Depuis 2015, le Forum Entreprendre dans la Culture a pour vocation de promouvoir et de soutenir un entrepreneuriat culturel en pleine croissance. L’événement offre également l’occasion de découvrir les trajectoires particulières d’entrepreneurs engagés depuis de nombreuses années dans des démarches d’innovation culturelle et sociale. Holta Hoxha-Carron, Frédéric Ménard, Carl de Poncins, Antoine Villey et Josquin Farge comptent parmi ces belles histoires, récompensées en 2017 par le Prix IFCIC-Entreprendre dans la Culture. À l’occasion de la 4e édition nationale du Forum, tous sont revenus avec enthousiasme sur leurs parcours et leurs perspectives de développement, sans oublier de délivrer leurs conseils aux entrepreneurs de demain.
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Rencontre avec Holta Hoxha-Carron,
directrice générale de 1000 Visages Production
1000 Visages Production a été créée il y a déjà 12 ans, en 2006. Qu’est-ce qui a motivé la mise en place d’une association comme la vôtre, rare dans le milieu du cinéma ?
L’idée de départ de Houda Benyamina, réalisatrice de « Divines » et fondatrice de l’association, était de faciliter l’accès au monde du cinéma – dans ce qu’il comprend de plus large, de la pratique professionnelle au visionnage comme simple spectateur – à des jeunes éloignés du cinéma pour des raisons sociales, économiques ou territoriales, qu’ils soient issus des quartiers prioritaires ou de zones rurales.
Au-delà de la seule éducation à l’image, nous développons une large palette de métiers liés à la réalisation de films. Les jeunes formés chez 1000 Visages peuvent autant devenir scénaristes que réalisateur, producteur, acteur, et bien d’autres métiers encore. Tous nos ateliers et masterclass ont le même objectif : apprendre à vivre une aventure collective. S’intégrer à un projet commun, c’est devoir faire preuve de discipline et d’assiduité, montrer sa capacité d’écoute et de travail en équipe. C’est aussi prendre de l’assurance et trouver sa place. Quand vous possédez ce socle de confiance, tout est possible.
D’ici dix ans, notre rêve est de devenir un label incontournable pour toutes celles et ceux qui ont envie de développer un projet – qu’il soit amateur ou professionnel, conventionnel ou expérimental – où le partage et la transmission seront les moteurs d’un cinéma ouvert.
Comment a grandi l’association au fil des ans ?
Sur les premières années, le groupe était composé d’une vingtaine de jeunes. Quatre ou cinq sont devenus des professionnels, certains ont même obtenu des prix prestigieux. Aujourd’hui, plusieurs centaines de jeunes participent à nos actions partout en France. 1000 Visages est devenu un découvreur de talents, mais aussi un cadre de formation et d’insertion épanouissant.
Je n’ai aucun problème à dire que 1000 Visages est gérée davantage comme une initiative entrepreunariale que comme une association. Si notre domaine d’activité nous rapproche plus de l’économie sociale et solidaire, cela ne nous empêche pas d’avoir de l’ambition. 1000 Visages n’a aucun compte à rendre à des actionnaires, mais à tous les entrepreneurs qui travaillent à nos côtés.
Pour réussir, il faut avoir une vision de ce que l'on veut faire et de ce que l'on veut devenir : que serai-je dans dix ans ? Où vais-je emmener mon idée ?
Quels conseils donneriez-vous à un jeune porteur de projet désireux de se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat culturel ?
Pour ceux qui démarrent sans rien ou avec peu d’acquis, il est indispensable d’avoir une vision de ce qu’on veut faire et de ce qu’on veut devenir. Il faut se poser ces questions rapidement, sans attendre que le projet soit déjà lancé à pleine vitesse. Quand un projet est enthousiasmant, qu’il est guidé par une vision, les partenaires opérationnels, artistiques ou financiers vous suivront de plein gré. On déplore souvent que le manque d’argent bloque les projets. Ce n’est pas toujours vrai : c’est souvent l’absence de vision. Il faut tout faire pour que la conscience d’un manque de moyens ne tourne pas à la paralysie. Toute l’équipe de 1000 Visages est dans cette énergie. Certains sont partis de zéro et sont pourtant montés très haut.
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Rencontre avec Frédéric Ménard,
président de la Coursive Boutaric
La Coursive Boutaric a vu le jour en 2010. Quelles étaient vos intentions en ouvrant les portes d’un pôle d’entreprises créatives et culturelles implanté au sein d’un immeuble en partie inoccupé de Dijon ?
Au départ, nous souhaitions avant tout accompagner le développement des entreprises culturelles de la ville grâce à un fonctionnement coopératif et, par ce biais, redynamiser un quartier dortoir grâce à l’activité économique que généreraient ces opérateurs culturels. À l’époque, le quartier populaire des Grésilles était engagé dans une vaste opération de requalification urbaine. Lorsqu’on s’est installés, 50 % des appartements étaient vacants !
Comment a évolué le projet et ses missions en 8 ans ?
D’un espace de coopération d’entreprises culturelles, la Coursive Boutaric s’est peu à peu transformée en un véritable pôle aux compétences multiples. En 2010, nous étions quatre opérateurs culturels ; aujourd’hui, la Coursive abrite 23 entreprises du bassin dijonnais, soit 73 salariés. Les métiers et les profils y sont variés, du design à l’audiovisuel, de la publicité au théâtre, en passant par le cirque, la musique, le graphisme ou encore l’écriture. Le pôle de coopération en lui-même n’est finalement devenue qu’une activité parmi d’autres. La Coursive a évolué, mais elle a conservé ce désir d’accompagner les parcours des entrepreneurs.
Notre priorité, c’est de mettre en commun les pratiques et les compétences pour donner aux entrepreneurs culturels des outils concrets, adaptés au monde économique traditionnel
Que s’est-il passé à la Coursive Boutaric lors de ces derniers mois ?
Le projet de la Coursive Boutaric s’est délocalisé. Et ce, à double titre !
Nous avons d’abord été retenus dans le cadre d’un marché public par la collectivité du Grand Besançon pour animer et gérer un espace collaboratif dédié à la filière culturelle et créative. Cette sollicitation en tant que prestataire est devenue, depuis 2017, le projet « 52 Battant », installé au n°52 de la rue du même nom à Besançon. Le lieu est aussi protéiforme que la Coursive dijonnaise : il abrite un show room, un espace de co-working et propose des rendez-vous conseil destinés à accompagner les porteurs de projets, à diagnostiquer leurs besoins et à les orienter vers les structures de soutien existantes.
À Dijon, nous quittons l’immeuble historique du quartier des Grésilles pour nous installer à quelques pas, dans un nouveau local de 500 m² situé sur la place Galilée. Conçu comme un vaste espace de travail collaboratif, ce lieu a vocation à devenir le premier tiers-lieu dijonnais. Aujourd’hui, la Coursive Boutaric est donc une aventure hybride, un pied à Dijon sur les bases d’un projet issu de la société civile, l’autre à Besançon dans un cadre plus politique.
Un conseil à prodiguer à un jeune entrepreneur dans le secteur culturel et/ou social ?
Il est primordial d’avoir une connaissance poussée du contexte territorial dans lequel se monte le projet. On trouve aujourd’hui de nombreux organismes de soutien capables d’accompagner les entrepreneurs. Allez rencontrer ces structures, leur existence est une chance. À l’époque de la création de la Coursive, tout cela n’existait pas et nous aurait été pourtant très bénéfique, notamment en matière d’ingénierie dans le cadre d’un projet aussi complexe.
Aujourd’hui, il devient de plus en plus simple de monter un projet. Dans les territoires, les tissus d’accompagnement et de fonds d’amorçage n’ont jamais été aussi denses : profitez-en, faites-vous aider !
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Rencontre avec Carl de Poncins,
président et co-fondateur de Panthea
Panthea a été lancée en 2014. Quels étaient vos objectifs en développant ce service innovant de surtitrage multilingue, à la croisée entre tourisme, culture et technologie ?
Notre objectif de départ était simple : rendre le théâtre accessible aux visiteurs étrangers en France. L’idée est partie d’un constat après interprétation des pratiques touristiques : la culture représente le premier motif de voyage des touristes en visite en France, or ce tropisme pour la culture française se reporte avant tout sur les musées et les monuments historiques, témoins d’une France éternelle. En leur permettant de dépasser la barrière de la langue, Panthea leur ouvre un accès à une culture vivante, non figée. Les musées proposent des audioguides, alors pourquoi ne pas offrir le même type de service dans les théâtres ? C’est pourquoi nous avons créé le site www.theatreinparis.com qui recense tous les spectacles accessibles aux étrangers grâce au surtitrage.
Les musées proposent des audioguides, pourquoi ne pas offrir le même type de service dans les théâtres ?
Comment a grandi Panthea au fil des ans ?
Le projet a pu s’affirmer et s’épanouir grâce à deux éléments décisifs : l’accompagnement de BPI France et de Paris&Co, incubateur des start-ups de la Ville de Paris, et la possibilité offerte par le festival d’Avignon de mener une expérience pilote. Avignon a constitué une formidable caisse de résonance pour le projet, testé sur le terrain au cœur de lieux extraordinaires.
Le succès rencontré nous a permis d’assumer le renforcement de l’équipe commerciale et de prendre un virage à dimension internationale : la société est présente aujourd’hui à Paris et à Berlin. À terme, l’objectif serait de traduire vers et de toutes les langues du monde. Panthea a développé des outils de promotion des langues et des possibilités de partage qu’elles ouvrent : certains spectateurs commencent l’apprentissage du français à la sortie d’une représentation, il nous est arrivé de surtitrer des pièces étrangères en plusieurs langues sur lunettes connectées. Il existe également des perspectives enthousiasmantes en matière d’accessibilité des pièces au public sourd ou malentendant.
Votre projet doit être la raison qui vous fait vous lever le matin.
Si vous deviez retenir trois conseils à transmettre à un jeune porteur de projet culturel pour envisager un succès pérenne...
Il y a selon moi deux piliers incontournables.
Sans une passion véritable et sincère pour votre domaine d’activité, votre énergie et votre implication ne seront pas suffisantes. Il vous faut aussi vous poser la question de l’intérêt social et culturel de votre démarche : si mon projet me passionne, qu’apporte-t-il réellement de nouveau pour les autres ? Par quels moyens vais-je parvenir à les convaincre ?
Il faut ensuite faire de la rentabilité de votre projet une question centrale. Que peut-il me rapporter ? Quels développements le rendront rentable et me permettront par la suite de le rendre encore plus performant ? Un projet ancré dans le monde culturel reste une entreprise, avec ses contraintes financières et ses objectifs légitimes de développement. L’équilibre à trouver est à la fois simple et complexe : ne pas être trop rêveur, sans jamais devenir un simple « boutiquier ».
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Rencontre avec Antoine Villey,
fondateur du Camion Scratch
Vous avez pris la route à bord du Camion Scratch, première école de DJ itinérante en Europe, en 2013. Comment est né ce projet d’un genre nouveau ?
C’est au contact des structures qui m’accueillaient comme DJ que l’idée de monter des sessions d’initiation au Djing a germé. J’ai senti que ces lieux étaient en demande d’ateliers ouvert à tous, notamment aux jeunes, autour de la pratique de la musique et plus généralement des cultures urbaines.
Lorsque j’ai commencé à proposer des animations, il a fallu surmonter une difficulté récurrente : les longues séances de déballage du matériel, brancher et débrancher sans cesse les platines, les tables de mixage, les enceintes. L’achat et l’aménagement d’un camion répondaient à ce problème technique, tout en me donnant l’occasion d’aller au devant du public. Le Camion Scratch me permet aujourd’hui de me déplacer et d’accueillir du monde en toute autonomie, partout en France et au-delà.
Comment a grandi l’aventure Camion Scratch ?
Pas à pas. Le Camion Scratch n’a pas connu une trajectoire linéaire. Au début, en l’absence d’une véritable communication, il a fallu compter sur le bouche-à-oreille. La volonté de créer un projet à dimension européenne, à travers les jumelages culturels entre Caen et Portsmouth et ceux entre plusieurs villes anglaises et de Basse-Normandie, nous a ensuite permis de valoriser le projet et d’obtenir des subventions vitales pour financer le camion.
Proposer des ateliers en camion offre une grande liberté, mais crée aussi une dépendance concrète : le camion doit pouvoir rouler. Or les nombreux soucis de mécanique ont perturbé le développement du projet, qui dépend autant du DJ que du camion. À tel point qu’il n’est aujourd’hui plus envisageable de poursuivre le projet sans un nouveau camion. Après avoir récemment pensé à jeter l’éponge, j’ai décidé de créer un deuxième camion, le Camion Scratch 2.
Imaginez qu’un jeune désirant se lancer dans un projet à la croisée de la culture et du social, comme vous l’avez fait, se tourne vers vous pour obtenir les clés de la réussite. Quels conseils lui donneriez-vous ?
Ne partez pas tête baissée dans l’aventure ! Sur des projets qui demandent autant d’investissement, il est toujours plus confortable de se lancer avec un bagage financier et un parcours scolaire abouti. Il faut commencer par se préserver soi-même avant de se consacrer pleinement aux autres.
Il faut ensuite être prêt à affronter l’échec. Un projet est fait de hauts et de bas, la reconnaissance se fait parfois attendre. Mais il est important d’aller au bout, de ne pas s’arrêter au premier échec pour mieux rebondir.
Être déterminé est essentiel, mais ne soyez pas têtu. La clé, c’est l’ouverture à la critique.
Enfin, je crois qu’il faut savoir parler d’argent sans scrupules ni gêne. De mes débuts comme jeune musicien à aujourd’hui, mon regard a changé sur cette question. La rentabilité d’un projet culturel fait aussi partie des moteurs qui le font avancer. Cela ne doit pas devenir la seule finalité, mais un levier à ne pas négliger. Il faut savoir valoriser son travail et son investissement, sans que la question de ce qu’il rapporte ne devienne tabou.
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Rencontre avec Josquin Farge
co-fondateur et PDG de Soundsgood
Vous avez conçu une plateforme de partage de playlists musicales, Soundsgood, dès 2014. Pourquoi avoir développé ce nouveau média en ligne de découverte musicale ?
Le format initial de Soundsgood était celui d’un média de curation, c’est-à-dire de collecte et de valorisation de contenus issus de différentes sources, sélectionnés à partir des affinités et des critères des utilisateurs. À cette époque, le contexte était au développement du streaming média et les utilisateurs cherchaient des conseils qui leur indiqueraient quel type de musique écouter. Avec plus de 40 millions de titres en ligne, l’univers musical sur le web peut prendre des allures de véritable jungle, dans laquelle il faut pouvoir se retrouver. Dès le départ, Soundsgood a considéré la playlist comme le meilleur format possible, très facile à partager et adapté à l’envie d’éclectisme des utilisateurs.
On a donc voulu créer un média de découverte musicale qui deviendrait une référence, mais aussi un service professionnel dédié aux influenceurs musicaux (ou curators), grands consommateurs de musique sur les réseaux sociaux, pour qu’ils puissent créer, partager et diffuser leurs playlists.
L’appui sur les recommandations des influenceurs est devenu l’ADN de Soundsgood et a ouvert une voie alternative pour profiter du streaming musical ».
Comment a mûri Soundsgood en l’espace de quatre ans ?
Un an après le lancement, on a commencé à réfléchir à la monétisation de Soundsgood. On s’est rapidement rendus compte qu’on ne pourrait pas finaliser le business model prévu en raison des coûts démesurés de catalogue. En une semaine, on a donc fait « pivoter » le business model : on a gardé le socle technologique du projet, mais on a décidé de pousser les playlists au sein des plateformes, d’aller recruter des influenceurs.
En juin 2017, notre communauté rassemblait déjà 7 000 influenceurs et 8 millions de followers. Ces prémices nous ont permis d’envisager une monétisation effective en deuxième partie d’année. On compte aujourd’hui 18 000 influenceurs pour 53 millions de followers.
Après une période noire, l’industrie musicale retrouve actuellement une croissance et une confiance. Les chiffres sont positifs, les mentalités évoluent. Même si la confiance des financiers n’est pas encore totale, ce contexte favorable nous a permis de compter assez rapidement sur des investisseurs, qui nous apportent réseau et expertise. On est sur la bonne voie.
Depuis ces derniers mois et les bons résultats qui ont suivi la monétisation du projet, Soundsgood a pris de l’ampleur. On travaille actuellement à accélérer notre croissance à l’étranger, notamment aux États-Unis et en Amérique du Sud.
Il y a bien plus de personnes bienveillantes, prêtes à sincèrement aider le projet, que vous ne le croyez !
Quels conseils donneriez-vous à un jeune porteur de projet désireux de se lancer dans l’aventure de l’entrepreunariat culturel ?
Les industries et les métiers de l’entrepreunariat culturel restent variés. Dans l’industrie musicale qui nous concerne, le marché est nécessairement global. C’est pourquoi il faut avoir rapidement une vision globale de votre projet : voyager, connaître de nouvelles façons de faire et de penser, rencontrer des partenaires potentiels, envisager des changements d’échelle.
Ne passez pas non plus à côté d’un travail essentiel à accomplir : s’informer sur l’histoire de son marché. Les exemples de sociétés qui ont échoué malgré une idée de départ excellente sont nombreux ; les erreurs qu’ils ont pu commettre ou les évolutions de marché qu’ils ont dû affronter peuvent vous faire apprendre. Cette analyse vous fera gagner du temps et vous donnera une vraie capacité de rebond.
Quoi qu’il en soit, retenez une chose : ne vous enfermez pas dans votre bulle en pensant que votre projet sera plagié. Au contraire, parlez-en et entourez-vous de mentors.
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