Une étude comparée sur la période 1981-2008 révèle que les pratiques culturelles des Français et des Américains sont aujourd’hui largement convergentes. Un constat en forme de démenti aux idées reçues, mis en évidence par la rencontre organisée le 25 septembre dans le cadre de la Semaine des cultures étrangères.

Comparaison. « C’est l’absence de données comparatives et l’envie de comprendre ce qui, pour une grande part, restait énigmatique, qui a justifié ce travail », explique Olivier Donnat, chercheur au département des études, de la prospective et des statistiques au ministère de la Culture et de la Communication, co-auteur de l’étude sur les Pratiques culturelles en France et aux États-Unis, éléments de comparaison 1981-2008, avec Angèle Christin, doctorante EHESS/Princeton University. Une ambition facilitée par l’existence de part et d’autre de l’Atlantique de deux études mesurant l’évolution des comportements dans le domaine de la culture et des médias, Pratiques culturelles des Français pour le Ministère de la culture et de la Communication et Public participation for the Arts pour le National Endowment for the Arts. Des études, qui plus est, publiées à des dates rapprochées et portant sur les mêmes pratiques : fréquentation des concerts, des théâtres, des musées et des cinémas, lecture de livres et pratique en amateur d’activités artistiques notamment.

« Dans les médias, parmi les sociologues, il est assez courant d’opposer Américains et Français », a précisé Angèle Christin. « D’un côté, on aurait aux Etats-Unis, des géants qui mettraient en péril la production indépendante, de l’autre en France, un modèle qui serait garant de la diversité ; des américains qui se baseraient sur des arguments économiques et des Français qui se distingueraient par leur participation à des activités culturelles « légitimes » pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu. Or si l’on examine les déterminants dans les deux pays en termes d’âge, de sexe, de revenus, de diplômes, ils sont très comparables ».

Convergence. Que révèle donc l’analyse comparée des résultats des deux études ? Au début des années 1980, la population américaine bien que plus téléphage, avait un niveau de participation culturel supérieur, 60% d’entre elle par exemple était allée au cinéma au cours des douze derniers mois contre 46% des Français, 27% avait visité un musée ou une galerie d’art contre 25% de la population en France. Seule exception (et elle est notable !), la lecture où les résultats étaient nettement à l’avantage de la France.

Au cours des décennies suivantes, les évolutions observées dans chaque pays – augmentation de la consommation de télévision, baisse de la lecture de livres, progression des pratiques artistiques en amateur – sont souvent semblables mais interviennent plus tard en France. La seule véritable divergence concerne les sorties au cinéma, au théâtre et aux spectacles de danse, dont les taux de fréquentation ont progressé en France dans les années 2000, au moment où ils accusaient un recul marqué aux Etats-Unis (si l’on raisonne sur la minorité la plus investie dans les sorties culturelles, on constate même que la proportion d’Américains ayant effectué trois ou quatre sorties de spectacle vivant au cours des douze derniers mois a diminué de moitié, passant de 6% en 1992 à 3% en 2008 quand elle est restée stable en France : 3% en 1988 et 4% en 2008).

Commencement. Invité à réagir, le sociologue Frédéric Martel a salué le travail réalisé qui contribue, selon lui, à atténuer un certain nombre de préjugés. Se référant à sa connaissance du terrain, l’auteur de « De la culture en Amérique » (Gallimard), a également plaidé pour une prise en compte des expérimentations sur le terrain pas forcément mesurables qualitatives à côté des données purement quantitatives. Mais il a surtout élargi la discussion aux enjeux du numérique. « Nous sommes à la fin d’un cycle, d’une certaine manière, ces données sont déjà obsolètes, les Américains sont un peu en avance sur les pratiques numériques mais nous les suivons de près, c’est déjà vrai dans le domaine des industries culturelles avec la généralisation des systèmes d’abonnement, Spotify, Deezer pour la musique, Netflix pour le cinéma… mais même le spectacle vivant est aujourd’hui concerné, regardez Michael Tilson Thomas qui dirige le San Francisco Symphony et a pris part au projet YouTube Symphony Orchestra, premier orchestre collaboratif online. En 2011, les musiciens ont joué devant un « public » de 33 millions de personnes, du jamais vu… la mutation à laquelle nous assistons est sans précédent ».