Alors que l’exposition retentissante que le château de Versailles consacre au sculpteur britannique Anish Kapoor se poursuit jusqu’au 1er novembre, sait-on que d’autres monuments en France, sans doute plus modestes mais pas moins intéressants, allient patrimoine et création contemporaine ? C’est le cas de château d’Oiron - l'un des premiers à avoir inauguré la formule avec un succès continu - qui présente jusqu’au 28 septembre l’envoûtant « Musée d’histoire in-naturelle » de l’artiste italien Dario Ghibaudo. Entretien avec Patrick Amine, commissaire de l’exposition.

Le « Musée d’histoire in-naturelle » de Dario Ghibaudo est pour le moins surprenant, comment est né ce projet d’exposition au château d’Oiron ?

Dario Ghibaudo constitue cette série depuis une vingtaine d’années... Il s’appuie sur des recherches scientifiques, notamment en entomologie et en anthropologie, pour inventer des animaux qui n’existent pas, des mutants, des hybrides. J’ai déjà eu l’occasion par le passé de présenter son travail dans des expositions collectives mais le château d’Oiron était l’endroit parfait pour une exposition individuelle, le conservateur du château, Paul-Hervé Parsy, a d’ailleurs tout de suite été enthousiaste. Ce château est emblématique de l’histoire des cabinets de curiosités : édifié à partir du XVIe siècle, il était dès l’origine destiné aux collectionneurs, prêt à accueillir d’autres œuvres en plus de celles de son créateur. Quand le ministère de la Culture et de la Communication a décidé en 1989 de créer une collection d’art contemporain exclusivement conçue pour le château, la collection Curios & Mirabilia, c’est comme si l’on avait redonné vie à cette histoire : les œuvres, commandées à des artistes du monde entier, devaient coïncider avec l’esprit du lieu.

« En son temps, Louis XIV travaillait déjà avec des artistes contemporains ! »

En quoi précisément le château d’Oiron convient-il à l’œuvre de Dario Ghibaudo ?

C’est un lieu insolite qui accueille un projet insolite. J’ai joué de ces caractéristiques pour proposer à Dario Ghibaudo d’imaginer des œuvres qui entrent en résonance avec l’idée du cabinet de curiosités et l’histoire entière du château. Le choix des œuvres des artistes invités à participer à cette exposition a suivi cette même logique. On voit ainsi des mammifères qui ont quelque chose d’aquatique, un étrange banc de 500 poissons, un chameau/caméléon avec une queue de poissons, mais aussi le Cerf de Saint Julien l’Hospitalier hommage au conte de Flaubert, La Légende de Saint Julien l’Hospitalier, ou encore un cerf ailé en bronze…dans le travail de Dario Ghibaudo se conjuguent en permanence la réflexion sur les différentes catégories des espèces et la dimension humoristique. C’est un travail sur la nature humaine face aux animaux.

Vous rappeliez l’inspiration scientifique de la démarche de Dario Ghibaudo. Ce qui frappe en effet, c’est la vraisemblance de ces animaux, on pourrait penser à un possible devenir-animal, vraisemblance renforcée par les dessins, les encres sur papier...

On pourrait en effet très bien imaginer que les animaux se transforment de cette façon. Les références à l’histoire de l’art sont également très importantes : le « Musée d’histoire in-naturelle » de Dario Ghibaudo est aussi un clin d’œil au musée d’histoire naturelle de Ferrante Imperato, ce grand collectionneur napolitain au XVIe siècle qui possédait un cabinet de curiosités devenu depuis une référence historique.

Il y a aussi de très belles inventions, comme les sculptures de voyages.

Ce sont des sculptures enfermées dans des valises transparentes. On peut imaginer que l’on va voyager avec elles. La dimension humoristique est évidente. En même temps, ce n’est pas banal d’imaginer qu’au XVIIe ou au XVIIIe siècles quelqu’un ait conçu des valises ou des malles transparentes pour transporter les pièces d'un cabinet de curiosités.

Vous n’aimez rien tant qu’installer des œuvres d’art contemporain dans des lieux historiques ?

Ce qui m’intéresse en effet, c’est de demander aux artistes de réfléchir à l’histoire des lieux, à l’histoire des arts en général et d’imaginer la façon dont leur travail peut se conjuguer ou interférer avec cette histoire. Je dis toujours que Louis XIV travaillait avec des artistes contemporains ! Ainsi, pour l’année Le Nôtre à Saint-Germain-en-Laye, j’avais invité 26 artistes. Dario Ghibaudo en faisait partie, il avait travaillé sur le caractère historique des bustes qui sont installés dans les jardins et conçu trois sculptures spécialement pour l’occasion, d’autres artistes avaient travaillé sur la perspective car depuis la grande terrasse du château, on peut voir Paris. Au Château de Versailles, j’ai fait un film sur les installations de Lee Ufan. Aux côtés du Centre des monuments nationaux, j’ai conseillé Valentin Van der Meulen au château de Bussy-Rabutin et Fabrice Langlade au château de Champs-sur-Marne… c’est fantastique de pouvoir investir de tels lieux ! Et au-delà de faire vivre le patrimoine. On traverse une région, un département, les Deux-Sèvres par exemple, et on trouve vingt autres châteaux autour d’Oiron.

Encore faut-il que les lieux soient ouverts à cette idée

Il est vrai que certains lieux ne sont pas encore ouverts à l’art contemporain. Cela est essentiellement dû au fait que l’on a tendance à braquer les projecteurs sur le marché de l’art et non sur la création. Pourtant, ce qui caractérise la création aujourd’hui, c’est son extrême diversité. Il suffit de trouver les artistes qui s’intègrent dans les lieux, c’est une question de recherche et de curiosité personnelles.

Art contemporain et patrimoine historique : ticket gagnant de l’été 2015

Châteaux, bien sûr, mais aussi bâtiments religieux et bâtiments civils, nombre de lieux patrimoniaux sont aujourd'hui tentés par un mariage avec la création contemporaine. Parmi eux, des sites appartenant au Centre des monuments nationaux (CMN), comme le château d'Oiron, mais aussi comme le Palais Jacques Coeur, à Bourges, qui accueille une exposition de Claude Lévêque, la forteresse de Salses, l'abbaye de Cluny ou le monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse. Petit florilège à travers la France.

Parc culturel de Rentilly

« Un été dans la Sierra », oeuvres du Centre national des arts plastiques. Librement inspirée par l’ouvrage éponyme du naturaliste américain John Muir, l’exposition présente une trentaine d’œuvres de la collection sur le thème de la nature et du lien entretenu par l’homme avec son environnement

www.parcculturelrentilly.fr

Château de Tarascon

Le programme « Monument d’exception # Création contemporaine » est au cœur du projet scientifique et culturel du château de Tarascon. Dans le cadre de l’exposition patrimoniale « Si les châteaux m’étaient contés » présentée jusqu’au 31 octobre, l’artiste Matthieu Faury est invité à réinventer ce lieu emblématique.

http://chateau.tarascon.fr/

Xavier Veilhan à l’Abbaye de Cluny

« Le baron de Triqueti » chapitre 2. Le Centre des monuments nationaux accueille cette installation de Xavier Veilhan depuis 2014. Un nouveau parcours de sculptures est proposé pour la saison 2015

http://www.monuments-nationaux.fr/fr/actualites/a-la-une/bdd/actu/2450/-le-baron-de-triqueti-de-xavier-veilhan-chapitre-2//

Valentin van der Meulen au château de Bussy-Rabutin

Un dessin monumental se dresse face au spectateur. Tout au long de l’exposition, trimestre après trimestre, il est effacé petit à petit jusqu’à sa complète disparition. Exposition jusqu’au 19 septembre 2015.

http://www.monuments-nationaux.fr/fr/actualites/a-la-une/bdd/actu/2001/valentin-van-der-meulen-au-chateau-de-bussy-rabutin//