En 2018, l’ancien camp de concentration de Natzweiler et ses camps annexes (deux situés en France, et 12 en Allemagne) recevait le label du patrimoine européen. Entre mai et juin 2019, plusieurs camps annexes ont organisé des cérémonies de dévoilement de la plaque signalétique du label, notamment le Fort de Metz-Queuleu, le 13 juin 2019.

La cérémonie s'est déroulée en présence de nombreuses personnalités et était suivie d'une conférence de Frédérique Neau-Dufour sur l'histoire du camp de concentration de Natzweiler.

Le label "Patrimoine européen"

Créé en 2007, ce label met en valeur la dimension européenne de monuments, témoins de l'histoire et de la culture de l'Europe ou de la construction de l'Union européenne : sites naturels ou urbains, lieux de mémoire.

Le Label attribué au réseau de l’ancien camp de Natzweiler met en valeur le travail de mémoire, de réconciliation et de médiation auprès notamment des jeunes générations, réalisé conjointement par les Français et les Allemands, porteurs de cette histoire.

Historique du kommando du camp de concentration de Natzweiler de Metz-Queuleu (Moselle)

Auteur : Michaël LANDOLT

Entre le 7 août 1943 et septembre 1944, le camp de concentration de Natzweiler-Struthof (Bas-Rhin) fait installer une de ses annexes au fort de Queuleu (Außenkommando Metz). 80 prisonniers y sont internés jusque fin avril 1944 avant d’atteindre 109 ou 110 à partir de mai 1944. Ils sont rattachés au kommando de Metz-Queuleu après leur passage dans le camp principal.

L’historique du camp et les parcours des prisonniers peuvent être précisés à partir des travaux de l’historien Robert Steegmann, de Jean-Luc Schwab sur la déportation des homosexuels et des archives de l'International Tracing Service (ITS) à Bad Arolsen.

Les prisonniers

53 identités de prisonniers sont connues d’après les archives. Ceux-ci sont de différentes nationalités : 30 Allemands, 16 Soviétiques et 7 Polonais parmi les nationalités connues. Les motifs de déportation sont divers (60 motifs inconnus) : 26 de droit commun, 24 politiques, 2 homosexuels et 1 associal. Les prisonniers, tous des hommes, sont âgés entre 18 et 56 ans (moyenne d’âge 34 ans) et sont vêtus de tenues rayées dont les inventaires sont conservés dans les archives.

Parmi les prisonniers, quelques biographies peuvent être précisées.

Bellarmin Dechêne est un Allemand né en 1903 malgré un nom à consonance française. Il passe la fin de sa jeunesse en Belgique avant de s'installer à Paris pendant l'entre-deux-guerres. Il était employé par la Compagnie internationale des Wagons-Lits. Interné par les Français avec d'autres Allemands en France au plus tard au début de la guerre, il est libéré par les troupes allemandes en 1940 et intègre un établissement de service aux soldats allemands où il est cuisinier. C'est là qu'a lieu l'incident impliquant des militaires allemands et une cantinière française. Il est convoqué devant le Kriegsgericht de Paris qui se désaisit au profit d'une juridiction civile en Allemagne. Condamné à 15 mois de prison pour motif d’homosexualité, il passe par celles de Sarrebruck, Wittlich et Trèves, avant d'être envoyé au camp de Natzweiler début mars 1944 puis dans son annexe de Metz-Queuleu. Il a été libéré à Dachau où il arrive quelques jours seulement avant les libérateurs américains. C'est l'un des deux seuls « triangles roses » dont la déportation a pour origine la zone occupée en France, plutôt que les territoires annexés pour tous les autres cas de France.

Harry Michaelsen est un Allemand né en 1919 à Hambourg. Il accusait un léger retard mental, raison pour laquelle il fut été stérilisé par les nazis à l'âge de 16 ans. Condamné en 1939 à un an de prison pour avoir accepté de « se laisser corrompre » en acceptant une relation homosexuelle contre des avantages en nature par un co-accusé juif, il est ensuite placé par la justice dans un établissement psychiatrique près de Hambourg dont il s'échappe. Pour éviter une nouvelle évasion dans un secteur qu'il connait, il est envoyé dans un autre établissement, très loin de chez lui à Emmendingen près de Fribourg dans le Bade-Wurtemberg. Le personnel là-bas le sachant seulement légèrement malade, il est décidé de l'envoyer dans celui de Hoerdt près de Haguenau, car l'endroit est mieux adapté pour ces patients légers susceptibles de s'enfuir. En mars 1944, suite à décision du procureur général de Karlsruhe qui a également juridiction sur l'Alsace, il est décidé qu'une vingtaine de ces patients légers seront envoyés dans le camp de Natzweiler le 21 mars pour y être « astreints au travail ». Il passe ensuite par le camp de Metz-Queuleu.

Walter Haufe est un Allemand né en 1915 déporté pour motif d’homosexualité qui a été transféré du camp de concentration de Sachsenhausen (Brandebourg) à Natzweiler le 21 mai 1941 lors de sa création où il assure une fonction de « Kapo » (prisonnier chargé d'encadrer ses semblables). Il sera un des cobayes des expérimentations de Otto Bickenbach (1901-1971) sur le gaz phosgène dans la chambre à gaz du camp. Après son passage au kommando du fort de Queuleu et de Schwindratzheim, il est transféré dans les camps du Neckar dans « l’attente de la mort ». Interné à Neckarelz II entre le 1er décembre 1944 et le 5 février 1945, il devient « Lageralteste » (doyen) du camp. Surnommé « la fillette » par les déportés, il se fait remarquer par un comportement sadique. Il sera affecté à l’unité disciplinaire Dirlewanger, composée de criminels condamnés issus pour certains des camps de concentration, et sera condamné à mort par contumace par le tribunal de Rastatt.

Liste des prisonniers identifiés du camp

Prénom

Nom

Nationalité

Walter

HAUFE

Allemand

Willi

KEPPKE

Allemand

Wilhelm

MEZGER

Allemand

Otto

RÜTZEL

Allemand

Johann

HINSCHÜTZ

Allemand

Paul

HENTRICH

Allemand

Friedrich

OTT

Allemand

Wilhelm

PLOTTKA

Allemand

Heinrich

WOLF

Allemand

Jean Ernest

ASSEL

Allemand

Johann

PERINOTTO

Allemand

Bronislaw

TRALEWSKI

Polonais

Paul

STURM

Allemand

Alois

LINDINGER

Allemand

Walter

WETZEL

Allemand

Emil

SCHMITT

Allemand

Hermann

WEISSENBERGER

Allemand

Josef

EGLE

Allemand

Michael

SENNER

Allemand

Alois

SCHUSTER

Allemand

Manfred

KÜBLER

Allemand

Stanislaus

BEDUS

Polonais

Rudolf

GRACA

Allemand

Kasimir

GRZESKOWIAK

Polonais

Wilhelm

MAIER

Allemand

Tadeuz

CZERNECKI

Polonais

Zygmunt

ZMUDZINSKI

Polonais

Stipan

BOIKO

Soviétique

Anatoli

MOROS

Soviétique

Karl

SCHMIDT

Allemand

Artur

REINMUTH

Allemand

Neyfont

PERESSUNIKO

Soviétique

Christian

PÖHLMANN

Allemand

Bellarmin

DECHENE

Allemand

Alfred

SCHNEIDER

Allemand

Friedrich

SCHAUMANN

Allemand

Harry

MICHAELSEN

Allemand

Johannes

SEIBERT

Allemand

Wladislaus

MINTUS

Polonais

Waclaw

TOMACZOWSKY

Polonais

Victor

DROSDOW

Soviétique

Waldimir

IGNATOWITSCH

Soviétique

Iwan

KREWONOSSOW

Soviétique

Stanislaus

KOLPAK

Soviétique

Michail

ALEXANDRUK

Soviétique

Alexander

BASCHANOWSKIJ

Soviétique

Iwan

BARERNKO

Soviétique

Nikolai

KUFIN

Soviétique

Wassil

MAMAENKO

Soviétique

Roman

POCHOLJUK

Soviétique

Petro

TARANENKO

Soviétique

Wladimir

WRONSKY

Soviétique

Wladimir

BORODAY

Soviétique

L’organisation du camp

La première tâche des déportés de Metz-Queuleu est l’aménagement d’une cuisine pour les déportés et d’une autre pour les SS ainsi que trois autres pièces (chambres ?) vraisemblablement localisées dans la Caserne I du fort. Revêtus de tenues rayées, ils sont acheminés chaque matin vers différents lieux de travail : l’école de transmission SS (Nachrichtenschule der Waffen-SS Metz), des cuisines de casernes, un hôtel du centre-ville de Metz et à l’aérodrome de Frescaty où se trouvent les cantonnements de l’école de transmissions SS. Cette dernière est une école pour sous-officiers SS, hébergée dans les bâtiments de l’ancienne Oberrealschule de Metz, aujourd’hui Lycée Louis Vincent. Cette formation, créée le 15 décembre 1942, était placée sous l’autorité du Standartenführer Ernst Kemper (1902-1982).

Les archives indiquent à plusieurs reprises que des prisonniers tendent d’envoyer des courriers de manière clandestine afin d’éviter la censure grâce à la complicité de civils et de militaires.

L’évacuation du camp

Fin août 1944, les déportés sont acheminés à Queuleu dans la Caserne Tivoli, aujourd’hui Caserne Grandmaison.  Ils sont surveillés par des hommes de l’école de transmissions commandés par l’Oberscharführer Kestner. Le 26 ou 27 août 1944, deux détenus sont abattus rue de Tivoli alors qu’ils tentent de s’évader : Kasimir Grzeskowiak, un Polonais né en 1912 (n°4282) et Willi Keppke, un communiste allemand déporté de droit commun né en 1913 originaire de Hambourg qui avait été kapo au camp principal (n°349). Leurs décès sont enregistrés au camp principal le 2 septembre. Les déportés doivent défiler devant leurs dépouilles, puis les corps sont inhumés dans une fosse au nord de la caserne entre les rues de Tivoli et Goussel François au niveau de l’actuel square Grandmaison. Ils seront exhumés en mars 1946. Les 108 déportés du kommando sont ensuite évacués à pied vers celui de Schwindratzheim (Bas-Rhin) dans le nord de l’Alsace.