Les bas-reliefs du château de La Roche-Guyon ont fait l'objet d'une restauration entre 2010 et 2019 sous le contrôle scientifique et technique de la DRAC Île-de-France. Retour sur l'histoire de ces œuvres et sur les choix de restauration de la conservation régionale des monuments historiques.

​Genèse des bas-reliefs attribués à Constant Delaperche

Le duc de Rohan, propriétaire du château au début du XIXème siècle prend la résolution après le double deuil de son épouse et de son père de se vouer à Dieu et à l’état ecclésiastique.  En 1816, il se réfugie à La Roche-Guyon comme un lieu de retraite. Il décide alors d’implanter une chapelle à l’emplacement de l’ancienne chapelle Notre-Dame des Neiges qui, par sa légende lui semblait l’authentique sanctuaire du château.  Les travaux sont exécutés de 1816 à 1819. Ils ont été réalisés par l’architecte Joseph-Antoine Froelicher (1790-1866), né en Suisse et qui, grâce à la protection de la duchesse de Berry, a travaillé essentiellement en France pour une clientèle aristocratique fortunée. Sa première œuvre est d’ailleurs le recreusement de la chapelle souterraine, qui ouvre à gauche sur un caveau familial désaffecté, et a gardé ses parements naturels de craie à silex. Ce lieu de culte primitif a été agrandi par la création de deux autres chapelles et d’une sacristie. Les trois « nefs » sont reliées par plusieurs passages, notamment un corridor surélevé au sud. Les voûtes et les murs sont enduits de plâtre peint en faux appareil de pierre de taille.

La chapelle principale, creusée en cul de four, voûtée en arc segmentaire et agrémentée de deux colonnes toscanes, de deux pilastres et de fins bandeaux, assure une subtile transition de rythme et d’harmonie. Les faux joints creusés accentuent la référence à l’antique dans le style néoclassique de cet ensemble. C’est dans cette chapelle d’axe que le peintre et sculpteur Constant Delaperche réalise en 1816 des œuvres en terre cuite appartenant à un ensemble de quatre scènes. Ces bas-reliefs nous transportent aux origines du château de La Roche-Guyon : leurs sujets, liés à la légende de sainte Pience, noble veuve propriétaire du château au IIIe siècle et leur emplacement dans le parement des murs de la plus grande chapelle creusée dans le rocher, renvoient au château troglodytique des origines.

Avant restauration, épisode de la vie de la Vierge

Constant Delaperche (1790-1842) habite La Roche-Guyon depuis son mariage, en 1813, avec Alexandrine Alexandre, fille d’Hippolyte Alexandre, le régisseur du château. Son nom apparaît brièvement dans un document d’archive privée qui le cite comme le sculpteur des bas-reliefs de la chapelle. Lui sont attribuées aussi trois stations d’un chemin de croix en plâtre pour l’église Saint-Roch à Paris, dont le style est proche de ceux de La Roche-Guyon. Les archives des descendants de Constant Delaperche, récemment retrouvées, en apportent maintenant la preuve, puisqu’elles les citent au même titre que ceux de l’église Saint-Roch.

Le programme iconographique retenu par l’abbé de Rohan renvoie à la tradition locale, qui fait de saint Nicaise un compagnon de saint Denis et l’évangélisateur du Vexin au IIIe siècle. Arrivé à La Roche-Guyon, il convertit Pience, puis Clair, vieillard idolâtre et aveugle auquel il rendit la vue. Le gouverneur Fescenninus, qui venait de répandre le sang de saint Denis et de ses compagnons, en prit alors ombrage et fit saisir le groupe, les condamnant à avoir la tête tranchée. Les corps furent laissés sur la terre mais la nuit suivante, ils se levèrent d’eux-mêmes, et, prenant chacun leur propre tête entre leurs mains, passèrent la rivière à gué. Pience les suivit et fit bâtir un oratoire sur leur tombeau. Cette action fit connaître sa foi chrétienne à son père qui la fit saisir et la condamna au fouet et à la décapitation. Sa dépouille fut enterrée avec ses compagnons. La chapelle contenait des reliques de la sainte que le cardinal de Rohan emporta ensuite.

Avant restauration, la Présentation de la Vierge au temple (incertitude sur l’iconographie)

La légende latine de deux des bas-reliefs, actuellement présentés dans leur emplacement d’origine au château de La Roche-Guyon, placés en vis-à-vis près de l’entrée de la chapelle et récemment restaurés, explicite les scènes représentées : à gauche, saint Nicaise célèbre la messe devant Clair et Pience ; à droite, Clair et Pience, futurs martyrs, mettent en terre le corps de Nicaise, mort pour sa foi. Ces deux scènes décrivant une légende locale, contiennent des références à la géographie du site : derrière les porteurs mettant en terre saint Nicaise se dessine un donjon sur un promontoire qui pourrait être le château de la Roche-Guyon, vu de Gagny où la scène se déroule. De même, la messe de saint Nicaise est célébrée dans une chapelle qui rappelle celle construite par Froelicher : voûtes en plein cintre, colonnes toscanes. En revanche, les deux autres reliefs présentés présentent un cadre plus générique.

Pour une raison inconnue, les deux autres bas-reliefs, placés dans l’abside, ne sont pas légendés, ce qui complique leur interprétation. Or le tableau central du retable de la chapelle représentait la Vierge. Et la jeunesse de sainte Pience n’est pas décrite dans les textes, elle n’apparaît qu’une fois veuve, au moment de sa rencontre avec saint Nicaise. On pourrait plutôt donc interpréter la scène de droite, qui montre une toute jeune fille aux mains jointes devant un homme coiffé d’un turban, comme une Présentation de la Vierge au Temple. Dans l’autre scène apparaît le même personnage de jeune fille accompagnée d’un couple que l’on peut identifier à Anne et Joachim, parents de la Vierge qui l’accompagnent au temple. Cette deuxième scène pourrait renvoyer à la vie de la Vierge au temple avant son mariage.

Bas-reliefs restaurés : Clair et Pience, futurs martyrs, mettent en terre le corps de Saint Nicaise

Bas-reliefs restaurés : Saint Nicaise célèbre la messe devant Clair et Pience

Ces sculptures de style néoclassique sont particulièrement remarquables en raison de leur adéquation avec le lieu, même si l’on sent une certaine lourdeur dans le côté un peu systématique de la description des visages et des drapés. Traités en relief sur deux ou trois plans différents, les personnages sont présentés en frise, de profil ou de face, sur des fonds variés : dans une chapelle voûtée à colonnes toscanes (célébration de la messe) ; à la campagne près d’un arbre isolé avec, au lointain, un château sur un promontoire (funérailles de saint Nicaise) ; dans un temple aux murs couverts de tentures (reliefs de l’abside). La solennité des figures, vêtues de lourdes étoffes drapées près du corps et formant des plis serrés, évoque l’Antiquité gallo-romaine. La situation de ces œuvres, dans une chapelle cachée dans la roche et proche d’un caveau funéraire, rappelle également les premiers sanctuaires paléochrétiens et l’esprit des catacombes.

Une restauration minutieuse sous le contrôle scientifique et technique de la DRAC

Les parois de la chapelle troglodytique du château de la Roche-Guyon sont une imitation de pierre de taille, un faux appareil de brique plâtrée et peinte. Il n’était pas possible d’obtenir une surface régulière en taillant directement la craie de la falaise en raison des nombreux bancs de silex qu’elle contient. Le faux appareil est fixé à la paroi de craie par des tenons de briques scellées au plâtre.  Dans ce faux appareil, des niches peu profondes étaient réservées aux quatre grands reliefs.

Ces reliefs sont constitués d’éléments modelés en terre et cuits. Schématiquement, à quelques exceptions près, chaque personnage est un élément de terre cuite. Des parties qui auraient été trop fragiles, bras, jambes, pieds, éléments de décor en saillie, sont de petites pièces rapportées également en terre cuite. Ces éléments furent collés au plâtre dans la niche. Ils furent ensuite complétés au plâtre par un fond derrière les personnages (paysage ou architecture en faible saillie) et, en bas, par des plates-bandes portant les inscriptions. L’ensemble fut ensuite peint à l’huile couleur terre-cuite (et non couleur pierre ou marbre blanc), l’inscription seule était rehaussée de rouge.

Année après année, l’eau de la falaise est passée lentement dans les reliefs via la brique et le plâtre. En s’évaporant elle a déposé les sels qu’elle contenait : principalement des nitrates venant des sols en haut de la falaise ainsi que du gypse provenant du plâtre et probablement du contexte géologique. Le gypse, composant très majoritaire du plâtre, est en effet un sel un peu soluble, il est stable en milieu sec mais instable en milieu humide. De leur côté, les ions nitrates ont formé une saumure hygroscopique avec l’ion calcium et avec l’eau prise à l’environnement.

Après bientôt deux siècles, la terre cuite était rongée par la cristallisation des sels, principalement le gypse. Le plâtre a mieux supporté l’épreuve car son espace poral est plus important et parce que sa structure en aiguilles laisse plus facilement passer les cristaux de gypse que la structure en feuillet de la terre cuite. Même en isolant totalement les reliefs de l’humidité de la paroi, la saumure  hygroscopique due aux nitrates, prenant l’eau de l’air, pouvait apporter au gypse l’eau qui lui aurait permis de continuer à détruire la terre cuite. Pour conserver ces œuvres, il fallait donc extraire les sels de la terre cuite et la protéger contre une nouvelle contamination.

Les quatre bas-reliefs ont été restaurés par Olivier Rolland, sous le contrôle scientifique et technique de la conservation régionale des monuments historiques (Serge Pitiot puis Colette Aymard, puis Marie Monfort) et du conservateur des antiquités et objets d’art Christian Olivereau. Deux premiers reliefs, dans les murs de la nef, ont été déposés fin 2010. En 2011, des tests prudents, par étapes, sur des fragments de taille croissante, ont montré que cette terre cuite supportait un séjour prolongé dans l’eau, ce qui a permis son dessalement par bains successifs de longue durée en 2012 et 2013. Les deux reliefs dessalés et restaurés, montés de manière réversible et sécurisée sur un support étanche, ont été reposés au printemps 2014.

Fin 2016, les deux derniers reliefs, dans l’abside, ont été déposés à leur tour. La dépose mit à jour des restes d’esquisses des mêmes reliefs peintes à l’huile sur le fond de plâtre qui devaient servir de modèles avant exécution car elles sont conformes aux bas-reliefs réalisés. La forme arrondie de l’abside, de ses niches et des reliefs, a fait que pour poser les éléments en terre cuite il n’avait pas été nécessaire de bucher partout les esquisses comme cela dut être le cas pour les reliefs plans de la nef. Les reliefs ont été dessalés par bains en 2017 et 2018 et doivent être prochainement reposés en respectant les restes d’esquisse qu’ils couvriront à nouveau.

Pourquoi la DRAC fait-elle le choix de recouvrir les peintures de mise en place ?

La peinture de mise en place n'est en rien comparable à l'œuvre originale. Il s’agit d’une simple mise en place très littérale qui reproduit l’emplacement et le contour des personnages des bas-reliefs qui eux, constituent l’œuvre définitive. Il ne s’agit en aucun cas d’une peinture murale destinée à être visible. Les vestiges de ces peintures sont de plus extrêmement lacunaires et seraient peu lisibles si elles étaient déposées. C’est pourquoi la DRAC depuis 2010 a travaillé sur un protocole sécurisé de restauration des bas-reliefs en terre cuite qui a abouti en 2020 et qui a concentré toute l’attention des restaurateurs et des conservateurs. L'attribution à Constant Delaperche ne date pas de l'exposition au Musée d'Orléans : elle était déjà connue auparavant par une archive privée.

Les peintures de mise en place, contrairement aux sculptures, ne sont pas dégradées, ce qui montre que l’œuvre a trouvé un équilibre mécanique physique et chimique avec la paroi qu’il serait risqué de perturber par une dépose. Déposer une peinture murale n’est pas du tout un acte anodin mais une opération si risquée qu’elle n’est pratiquée qu’en cas de destruction ou de dégradation trop grande du support, ce qui n’est pas le cas ici. En effet, il s’agit quelle que soit la technique retenue d’un arrachement de la couche picturale du support qui occasionne systématiquement des pertes de matières (le support étant cassant et friable) et met en péril sa conservation à long terme. Le fait qu’elle soit gorgée de sels plaide d’autant plus pour un maintien en place qui évite de perturber l’équilibre dans lequel elle se trouve. La transposer sur un support après arrachement tout en la conservant dans la chapelle humide présenterait d’énormes risque pour la conservation des peintures à long terme. Ici, la DRAC a donc appliqué le principe de précaution qui consiste à la maintenir en place au prix d’un recouvrement, selon sa structure initiale telle qu’elle a été conçue. Le procédé adopté est totalement réversible et protecteur.

Des prises de vue en haute définition étaient prévues de longue date, elles sont en cours de réalisation aujourd’hui avant repose des bas-reliefs.

Légende : Peintures sous-jacentes