapides, à l’instar de l’explosion
numérique à laquelle nous participons, et qui, comme l’a montré
la récente « Enquête décennal du ministère sur les pratiques culturelles
des Français », modifie en profondeur nos comportements, nos pratiques,
nos manières de penser même, ou de percevoir notre rapport au
monde, comme au temps et à l’espace. Il y a aujourd’hui une génération
de « natifs d’Internet », comme on dit, et dont la culture – dont les
cultures sont très différentes de celles que nous connaissions et dont
nous avions l’habitude.
Cette révolution multiple crée de nouveaux supports et de nouvelles
formes de création, mais aussi un nouveau rapport au patrimoine, et en
général aux contenus culturels. Et cela implique évidemment de nouveaux
modes d’intervention publique, dont cette opération constitue une illustration
emblématique.
Elle manifeste d’abord qu’aujourd’hui, plus que jamais, rien n’est solitaire
– tout est solidaire. Solidaire au sein du gouvernement, dans la politique
de réformes et dans notre action dans le sens de la cohésion. Beaucoup
de problèmes d’exclusion, nous le savons, sont aussi et peut-être avant
tout des problèmes de culture, et la culture est précisément l’un des leviers
pour lutter contre certaines formes d’exclusion.
La première des exclusions, c’est celle de l’intimidation sociale qui, trop
souvent, retient les gens, et en particulier les jeunes, aux portes de la
culture : c’est d’abord à briser ces barrières et ces plafonds de verre que
vise notre idéal d’une « culture pour chacun », et à permettre à chacun de
construire un rapport intime avec la culture, tant avec les oeuvres qu’avec
les diverses formes de pratique culturelle, d’abord amateur.
Il s’agit de donner aux jeunes les moyens de se frayer un chemin, un chemin
personnel, leur chemin vers les arts et vers la culture, de se construire
un « parcours » de liberté et d’autonomie.
Pour cela, il faut à la fois leur offrir une initiation aux formes d’art qui leur
sont parfois le plus éloignées, voire étrangères, telles que l’opéra, la musique
classique ou la peinture ; c’est d’ailleurs aussi à cette exigence que
répond l’éducation artistique et culturelle que nous avons récemment introduite
à l’école. Mais il faut aussi apporter aux jeunes une reconnaissance
des pratiques artistiques et culturelles qui leurs sont propres et qui,
trop souvent, ont été reléguées comme inacceptables aux marges d’une
culture officielle, qu’il faut bien appeler élitiste. Il faut absolument leur donner
droit de cité si nous ne voulons pas méconnaître le droit imprescriptible
à la différence.
Alors, je me réjouis que ces deux aspects complémentaires, et même indissociables,
de l’initiation et de la juste reconnaissance de la diversité
culturelle soient pleinement pris en compte par ce programme, notamment
à travers les projets de sensibilisation et de médiation qui, en étroit partenariat
avec le ministère de l’Education nationale, ouvrent l’école à d’autres
espaces de sensibilité et d’expression. Cela, grâce à des collaborations
avec les associations qui, jour après jour, oeuvrent sur le terrain, avec autant
que patience que de passion, en faveur des jeunes et de leur accès à
toutes les formes de culture.
Ce qu’incarne au fond cette opération, c’est la conviction d’un enjeu fondamentalement
social et sociétal de la culture. La culture, ce n’est pas
l’esthétisme, ce n’est pas un supplément d’âme ou un luxe – sauf à considérer
celui-ci comme « cette chose très nécessaire » dont parle
VOLTAIRE – ; la culture, c’est l’âme même de la société, c’est ce qui la
fait tenir ensemble, ce qui fonde notre bien vivre-semble et même notre
savoir-vivre ensemble, c’est quelque chose de profondément ancré dans
la vie sociale.
Voilà pourquoi cette opération prend aussi pleinement en compte, dans
les « parcours » dessinés pour les jeunes, la dimension professionnelle
essentielle, que représentent les divers métiers de la culture, ces métiers
qui en déclinent les divers visages, au plus près des réalités contemporaines.
La « culture pour chacun » s’inscrit, je le disais, dans une logique gouvernementale,
et le partenariat qui lie, depuis bientôt dix ans, le ministère de
la Culture et de la Communication et celui de la Jeunesse et des Solidarités
actives est, à cet égard, exemplaire : ce programme lui donne un nouveau
souffle. Mais cette « extension du domaine de la culture et de ses
publics » est aussi, indissociablement, une « extension du domaine des
acteurs de la culture », publics comme privés. Nous avons enfin compris
que, pour s’adapter et s’adresser véritablement à chacun, et non pas indistinctement
« à tous » – ou, comme trop souvent, à quelques-uns, toujours
les mêmes –, la culture ne devait plus être seulement une « affaire
d’Etat », une affaire de l’Etat, mais celle de chacun : oui, je suis convaincu
que le mécénat culturel doit jouer, dans nos projets culturels, un rôle moteur,
que je travaille d’ailleurs à renforcer. Eh bien, là encore, ce « Fonds
d’expérimentation pour la jeunesse » me semble absolument exemplaire,
et je tiens à remercier très chaleureusement l’entreprise TOTAL, et la Fondation
qui en est l’expression culturelle – en particulier sa Déléguée générale,
Mme Catherine FERRANT – pour leur générosité et leur engagement,
tout à fait décisifs.
C’est ainsi qu’ensemble – pouvoirs publics et acteurs privés –, nous
sommes en train de relever le défi d’une culture mieux partagée, plus
participative, car plus attentive aux attentes réelles de l’ensemble des
publics dans toute leur diversité, qui fait leur richesse. C’est ainsi que
nous sommes en train, ensemble, de donner réalité à cette ambition et cet
idéal – nullement utopique – d’une culture véritablement « pour chacun ».
Je vous remercie.