« Même ici dans mon village, on me dit : “on va devoir t’appeler maître !” » Sa réputation rattrape Sébastien Tessier, qui va devenir, ce mardi 24 janvier, le formateur de l’un des huit binômes de la nouvelle promotion du programme Maîtres d’art-Élèves et l’un des 149 Maîtres d’Art en France. Ce titre, décerné à vie, permet de mettre un coup de projecteur sur un métier méconnu : celui de formier, un savoir-faire rare consistant à sculpter des formes en bois sur lesquelles créer ensuite des chapeaux. « La mode est un monde formé de petits maillons et s’il en manque un seul, la chaîne ne tient plus. La reconnaissance de ce métier par un organisme d’État, ce n’est donc pas rien, c’est ce qui nous fait exister aux yeux des autres même si on reste dans l’ombre. Ce titre assoit un statut et donne confiance aux clients qui pourraient venir nous voir. »
Double formation de modiste et formier
L’entrée dans ce programme en rappelle une autre, celle de la promotion 1995 dont faisait partie Sébastien Tessier en tant qu’Élève. Il est alors tout juste diplômé d’un CAP de modiste qu’il a passé en alternance avec son « parrain », Tino Ré, formier de métier, afin de tenter, à l’époque, de travailler dans le monde du spectacle et de fabriquer costumes et décors pour le théâtre. « Avec une formation dans le bois pour faire des formes et mon diplôme, je me disais que j’aurai des facilités à repiquer sur le circuit du spectacle. Et finalement j’ai été happé par un monde que j’ignorais, j’ai découvert un nouvel univers. Et puis, si je regarde des photos d’enfance, on voit que j’ai toujours un chapeau et que j’aimais les modifier. »
Après son passage chez Tino Ré plus centré sur le métier de formier, il complète son bagage en travaillant simultanément à la Maison Michel, atelier spécialisé dans la chapellerie qui travaille avec les marques de haute couture. C’est le directeur de l’époque, Pierre Debard, qui propose à Sébastien Tessier de rentrer dans le programme de transmission. « C’était une époque assez riche puisque j’étais chez Tino pour fabriquer les formes et ça m’arrivait de partir de chez lui avec les formes dans le sac et d’embaucher le lendemain à la Maison Michel où on attendait impatiemment ces formes pour travailler dessus. Je me suis donc trouvé à travailler sur ce que je fabriquais. Avec le recul je me rends compte que ces expériences ont été un avantage. »
Après plusieurs années auprès de ces deux employeurs, le modiste et formier décide de tenter une nouvelle expérience avec la fabrication du panama Montecristi, le “chapeau des princes et le prince des chapeaux”, qui le fascine. « C’est le plus beau et le plus fin des panamas. J’ai appris à travailler avec une paille vraiment différente qu’il faut dompter. Ce n’est pas une matière très facile, elle est solide avec des fragilités, on n’en fait pas ce qu’on veut. Mais j’ai pu vendre des chapeaux exceptionnels dans le monde entier. » Il revient ensuite travailler quelque temps à la Maison Michel avant de quitter Paris pour la Bretagne. Repartant de zéro, il travaille un temps à la gare de Rennes, endossant donc le double rôle de… cheminot-chapelier ! « J’avais fait des inserts en polaire dans nos casquettes pour l’hiver, mis les initiales sur les visières et je donnais des conseils pour coiffer un chapeau aux collègues féminines qui avaient encore un bibi. »
Objectif : créer une collection
En 2020, son chemin croise celui de Yann Marchand, venu toquer à sa porte dans son atelier de chapellerie. « Il avait fait des formes et voulait des conseils. On a bien rigolé car on ne pouvait pas faire de chapeau sur ce qu’il avait fait mais j’ai remarqué que c’était bien exécuté. » Yann possède en effet une solide formation de charpentier obtenue chez les Compagnons du Devoir. Pendant dix ans, il a travaillé, lors de son Tour de France, sur des chantiers de restauration de monuments historiques. « Un parcours très enrichissant lors duquel j’ai pu passer par des entreprises prestigieuses et par exemple participer à la fabrication d’un monastère en bois. »
Mais ce passionné est également un amateur de chapeaux. Il décide donc de bifurquer et contacte alors une modiste dans le Finistère pour faire un stage et apprendre le métier. « En entrant dans son atelier, je me suis arrêté sur les étagères avec les formes dessus et je me suis demandé ce que c’était. Quand on m’a expliqué, je me suis dit que c’était génial. » Mais les professionnels dans ce domaine se faisant rares, Yann peine à trouver un formateur, jusqu’au jour où il tombe sur un article sur Sébastien Tessier dans un journal local. « J’ai pris ma bagnole et je suis allé le voir. »
La reconnaissance de ce métier, c’est ce qui nous fait exister aux yeux des autres même si on reste dans l’ombre
Depuis, le tandem a fait du chemin. Les deux hommes ont créé l’Atelier du formier et proposent leurs formes aux professionnels du chapeau en France et à l’étranger. Ils travaillent sur du bois de tilleul, aux multiples vertus : ferme et tendre à la fois, facile à travailler, au veinage homogène qui facilite le polissage, il réagit bien à l’humidité et peut donc supporter la pose du feutre gorgé de vapeur. La paire se complète parfaitement : l’un possède l’expérience et la technique, l’autre le regard neuf et la créativité. Leur collaboration prend un nouveau tournant avec l’entrée dans ce programme de transmission et l’objectif de mener un travail hors-production avec la création d’une collection. « J’ai des automatismes alors que lui est complètement vierge donc quand il fait une forme, je le laisse faire et j’essaie de ne pas trop interférer car j’essaie de préserver cette vision nouvelle. On avance vers un apprentissage qui le rendra autonome. »
Moins d’une quinzaine de formiers en Europe
Vingt-huit ans après son entrée dans le programme en tant qu’Élève, Sébastien Tessier s’apprête à endosser une nouvelle casquette, celle du Maître d’Art. « Quand on a fait le dossier de candidature, j’ai l’impression que ça a remué plein de choses car on se penche sur notre parcours. J’ai pensé à Tino qui n’a pas eu cette reconnaissance et qui m’a laissé ce savoir-faire, cet héritage que je partage aujourd’hui. » Pendant trois ans, il va s’efforcer de transmettre un savoir-faire extrêmement rare : moins d’une quinzaine de professionnels travaillent encore les formes en Europe et il n’existe pas de diplôme spécifique. Faire perdurer la profession est donc essentiel puisque sa disparition aurait des conséquences sur les métiers de chapelier, modiste et sur l’univers de la haute couture. « Travailler en collaboration avec des professionnels qui ont besoin de ces formes, ça donne du sens pour moi, poursuit Yann Marchand. Ils ont besoin de nous, mais aussi de plusieurs formiers pour avoir différents styles et ça me conforte dans l’idée de faire ce métier. » Le passage de témoin entre les deux hommes est encore loin mais la transmission et la pérennisation du métier, elle, commence aujourd’hui.
Partager la page