À quoi pourraient ressembler les musées du 21e siècle ? Alors que le public est sollicité lors d’une grande consultation destinée à recueillir ses souhaits, la mission Musées du 21e siècle a entrepris, jusqu’au 15 novembre, de multiplier les débats sur tout le territoire. La première étape de ce tour d’horizon a eu lieu le 20 septembre à Toulouse. Retour sur trois initiatives innovantes en région Occitanie.
Musée des Abattoirs : Construire un lien culturel transfrontalier
Disparu en 2012, le Catalan Antoni Tapiès fut l’une des figures majeures de la scène artistique du XXe siècle. Le musée des Abattoirs détient huit œuvres de l’artiste catalan dans ses collections. La Fundació Antoni Tàpies de Barcelone possède quant à elle un remarquable fonds de plus de 300 œuvres données par Antoni Tàpies lui-même ou par son épouse Teresa.
« À travers les peintures d’Antoni Tàpies, nos deux institutions ont une connexion assez évidente, souligne Pierre Esplugas-Labatut, président des Abattoirs - Frac Midi-Pyrénées et adjoint au maire de Toulouse. C’est pourquoi nous avons souhaité concrétiser un lien culturel entre ces deux villes à travers un échange entre nos collections ». Restait à trouver la forme de cet échange. « Plutôt que de partager une exposition clé en mains comme nous en avons l’habitude entre institutions, nous avons choisi de bâtir ensemble deux expositions qui se répondent », renchérit Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs.
Aux Abattoirs et à la Fondation Tapiès, nous avons choisi de bâtir ensemble deux expositions qui se répondent
A Barcelone, la Fundació Antoni Tàpies de Barcelone a ainsi présenté du 27 janvier 2015 au 22 mai 2016, l’exposition « Documents Daccio - Obres des colleccions Denney i Cordier », une sélection d’une soixantaine d’œuvres des collections des Abattoirs. « Cette exposition présente le contexte des années 1950 et 1960 dans lequel Tàpies a commencé à prendre son essor grâce notamment au soutien de ces deux hommes. Abstraction gestuelle, abstraction matiériste, l’exposition a présenté les artistes de ces mouvements qui émergent au même moment que l’artiste catalan », commente Annabelle Ténèze.
A Toulouse, du 12 février au 25 mai 2016, le musée des Abattoirs a accueilli l'exposition « Antoni Tàpies : Parla, parla » comprenant une soixantaine d’œuvres de l’artiste catalan prêtées par la Fundació Antoni Tàpies de Barcelone. « Cette exposition constitue la première grande monographie de Tàpies depuis son décès en février 2012 », détaille Annabelle Ténèze. Pour le musée d’art moderne et contemporain de Toulouse, cette expérience inédite de collaboration croisée a été très positive. « Nous gardons des liens de travail étroits avec la fondation Tàpiès et envisageons de reproduire ce type de projets avec d’autre lieux d’exposition », conclut Annabelle Ténèze.
Les enfants du musée Soulages
Associer les écoliers de Rodez à l’installation du Musée Soulages dans leur ville, tel a été le pari du très beau projet éducatif de la Ville de Rodez, en partenariat avec la DRAC Midi-Pyrénées, l'Inspection Académique de l'Aveyron et Rodez Agglomération. Pierre et Colette Soulages ont en effet choisi la cité aveyronaise pour accueillir l’importante donation qu’ils ont consentie à Rodez Agglomération en 2005.
Deux classes primaires des écoles Flaugergues et Gourgan ont pu suivre durant trois années, en lien avec le conservateur et son équipe, la construction et l’aménagement de ce musée jusqu’à son inauguration. « A 9, 10, 11 ans, on a un regard très neuf sur un projet de ce type, analyse Céline Coset, responsable des publics au Musée Soulages. Nos petits ambassadeurs n’étaient pas nécessairement sensibilisés à l’art contemporain. Ils ont pourtant adhéré avec le plus grand enthousiasme à l’aventure artistique qu’on leur proposait. Certains s’y sont véritablement révélés ».
Les enfants et leurs familles ont noué avec le musée et ses équipes un lien très fort
Visite au Musée Fabre de Montpellier pour un premier contact avec Pierre Soulages, déplacement dans les pas de l’artiste à Conques, où il a conçu les vitraux de l’église abbatiale du XIe siècle, actions avec des plasticiens autour de l’œuvre de Soulages... les projets se sont enchaînés tout au long de ces trois années. « Nous sommes déplacés dans les classes et les écoliers ont visité le chantier ; des artistes sont intervenus dans les écoles et les enfants leur ont rendu visite dans leur atelier », raconte Céline Coste.
L’inauguration du musée en mai 2014 a constitué le point d’orgue de ce projet éducatif avec la rencontre des écoliers avec Pierre Soulages et une performance réalisée par les enfants. « Outre les résultats quantifiables de ce projet – ateliers éducatifs, sorties réalisées, etc – d’autres conséquences plus impalpables sont à l’œuvre, explique Céline Coste. Les enfants et leurs familles ont noué avec le musée et ses équipes un lien très fort. Je les revois au musée. Ceux qui ont déménagé envoient des mails pour demander des nouvelles. Il y a un véritable attachement qui est né ».
Musée Toulouse-Lautrec : le pari de l’accessibilité
Une forteresse du XIIIe siècle dominant les rives du Tarn abrite le musée Toulouse-Lautrec depuis 1922. Dans ce bâtiment classé aux Monuments historiques situé au cœur de la cité épiscopale d’Albi, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, faire le pari de l’accessibilité n’était pas chose aisée. Ce pari devait cependant être remporté tant l’accessibilité fait partie intégrante de l’ADN du musée d’Albi. En effet, le handicap de Henri de Toulouse-Lautrec a marqué sa vie et sa carrière.
Le musée a lancé entre 2001 et 2012 une série d’opérations d’aménagement de grande envergure. Première étape : la construction de deux ascenseurs destinés à rendre l’ensemble des salles du musée, qui se déploient sur plusieurs niveaux, accessibles aux personnes en situation de handicap moteurs. La nouvelle banque d’accueil a été créée en intégrant une partie surbaissée pour accueillir les personnes en fauteuil roulant. Les sanitaires ont été réaménagés pour être accessibles aux personnes à mobilité réduite. Des espaces de repos et de nombreuses places assises ont été mis en place pour que les personnes âgées ou à mobilité réduite puissent se reposer avant de reprendre le cours de leur visite.
Une occasion de créer un autre regard
Le musée a également développé une politique de médiation adaptée à tous les publics. « Nous nous sommes appuyés sur l’ensemble des associations représentant tous les handicaps (sourds et malentendants, aveugles et malvoyants, handicap moteur et mental) et avons noué des collaborations ou à des conventions de partenariats avec des EPHAD pour adapter notre offre muséale à destination d’un public du troisième âge », explique Danièle Devynck, conservateur en chef du musée Toulouse-Lautrec.
Cette collaboration a permis de mieux cerner les attentes des publics visés. Les outils de médiation ont été adaptés : fiches en gros caractères, plans en relief et en braille du palais et des jardins, visite en langue des signes ou visites audio-descriptives des expositions temporaires etc... « Les associations relayent les informations du musée qui sont également diffusées par le biais d’une plateforme sur laquelle nous annonçons nos visites spécialisées », précise Danièle Devynck. Le musée organise des rencontres spécifiques à destination des familles et aidants des personnes atteintes de handicap mental. « La famille ou les aidants se trouvent ainsi invités par la personne handicapée, une occasion de créer un autre regard et une autre forme de lien entre eux », conclut Danièle Devynck.
Une mission pour les Musées du 21e siècle
Identifier les enjeux du musée pour les prochaines décennies et proposer les axes directeurs d'une évolution de son modèle : tels sont les objectifs de la mission « Musées du 21e siècle » lancée par Audrey Azoulay le 17 mai 2016. Destinée, selon la ministre de la Culture et de la Communication, à apporter des réponses « novatrices et engagées », la mission, pilotée par Jaqueline Eidelmann, conservatrice générale du patrimoine, portera sur les thèmes de réflexion suivants : le musée éthique et citoyen ; le musée protéiforme ; le musée inclusif et collaboratif ; le musée comme écosystème professionnel créatif. Entre le 20 septembre et le 17 novembre, un large tour d’horizon sera dressé des actions réalisées et des innovations à apporter dans les territoires lors de huit étapes régionales. Par ailleurs, une consultation citoyenne a été lancée pour élargir la discussion au grand public. Elle est réalisée à partir d’une plateforme numérique collaborative qui collectera les propositions pendant les trois premières semaines d’octobre. Un rapport sera remis à la ministre de la Culture et de la Communication en décembre 2016.