Quelques-uns des plus grands artistes de notre temps sont venus travailler
sur la Côte d’Azur, qu’il s’agisse de Fernand Léger, de Picasso, de
Matisse.... Au tournant du XXe siècle, ce « grand atelier du Midi », selon
André Chastel, constitua un véritable laboratoire pour des peintres
soucieux de se confronter à une lumière intense et donner la priorité à la
couleur.
À l'invitation de Paul Signac et de Henri Manguin, Pierre Bonnard découvrit
Saint-Tropez en 1904, puis y séjourna en 1909. « Saint-Tropez où vous
m'avez guidé au seuil du Midi » écrit-il à Paul Signac en 1933, se
souvenant de leurs promenades en voilier ou sur son bateau dont il avait
teint les voiles en jaune. Saint-Tropez, où il fut frappé, comme il l'écrivit à
sa mère, d'« un coup des Mille et Une Nuits : la mer, les murs jaunes, les
reflets aussi colorés que la lumière ». Dès cette époque le peintre se rendit
régulièrement dans le Midi, avant d'acheter en 1926 une petite maison sur
les hauteurs du Cannet où il vint d’abord par intermittence, pour s'y retirer
définitivement en 1939, jusqu’à sa mort.
La présence de Bonnard au Cannet, avec les admirables peintures qu’il a
laissées de ce séjour, justifiait pleinement ce musée que nous avons la joie
d'inaugurer avec cette exposition Bonnard et Le Cannet. Dans la lumière
de la Méditerranée.
Il y a un an, avant de visiter le chantier du futur musée, je m'étais d’abord
rendu à la villa Le Bosquet, je n'avais pas caché ma surprise et mon
émotion qu’elle ait pu être ainsi préservée par sa famille. C'est là, dans
cette villa rose blottie sous les fleurs et les orangers qui donne sur la baie
de Cannes et le massif de l'Estérel, que Bonnard a peint ses tableaux les
plus inspirés, ceux que les spécialistes considèrent comme un sommet
dans l'art de la première moitié du XXe siècle. Ces paysages, sujets d'une
exploration de la couleur sans précédent, ont agi sur lui tout comme la
Sainte Victoire sur Cézanne ou Giverny sur Monet. Grâce aux efforts
déployés par la famille de Pierre Bonnard, Le Bosquet demeure un lieu
préservé et silencieux qui garde toute l'âme et la part de rêve de cet
immense coloriste.
Non loin de là, au coeur de la Ville, aujourd'hui le premier musée
entièrement consacré à l'artiste voit le jour. Il est très exaltant de voir se
concrétiser ce projet que vous portez, Madame la Députée-Maire, depuis
1983, avec force, audace et conviction.
Ce musée a bénéficié d'une dynamique précieuse fondée sur des
rencontres et des amitiés. Tout d'abord bien sûr, les liens que vous avez
noués, chère Michèle TABAROT, avec la famille de l’artiste. Mais je tiens à
rappeler aussi le soutien décisif de trois personnalités regrettées qui ont
joué un rôle déterminant dans la construction de cette structure : Françoise
CACHIN, directrice honoraire des musées de France, Michel TERRASSE,
arrière-petit-neveu du peintre et Philippe MEYER, président de la
Fondation Meyer pour le développement culturel et artistique.
Philippe MEYER, grand admirateur et collectionneur d'oeuvres de Bonnard,
regrettait vivement qu'aucun musée ne lui fût consacré. A l'instigation de
Françoise CACHIN, amie de longue date, la création de ce musée devint
un objectif privilégié de la Fondation Meyer. Vincent MEYER poursuit avec
beaucoup de passion cet oeuvre.
Le musée s'ouvre aujourd'hui, à proximité de la villa Le Bosquet, grâce à la
réhabilitation de l’hôtel Saint-Vianney, sauvé de la démolition par
l’architecte des Bâtiments de France, et acquis par la ville en 1998. Tout le
défi de ce projet était de préserver l’esprit du bâtiment, l’un des derniers
témoins de l'architecture Belle époque, tout en lui attribuant une extension
contemporaine. Réalisée dans le dénivelé du terrain, celle-ci a permis de
créer un important espace d’accueil, une salle pédagogique et une
boutique ainsi qu’une vaste terrasse.
L’édification d’une colonne vitrée, contenant une cage d’escalier et un
ascenseur décollés du bâtiment existant par une passerelle, permet l’accès
aux personnes handicapées, tout en offrant une vue imprenable sur le
paysage.
Le parvis du musée, lieu d’accueil du public, s’ouvre largement sur le
boulevard Carnot ; les jardins de l’Hôtel Saint-Vianney, qui seront bientôt
directement reliés à ceux de l’Hôtel de Ville, ont été réaménagés par
Jérôme MAZAS de l'Atelier Horizons et plantés de ces essences
méditerranéennes, amandiers, mimosas, grenadiers, que Bonnard
affectionnait tant.
Je tiens à saluer la qualité architecturale de cette réalisation confiée au
cabinet FERRERO et ROSSI. Je voudrais saluer également la belle
scénographie imaginée par Birgit FRYLAND de l'agence SCENO.
La réussite de cette opération, nous la devons à la volonté et à
l'engagement financier de la ville du Cannet et au soutien du Conseil
général des Alpes-Maritimes et du Conseil régional de Provence-Alpes-
Côte d'Azur.
La ville du Cannet, les collectivités territoriales, l'ensemble de la famille
TERRASSE et Pierre et Marie-Françoise VERNON, les collectionneurs et
les amateurs se sont unis pour que ce beau projet voie le jour - car ce
musée, c'est aussi une collection constituée d’achats, de dons et de dépôts
privés et publics. Permettez-moi de rappeler la contribution essentielle à
son enrichissement de Marina FERRETTI-BOCQUILLON, conseillère
scientifique, qui de 2003 à 2009 a mis en place une remarquable stratégie
d'acquisitions et d'expositions de préfiguration.
Le musée a ainsi acquis des oeuvres majeures comme Paysage de nuit ou
Paysage du Midi et, avec le soutien de l'Etat, en 2008, Baigneurs à la fin
du jour ou encore en 2010, Nu de profil, le paravent La promenade des
nourrices, un Autoportrait et deux aquarelles grâce à l'aide du Fonds du
Patrimoine. A ces achats, s’ajoutent des dons qui sont une belle preuve de
confiance de la famille du peintre et de généreux mécènes, tels la
Fondation Meyer, Françoise CACHIN et Annisabelle BERES.
Je me réjouis tout particulièrement de la collaboration scientifique qui est
engagée entre le musée d'Orsay et la ville du Cannet. En effet, le musée
d'Orsay a mis en dépôt au musée Bonnard, de véritables chefs-d'oeuvre
comme Paysage soleil couchant de 1923 et Paysage du Cannet de 1927,
deux magnifiques donations à l'Etat de la Fondation Meyer ainsi que La
Salle à manger au Cannet, entrée en 2009 dans les collections par le biais
d'une dation.
Le musée d'Orsay, qui soutient la politique d'expositions temporaires du
musée Bonnard, a apporté également, je le rappelle, une contribution
essentielle à l'exposition inaugurale avec des prêts prestigieux comme Le
boxeur ou L'Amandier en fleur, une peinture particulièrement attachante
car il s’agit de la dernière toile de Bonnard. Cet amandier fleurissait dans
son jardin, presque sous la fenêtre de sa chambre. Cette oeuvre, mise de
côté comme c’était souvent le cas, le peintre l'avait reprise en 1947 et
quelques jours avant sa mort il avait demandé à son neveu, Charles
Terrasse, de mettre une tache de jaune sur son amandier. Charles
Terrasse écrira une très belle phrase à propos de cette oeuvre : « dans ce
jaillissement de blanc qui s’élève dans le ciel comme un hymne, l’on peut
voir le suprême témoignage de gratitude et d’amour offert par Bonnard à la
Nature ».
Le musée d'Orsay envisage par ailleurs des prêts de longue durée qui
viendront renforcer les collections, comme par exemple à l'automne, le prêt
de deux paysages décoratifs peints par Bonnard pour décorer la chambre
de Thadée Natanson.
Je sais que vous travaillez activement, chère Michèle TABAROT, avec
Guy COGEVAL, président de l'établissement public des musées d'Orsay et
de l'Orangerie, pour que ce partenariat soit très prochainement formalisé
par une convention entre l'établissement et la Ville.
Ce projet audacieux appelait un engagement fort auquel l'Etat a été très
heureux de s'associer. Dès 2006, le ministère de la Culture et de la
Communication en a reconnu l'intérêt, en attribuant l'appellation « musée
de France » au musée Bonnard sur la base du projet scientifique et culturel
défini par Marie GRASSE, conservateur en chef des musées de la ville de
Grasse.
L’Etat s’est volontiers engagé dès le début dans ce programme en
apportant son soutien financier mais également la compétence de ses
services : ceux de la Direction générale des patrimoines et tout
particulièrement du Service des Musées de France, mais aussi ceux de la
Direction régionale des affaires culturelles qui ont été très présents et
attentifs. Ils ont assuré un suivi régulier de cette opération dans ces
phases d'élaboration et l'ont accompagné de leur expertise technique tout
au long de sa réalisation.
Chère Michèle TABAROT, je tiens à saluer l'action de la municipalité du
Cannet qui a porté ce projet avec constance et détermination. Vous êtes
très impliquée - et cela depuis de nombreuses années - dans la politique
culturelle de notre pays. Vous présidez notamment, je le rappelle, la
Commission des affaires culturelles et de l'éducation à l'Assemblée
nationale. Mais c’est à votre engagement locale que je veux rendre
aujourd'hui hommage, un engagement qui se traduit par des actions
remarquables notamment en faveur du développement culturel.
C'était tout l'enjeu à la fois culturel, identitaire et économique de ce musée.
En prolongement, vous avez souhaité aménager différents circuits
piétonniers faisant découvrir « sur les pas de Bonnard » les paysages
qu'ils chérissait, paysages que vous aviez su préserver par ailleurs d'une
urbanisation croissante. Le sentier de découverte du canal de la Siagne
est ainsi porteur d’une émotion profonde, chaque matin Bonnard aimait en
effet à s'y promener.
Pour ce magnifique projet, vous avez reçu une Marianne d'Or 2010, ce qui
est une très belle reconnaissance des actions menées par la ville du
Cannet autour de Pierre Bonnard.
Je sais aussi combien le volet éducatif est une de vos préoccupations et
combien vous soutenez le programme de médiation du musée en direction
des établissements scolaires. Avoir réservé avant-hier à trois cent
cinquante élèves du Cannet la primeur de l'ouverture de cet établissement
est un signe très fort de cet important travail de fond.
Ce remarquable partenariat éducatif et culturel à l’intention des jeunes de
la commune est aussi le résultat de l'engagement de Vincent MEYER et de
Véronique SERRANO, directrice du musée Bonnard, à laquelle j'adresse
toutes mes félicitations pour la qualité et l’ampleur du travail accompli.
Vous avez choisi, chère Véronique SERRANO, de quitter le musée Cantini
de Marseille pour vous associer à ce formidable défi : offrir à Pierre
Bonnard le premier musée dédié à son oeuvre. Votre renommée
professionnelle, votre exigence, votre connaissance du peintre ont été des
atouts supplémentaires dans cette belle aventure. Je sais que vous n'avez
pas ménagé vos efforts pour mener à bien la dernière phase de ce grand
projet avec toute votre équipe.
Le brillant ensemble d'oeuvres majeures exceptionnellement réunies autour
de cette exposition Bonnard et Le Cannet. Dans la lumière de la
Méditerranée marque avec éclat l'ouverture du musée Bonnard. Reconnue
d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication, elle
a bénéficié à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.
Je remercie chaleureusement les institutions françaises et internationales
et les collections privées qui ont permis d'admirer, ici ensemble, des chefsd’oeuvre
aussi incontournables que L’Atelier au mimosa, La Terrasse
ensoleillée, Nu à la baignoire, L’Amandier en fleurs ou le fameux
Autoportrait en boxeur, à la posture combative et au visage tendu, poings
fermés face au miroir, face aux assauts de l’âge, face à son art, dans une
atmosphère vibrante de lumière.
Ses autoportraits sont la « part d'ombre » du peintre, en particulier ceux de
la dernière décennie. Paradoxalement, dans le contexte particulièrement
sombre de la guerre, il n'y a jamais eu autant de jaune et d'éblouissement
coloré dans sa peinture. Les paysages du Cannet et la lumière du Midi
sont demeurés pour lui des sources d’inspiration inépuisables.
En 1940, il écrit à Vuillard :" Je m'intéresse beaucoup au paysage et mes
promenades sont remplies de réflexions à ce sujet. Je commence à
comprendre ce pays et n'essaye plus d'y trouver ce qui n'y est pas et alors
il renferme de grandes beautés. De là à établir les différentes conceptions
que la nature a fait naître, c'est ce qui m'amuse."
Si l'oeuvre de Bonnard a connu très tôt un succès croissant bien au-delà de
nos frontières, si de nombreuses manifestations lui ont été consacrées de
par le monde, c'est ici, à n'en pas douter, qu'il aurait aimé que l'on rende
hommage à sa peinture, ici, où il mena une vie retirée, refusant les
honneurs, travaillant à l'écart des recherches révolutionnaires du cubisme
et du surréalisme.
L'ouverture de ce nouveau musée de France participe pleinement à la
reconnaissance de l'oeuvre inclassable de ce maître épicurien du
chromatisme. Répondant à l'article de Christian Zervos dans les Cahiers
d'Art, Matisse écrivait « oui! Je certifie que Pierre Bonnard est un grand
peintre pour aujourd'hui, et sûrement pour l'avenir ». Ce lieu magnifique qui
lui est dédié vérifie bien cette assertion.
Je vous remercie.