Un hommage national est rendu jeudi 7 juillet à Michel Rocard, ancien Premier ministre de François Mitterrand. L’occasion pour les Archives nationales de revenir sur la richesse des papiers personnels donnés par l'homme politique aux Archives. Entretien avec Vivien Richard, responsable des archives des chefs du Gouvernement au département de l’Exécutif et du Législatif, et Zénaïde Romaneix, responsable des archives d'hommes politiques au département des Archives privées.
En 2012, Michel Rocard fait don à l'État de ses papiers personnels pour les mettre à disposition aux chercheurs. En quoi cette démarche est-elle originale ?
Le don fait par Michel Rocard aux Archives nationales et non à une fondation privée marque chez lui une volonté de pérenniser son action au-delà de ses fonctions, au-delà également d'un ancrage politique à droite ou à gauche, ainsi que le désir de transmettre aux chercheurs de son vivant même les matériaux nécessaires à l'écriture de l'histoire du temps présent. Une des conditions de ce don est significative de la rigueur et de la vision à long terme que possédait Michel Rocard. Sans se limiter à un don de ses archives « historiques », il prévoyait que des versements réguliers, correspondant aux dossiers d'affaires terminées, soient effectués aux Archives, ce qui fut le cas en 2013 et 2014.
Le don fait par Michel Rocard aux Archives nationales et non à une fondation privée marque chez lui une volonté de pérenniser son action au-delà de ses fonctions
Parmi ces archives, certaines ont trait à sa riche carrière ministérielle, qui a trouvé son apogée avec sa nomination en 1988 au poste de Premier ministre ; d'autres, à son parcours et ses engagements politiques. En quoi les unes comme les autres révèlent-ils un véritable homme d’État ?
Michel Rocard a effectué un versement des archives de ses cabinets à l’issue de chacun de ses postes ministériels. Il fut ministre d'État, ministre du Plan et de l'Aménagement du territoire sous les Gouvernements Pierre Mauroy I et II (1981-1983), ministre de l'Agriculture sous les Gouvernements Mauroy III et Fabius (1983-1985), puis Premier ministre (1988-1991). Ses archives fournissent un total de plus de 150 mètres linéaires, dont plus de 135 pour sa fonction de Premier ministre. Si le Plan fut son « purgatoire » politique imposé par François Mitterrand, sa fonction de Premier ministre, avec un rapport singulier au Président, lui permet de déployer sa vision politique d’une gauche moderniste et sociale. Les archives s’en font l’écho direct.
Concernant le fonds personnel de Michel Rocard, il est représentatif à plusieurs titres de l'action qui doit être celle d'un homme d'État. Par son contenu d'abord qui retrace entièrement le parcours politique de Michel Rocard depuis ses études jusqu'aux dernières fonctions qu'il occupera. Ses premiers engagements politiques comme militant au Parti socialiste, son rôle de député européen de 1994 à 2009, celui d'ambassadeur pour l’Arctique et l’Antarctique depuis 2009, sont ainsi renseignés et abondamment documentés à travers correspondances, notes manuscrites, rapports, dossiers d'affaires. De par son contenu, ce fonds d'archives est révélateur de la cohérence d'une vie consacrée à la politique et de la fidélité de Michel Rocard à ses engagements depuis ses premières années de militant.
Les Archives nationales conservent également un fonds particulièrement intéressant : celui des archives iconographiques sur Michel Rocard. Peut-on y voir l'un des signes de sa « modernité » ?
Les archives iconographiques de Michel Rocard, ou fonds photographiques, se subdivisent en deux ensembles distincts.
Le premier ensemble comprend les 53 albums du Service photographique du Premier ministre, un des services permanents de Matignon, institué lorsque Pierre Messmer était Premier ministre et qui suit le chef du Gouvernement dans la plupart de ses activités. Au jour le jour, audiences, déplacements et réceptions se succèdent. Les reportages sont conservés dans leur complétude. Il était d'usage à Matignon d'offrir à chaque Premier ministre, lors de son départ, des albums photographiques constitués d'une sélection des meilleurs clichés. Ce fut le cas pour Michel Rocard : ces albums se trouvent aujourd’hui dans son fonds personnel.
Le second ensemble, conservé dans ce même fonds personnel, est représentatif des photographies que tout homme politique est amené à posséder et à conserver. À côté des albums « Matignon », Michel Rocard reçut également en cadeau quelques albums offerts, à l'occasion de certains de ses déplacements, par le pays ou l'institution hôte.
Une certaine modernité dans la conception de ses archives comme matériau pour l'Histoire
En ce sens, il serait inexact d'assimiler cette richesse iconographique à un signe de modernité de Michel Rocard. Leur présence cependant aux Archives nationales permet de souligner chez Michel Rocard une certaine modernité dans sa conception de ses archives comme matériau pour l'Histoire. D'une façon générale, la démarche entreprise de son vivant par Michel Rocard, qui aboutira au don à l'État en 2012 de ses papiers personnels et à leur mise à disposition aux chercheurs, est très significative.
La pratique consistant à constituer, enrichir, exploiter ses archives personnelles est fréquente chez les hommes politiques qui sont aussi souvent des hommes d'écriture. Mais bien souvent ces archives personnelles sont perçues par leurs producteurs, à juste titre d'ailleurs, comme un matériau nécessaire à la rédaction de leurs mémoires ou à la justification de leur action au pouvoir, matériau dont l'accès ne peut être autorisé qu'à quelques rares initiés.
Très peu se dessaisissent dès leur vivant de leurs archives personnelles et Michel Rocard fut l'un d'eux. Il effectua non seulement un don de l'ensemble de ses papiers mais il autorisa de plus toujours très largement les consultations demandées par les chercheurs.
Au sein du fonds d'archives, les photographies, et en particulier les albums offerts au Premier ministre, occupent une place particulière grâce au pouvoir de l'image. Parmi les objets archivistiques, ce sont les documents iconographiques qui remémorent le plus efficacement le passé. Aussi doit être soulignée la décision de Michel Rocard de les inclure dans le don de ses archives, et de les transmettre aux Archives nationales de son vivant, en échange d'une copie numérique réalisée et remise en 2015. Contrairement aux archives papiers destinées à être reléguées dans des boîtes au fond de placards, ces albums reliés offerts par Matignon occupaient une place significative dans la bibliothèque du bureau de Michel Rocard. Ils ont été remplacés dans les rayonnages qu'ils occupaient par quelques DVD...
L'an dernier, Michel Rocard avait participé, en tant qu'ancien Premier ministre, à l'exposition des Archives nationales sur Le Secret de l’État. Quel était son propos ?
Comme d’autres personnalités, Michel Rocard a été sollicité au printemps 2015 lors d'un entretien filmé pour analyser la notion de « secret de l’État » à l’aune de son expérience politique. L’essentiel de son propos porta sur la réforme du renseignement qu’il avait entreprise à Matignon avec son conseiller à la sécurité Rémy Pautrat. La modernité et la liberté qu’il avait alors assumées semblaient être sa fierté encore plus de vingt ans après. Au fil de l’entretien, il s’astreignit à toujours interroger l’action de l’État et le secret nécessaire à son bon déroulement. Pour cela, il avait le souci permanent de replacer au cœur de sa réflexion la société à l’État dans leur rapport à l’homme. Un extrait de cet entretien a été monté et mis en ligne sur notre site internet pour participer à l’hommage national qui lui est rendu.