Elizabeth Jane Gardner-Bouguereau (Exeter (New Hampshire), 1837 – Paris, 1922)
Elle reçoit une solide éducation dans un collège pour jeunes filles. Elle enseigne d’abord le Français, avant de se rendre à Paris en 1864. Elle commence par exécuter des copies, destinées à des amateurs américains, ce qui constituera longtemps sa principale source de revenus. Elle débute au Salon en 1868, la même année que Mary Cassatt. Elle y sera acceptée chaque année, jusqu’en 1896. Elle se présente d’abord comme élève de « M. Merle », puis, à partir de 1875 « de MM. H. Merle et J. Lefebvre » et de 1877, « de MM. H. Merle, Bouguereau et J. Lefebvre ». C’est que, en effet, elle s’est inscrite à l’Académie Julian où enseignent Jules Lefebvre (1834-1912) et William Bouguereau (1825-1905), et ce serait à son instigation que Bouguereau aurait incité Rodolphe Julian (1839-1907) à ouvrir un atelier pour femmes. Quoi qu’il en soit elle revendiquera le fait d’avoir été une des trois premières femmes à fréquenter cette académie.
Elle aurait reçu un prix d’honneur au Salon de 1879 et elle aurait été la première Américaine à remporter une médaille au Salon, en 1887, pour la Fille du fermier (tableau perdu). A l’occasion de l’exposition universelle de 1889, elle reçoit une médaille de bronze. Certaines de ses œuvres sont reproduites dans le Salon illustré, en 1879 (p. 58), 1880, 1882, 1883, 1884, 1885, 1887, 1888, 1889, 1890, 1891 (p.303), 1892, 1893, 1894, 1895. Son David berger, exposé en 1895 (« le grand succès de ma vie auprès des artistes etc »), est promu par le marchand Adolphe Goupil (1806-1893). Après cette date, elle disparaît du Salon illustré, ce qui pourrait indiquer un amoindrissement de sa renommée. Sa technique, de style académique, est irréprochable. Les sujets représentent souvent des enfants, petits paysans d’une veine sentimentale un peu mièvre. L’artiste les qualifie elle-même de « toiles à vendre, afin de faire bouillir la marmite ».
E. J. Gardner est certainement l’Américaine vivant à Paris la plus connue de son époque et son atelier, 73 rue Notre-Dame-des-Champs, joue un rôle de premier plan dans la communauté. C’est d’abord à elle que Bertha Palmer envisage de passer commande pour la décoration monumentale du Pavillon de la femme de la World's Columbian Exposition, de 1893, à Chicago. E. J. Gardner refuse. Toutefois, elle sera représentée par des peintures, tant dans ce pavillon que dans le Palace of Fine Arts.
Si E. J. Gardner se montre extrêmement traditionnelle dans sa peinture, elle affiche un mode de vie beaucoup plus original. Même si la loi ne l’interdit pas, la police des mœurs peut intervenir quand une femme porte un pantalon. Certaines dérogations peuvent être obtenues auprès de la préfecture de police de la Seine, lorsqu’une activité justifie le port du pantalon par une femme. Rosa Bonheur avait fait cette démarche. E. J. Gardner la fera à son tour, en 1873, afin de bénéficier des cours de la classe de dessin des Gobelins, réservés aux hommes. Elle devient la maîtresse de Bouguereau, après la mort de la femme de ce dernier, en 1877. En 1879, elle annonce à sa famille ses fiançailles avec l’artiste français, précisant « Aucun de nous ne désire se marier pour l’instant […] A la longue, j’ai pris l’habitude de la liberté ». Leur relation, avérée, ne sera légalisée qu’après la mort de la mère de Bouguereau, en 1896.
Elle entretiendra toute sa vie des relations très étroites avec sa famille et ses relations aux États-Unis, affirmant avec humour : « il est difficile d’éternuer dans la colonie Américaine sans être entendue de l’autre côté de l’Atlantique ». Elle conseille certains collectionneurs et expose régulièrement à Boston et New York. Paradoxalement, en France, où son mari représente l’archétype du peintre officiel, accumulant reconnaissance, décorations et commandes, elle-même ne bénéficie d’aucune acquisition de l’État, ni même de la Légion d’honneur. Si les artistes femmes impressionnistes connaissent aujourd’hui un début de reconnaissance, il n’en va malheureusement pas de même pour cette artiste académique.
Laurent Manoeuvre
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