Réunir toute la chaîne du livre pour favoriser les actions contribuant au développement durable dans le champ culturel: tel est l’ambitieux défi que s’est lancé le ministère de la Culture en organisant le cycle de rencontres "livre, lecture et environnement". Le 28 mars, il s'est penché, lors de la deuxième journée de rencontre, sur les relations entre livre durable et bibliothèques.

« Il y a, au sein de la filière du livre, un enjeu écologique fort », a rappelé Olivier Lerude, le 28 mars dernier, lors de la rencontre « livre, lecture et environnement » qui s’est tenue au Centre national du Livre (CNL). Fabriqué à partir d’une ressource naturelle - le bois -, imprimé en de multiples exemplaires et transporté aux quatre coins du monde, ce bien culturel a un impact non négligeable sur l’environnement. Pour l’adjoint à la Haute fonctionnaire du Ministère de la Culture le fatalisme n’est cependant pas de mise : « le bois est une ressource renouvelable, le livre un objet peu périssable, qui peut être réutilisé sans consommation supplémentaire d’énergie, et le papier se recycle facilement ».Le cycle de rencontres organisé par le ministère de la Culture autour du livre durable vise précisément à faire le point sur les pratiques écoresponsables qui voient le jour chez les professionnels du secteur ainsi que les différentes politiques publiques permettant de les encourager. Après une première journée consacrée, le 4 décembre dernier, aux répercussions environnementales et sociétales de la chaîne du livre, cette deuxième rencontre a notamment permis d’évoquer la et place et le rôle des bibliothèques à l’heure du développement durable. Compte rendu.

Assurer une seconde vie aux livres par l'échange de documents, la conservation partagée ou le don aux associations

Réduire l’impact environnemental du prêt de livre

L’optimisation des ressources et la diminution des déchets implique de repenser le prêt du livre en mettant en place une politique d’acquisition publique et de gestion des stocks plus verte. « Pour faire des achats de livre durables, il faut prendre en compte les impacts économiques et environnementaux dans les marchés publics, et veiller à assurer le renouvellement des collections », explique Emmanuelle Desvaux, responsable de la section des marchés à la Direction des Affaires culturelles de la Mairie de Paris. Cette prise en compte passe notamment par la rationalisation du transport des livres. A cette fin, la ville a choisi de confier au Service du Document et des Échanges des bibliothèques parisiennes (SDE) le soin de centraliser certaines commandes et de les distribuer par tournées, réduisant ainsi l’empreinte écologique des livraisons. Le SDE abrite par ailleurs une réserve centrale, dont les collections sont issues des bibliothèques du réseau, qui fournit aux usagers de ces mêmes bibliothèques des titres sur demande.

Ce n’est toutefois pas la seule structure à favoriser la mutualisation des ressources, particulièrement nécessaire dans les grandes villes, où les capacités de stockage sont limitées. Le Centre technique du livre et de l’enseignement supérieur (CTLes) assure ainsi la conservation des ouvrages rarement empruntés pour le compte des bibliothèques des établissements supérieurs d’Île-de-France. « Nous cherchons à améliorer la visibilité des documents qui arrivent chez nous et nous espérons, à terme, proposer à ceux qui nous les cèdent d’assurer leur dématérialisation », précise Mathieu Coordonnier, chef du pôle de valorisation des collections du CTLes.

« Le fait d’assurer une seconde vie aux livres peut passer par l’échange de documents et la conservation partagée mais également le don aux associations », rappelle Emmanuelle Desvaux. Gaëlle Le Tallec, cheffe du service de maintenance des collections de la Bibliothèque publique d’information (Bpi), en sait quelque chose. Elle supervise chaque année le retrait de près de 18 000 ouvrages des rayons de l’établissement public national, un « désherbage » qui évite à la bibliothèque des problèmes de réorganisation ou d’encombrement et lui permet mettre en valeurs des collections actualisées. Si près de 50% des documents récupérés doivent être détruits - les ouvrages d’informatique, de droit ou de médecine, par exemple, ont une durée de vie extrêmement limitée – Gaëlle Le Tallec veille à ce que les ressources restantes soient redistribuées à des associations humanitaires, des associations du champ social, des bibliothèques scolaires et universitaires ainsi qu’à des hôpitaux ou des prisons. « Nous recevons les bénéficiaires, qui viennent choisir les livres qu’ils souhaitent emporter, et nous leur faisons signer une convention où l’on cède la propriété des ouvrages à condition qu’ils ne soient pas revendus ensuite », précise-t-elle. L’engagement de la Bpi transparaît également dans l’organisation ponctuelle d’ateliers et d’événements promouvant le recyclage et le zéro déchet, à l’instar du week-end « Osez la Recup », en octobre dernier.

Des bibliothèques engagées et durables

Car au-delà de l’optimisation de la logistique qui sous-tend leur fonctionnement, les bibliothèques peuvent jouer un rôle dans la réalisation des objectifs de développement durable. Pour les aider dans cette démarche, le site « Agenda 2030 et Bibliothèques de France » propose des outils permettant de valoriser, d’une part, les actions concrètes mises en place et de se former, d’autre part, à la certification « bibliothèque verte ». La médiathèque Marguerite Yourcenar, située dans le 15e arrondissement, à Paris, fait partie des établissements publics qui ont choisi, au quotidien, de s’engager pour sensibiliser les usagers. « Dès son ouverture, en 2008, notre médiathèque a mis à disposition de ses usagers un fonds consacré au développement durable - livres, revues, DVD…-, et elle mène, depuis quatre ans, des actions de sensibilisation qui s’inscrivent dans le temps long », souligne Colette Linderman, responsable de la section jeunesse de la structure. Parmi elles figurent notamment l’installation d’une grainothèque, l’organisation d’un concours de dessin ayant pour thème la COP21 ou encore la création, en collaboration avec des élèves d’école primaire, d’un jardin pédagogique.

De nouveaux projets écoresponsables voient également le jour, à l’instar de celui de la médiathèque de Venelles, dans les Bouches-du-Rhône. Ce futur pôle culturel, qui se situera au cœur de la ville, voit sa conception orientée par les trois grands piliers – écologique, social et économique - du développement durable. « La médiathèque a été pensée de manière à ce que son atteinte environnementale soit réduite à son strict minimum, dans sa construction comme dans son fonctionnement ultérieur. Elle proposera à tous un accès à la culture et à la lecture entièrement gratuit, ainsi qu’une éducation de qualité au développement durable. Elle permettra, enfin, de soutenir l’économie locale en dynamisant l’image et le rayonnement de la ville », révèle Elisabeth Arquier, qui en assurera la direction. Ainsi, l’entreprise de sensibilisation qui sous-tend ce projet exceptionnel, modèle et témoin de l’engagement de la ville de Venelles, s’exprimera aussi bien dans le bâti que dans les usages, les collections et les animations de la future médiathèque.

Le contrat de filière livre, un système d’accompagnement prometteur

En Nouvelle-Aquitaine, un contrat a été mis en place afin de soutenir l’ensemble de la filière du livre. « Il s’agit d’un outil stratégique de fonctionnement mais aussi de transformation », précise Patrick Volpilhac, directeur du cabinet du Président de région. Ce dernier permet notamment d’encourager des initiatives allant dans le sens d’une transition énergétique et écologique. « La force du contrat de filière ce n’est pas d’être un système de subvention mais d’accompagnement », souligne Elisabeth Meller-Liron, conseillère pour le livre et la lecture à la DRAC Nouvelle-Aquitaine.

Parmi les acteurs de la région proposant des actions relevant du développement durable figurent des maisons d’éditions - à l’image de « Lamao éditions » (Rions) qui s’inscrit dans une démarche éco-responsable dans le choix des papiers et des diffuseurs –, des imprimeurs – « Les petites allées » (Rochefort) travaille « à l’ancienne », dans la tradition typographique de Gutenberg -, ainsi que librairies – « La Bruyère vagabonde » (Poitiers) s’est spécialisée dans les questions environnementales et comprend un espace de rencontres – conférences. La région soutient également la mise en place d’expérimentations collectives dont, notamment, la librairie solidaire « Recyclivre » qui collecte des livres d’occasion et reverse 10% de leur prix de vente à des associations menant des actions concrètes en faveur de l’éducation et l’écologie. « Toutes ces expériences, menées sur le terrain, vont nourrir ce que l’on mettra demain dans notre feuille de route », conclut Patrick Volpilhac.