La ville fascine, la ville est un théâtre, la ville est un miroir projeté sur le
monde. Le cinéma l’a révélé admirablement : de Fritz Lang à Godard, de
Métropolis à Alphaville la ville est une réalité qui inspire et stimule
l’imagination des créateurs et des artistes. Dans Lost in translation de la
talentueuse Sofia Coppola, le héros interprété par Bill Murray pénètre dans
Tokyo et observe les vanités de la civilisation sur les écrans lumineux qui
s’égrènent en chapelet devant la fenêtre du taxi qui le porte à son hôtel.
Pour comprendre le monde, le héros observe d’abord la ville et les signaux
qu’elle renvoie.
La ville est évidemment aussi le territoire du lien social, le lieu où s’exprime
les tensions, les ruptures, les fragmentations. Il revient aux architectes, aux
urbanistes, aux sociologues de les penser. Il revient aux acteurs publics de
les organiser, de les transformer et de promouvoir les nouvelles formes du
“vivre ensemble”. C’est aussi l’enjeu du Pavillon présenté à l’occasion de
cette Biennale de Venise, dont la réalisation a été confiée à Dominique
Perrault. Ce projet ambitieux s’inscrit dans la continuité de la consultation
internationale sur le Grand Paris, conduite par le ministère de la Culture et
de la Communication, à la demande du Président de la République. Vous
le savez, cette dernière a connu un succès médiatique et un intérêt sans
précédent en France mais aussi à l’étranger. Pendant 9 mois, 10 équipes
internationales pluridisciplinaires – architectes, urbanistes, économistes -
soit 500 personnes ont travaillé pour produire une somme de propositions
et de projets sur le Grand Paris. Ces résultats ont été présentés au public
au printemps 2009 à la Cité de l’architecture et du patrimoine ; ils le sont à
nouveau aujourd’hui à Venise, à l’occasion de cette Biennale
d’architecture, dans une ville qui révèle combien l’éphémère et le durable
sont en harmonie et combien l’eau et la pierre peuvent dessiner ensemble
un projet urbain. Ce projet ambitieux a permis un regard renouvelé sur les
grandes métropoles et sur les enjeux de la ville du XXIe siècle : la mobilité,
l’attractivité internationale, la gouvernance, le développement durable, la
promotion de la créativité, aucun sujet n’aura été esquivé.
Je suis particulièrement heureux que Dominique Perrault ait accepté d’être
le commissaire de ce pavillon français, avec le concours de Cyrille Poy et
du magazine Architecture d’Aujourd’hui, ainsi que celui de Richard Copans
et les Films d'Ici. Pour illustrer la transformation de la ville à l’aube du XXIe
siècle, Dominique Perrault a invité quatre acteurs majeurs de la scène
nationale : Bordeaux, Lyon, Nantes-Saint Nazaire, Marseille au miroir de
l’Atelier international sur le Grand Paris.
Cinq expériences, cinq exemples, cinq propositions pour inventer la
métropole de demain. Je tiens à remercier ici très sincèrement et très
chaleureusement les métropoles régionales, Nantes Saint-Nazaire,
Bordeaux, Lyon, Marseille, ainsi que tous les acteurs du Grand Paris, au
premier rang desquels la Ville de Paris, pour leur participation à ce projet et
pour leur soutien. Leur présence témoigne de l’importance de l’action des
collectivités locales, aux côtés des services de l'État, dans la promotion de
la culture française à travers le monde. Avec les expositions itinérantes,
avec les tournées des grands orchestres et des compagnies présents dans
vos métropoles, avec les Biennales et festivals organisés en région, c’est le
rayonnement de nos artistes et de nos créateurs que vous facilitez. Et je ne
doute pas que l’Institut français poursuivra la politique de
conventionnement engagée par CulturesFrance à vos côtés au cours des
dernières années. Je tiens à saluer les élus présents.
C’est pour moi aussi un immense plaisir de retrouver, ici, à Venise, l’équipe
de la talentueuse agence d’architectes SANAA, dirigée par madame
Kazuyo SEJIMA à qui le Commissariat de cette 12ème exposition
internationale d’architecture de Venise a été confiée, et son associé Ryue
NISHIZAWA. Je profite de cette occasion pour les féliciter du Prix Pritzker
dont ils ont été honorés cette année. Comme vous le savez, l’agence
SANAA réalise actuellement en France le nouveau musée du Louvre qui
verra le jour en 2012 à Lens et dont nous avons posé ensemble la
première pierre le 4 décembre 2009. Ce nouveau Musée sera une vitrine
pour les chefs d’oeuvre des collections du Louvre.
Ce projet me tient particulièrement à coeur car il est une illustration de ma
volonté de placer la culture à la portée de tous les publics, à la portée de
chaque citoyen. Je ne doute pas qu’il rencontrera le même succès que
connaît actuellement le Centre Pompidou Metz et qu’il démontrera, s’il en
était besoin, le rôle moteur de l’architecture dans le développement
économique et culturel des villes et des métropoles.
Je ne présenterai pas les détails de la scénographie stimulante imaginée
par Dominique Perrault. Celui-ci répondra à vos questions sur ce sujet.
J’aimerais en revanche évoquer avec vous les enjeux politiques et culturels
liés à la question des métropoles. L’idée de Dominique Perrault consiste à
montrer le basculement de la ville, en tant qu’unité urbaine, à la métropole,
territoire morcelé et fragmenté alternant pleins et vides, lieux et « non
lieux » pour reprendre la belle expression de Marc Augé. Dans une société
de la mobilité en effet, de nouveaux modèles de développement émergent,
de nouvelles frontières apparaissent, de nouveaux risques de ségrégation
– spatiale, générationnelle – se manifestent. Les modes de vie et
l’économie modernes sont à la fois urbains et mondialisés, globaux et
locaux, en lien direct permanent. L’urbanité historiquement fondée sur le
lieu a cessé d’être le monopole de la ville : elle s’est peu à peu
« virtualisée », elle est devenue « multi-lieux », elle est devenue la « ville
nuage » pour citer le sociologue Jean Viard. Ce sont là les grands défis
d’avenir auxquelles les métropoles vont devoir faire face : se développer,
s’embellir, s’agrandir, communiquer sur leur attractivité, devenir
« durables » afin de fidéliser ceux qui résident aujourd’hui et ceux qui
voudront s’y installer demain. De la reconquête des quais de la Garonne à
Bordeaux à la création du nouveau quartier de la Confluence porté par le
Grand Lyon, du projet d’intérêt national Euro-Méditerranée à Marseille à la création du titre de transport unique Metroceane par la métropole bicéphale
Nantes-Saint Nazaire, les projets structurants ne manquent pas.
La problématique que propose Dominique Perrault tient tout entière dans
l'interrogation posée par le titre Metropolis ? Elle pose comme condition
première de la réflexion la fin des a priori, la libération des regards, des
approches, la stimulation des énergies et des volontés également. Car la
question métropolitaine est devenue, avec celle de la réduction de
l’empreinte écologique, une des questions centrales du XXIe siècle.
Imaginons par exemple, et ce fut le sens des réflexions des dix équipes
pluridisciplinaires qui ont travaillé sur l’avenir de la métropole, imaginons
que l’espace habité ne se pense plus selon la traditionnelle opposition
rural/urbain, lointain l’écho d’une opposition plus ancienne – celle de la
nature et de la culture. Imaginons, disé-je que nous regardions désormais
cet espace comme un espace humanisé, un territoire qui agglomère les
désirs et les solidarités, un territoire qui agglomère les ressources
industrielles, tertiaires, agricoles au plus près de l’usager, un territoire qui
intègre le paysage comme une donnée urbaine. C’est ainsi que je vois et
que je me représente la métropole de demain.
L’essentiel pour penser et gouverner une cité, est de réfléchir à une
nouvelle lecture des changements sociaux et à un nouveau rapport au
territoire, à la culture de la mobilité, des vies en trajets et en étapes, à
l’importance nouvelle du temps libre. Dans ces conditions, la question qui
se pose aux urbanistes, aux architectes, aux élus est bien celle du « faire
société ensemble » alors que nous sommes dans une société de
privatisation du lien social et d’individualisation des trajets. Si nous n’y
prenons garde, nous allons vers une société de fragmentation politique,
vers la résurgence de « nous » archaïques. Tout l’enjeu consiste à
transformer chaque ville dans le respect des individus et dans la juste
interprétation des nouvelles solidarités qui se tissent à l’âge numérique. En
d’autres termes, pour penser et administrer la ville du XXIe siècle, il faut
connaître son passé, son présent, mais aussi porter une vision et imaginer
son avenir.
Les expériences conduites par les grandes métropoles régionales
présentées dans le Pavillon, la maturité dont elles ont fait preuve dans la
conduite de projet, la qualité des réalisations et les nouvelles approches
qu'elles ont fait émerger, confirment la mutation de la pensée politique et
de l’expertise technique dans la « fabrique » de la ville.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire, les architectes figurent parmi les meilleurs
ambassadeurs de notre culture à l'étranger. En travaillant sur la cité, cette
polis des Grecs intimement liée à l’idée de la politique et de la citoyenneté -
sur son environnement et sur le « vivre ensemble », ils sont au coeur des
interrogations de nos contemporains, ils sont à même de les toucher et de
les émouvoir, de les sensibiliser et de les séduire.
Je profite d'ailleurs de cette occasion pour saluer, comme elle le mérite,
l'initiative de l'Afex qui a créé le premier Grand Prix Afex de l'architecture
française dans le monde. Je me réjouis d’autant plus que Dominique
Perrault en a été le premier récipiendaire, avec l'université féminine Ewha,
à Séoul. Ce prix lui sera remis demain, ici à Venise, par Philippe Bélaval,
directeur général des patrimoines.
Cette année encore, l'exposition internationale d'architecture de la Biennale
de Venise est un rendez-vous de premier ordre. Elle permet d'exposer et
d'exporter le talent des grands concepteurs français de la ville de demain,
une ville proche des attentes de ses habitants, une ville dans laquelle les
transports physiques diminuent, une ville respectueuse des normes
environnementales mais aussi une cybercité connectée au réseau mondial,
une ville ouverte sur les cultures du monde, une ville aux quartiers
revivifiés elle-même quartier du « jardin planétaire » (Gilles Clément).
Je vous remercie.