« Entrez ici, vous êtes ailleurs », telle est l’invitation lancée par les librairies indépendantes à partir du 26 novembre, sous l’égide du Syndicat de la librairie française (SLF). A travers cette première campagne nationale, ces librairies sont plus que jamais résolues à faire valoir leurs atouts face à la grande distribution et aux géants du web. Guillaume Husson, délégué général du SLF en détaille les coulisses et enjeux.

En quoi cette campagne pour la librairie indépendante est-elle inédite ?

Une opération de communication avait déjà eu lieu pendant l’été 2011 mais elle n’était pas entièrement orchestrée par les librairies, elle avait en outre été exclusivement menée dans la presse. L’opération que nous lançons cette année est complètement portée et initiée par les librairies. Il s’agit de la première campagne nationale, des initiatives de ce type avaient déjà été prises par le passé mais uniquement à l’échelle des régions. Enfin, c’est la première fois qu’une profession non seulement lance une campagne mais crée une identité collective, un logo pour les librairies indépendantes. On en parle moins, pourtant c’est ce qui va rester : l’ensemble des 2500 libraires français se mettent ensemble sous un même signe pour communiquer autour de leur appartenance à cette profession.

Comment avez-vous préparé la campagne en amont, avez-vous interrogé les libraires ?

Absolument et la grande enquête sur les clients des librairies que nous avons réalisée en 2013 a également joué un rôle très important. Nous en avons notamment tiré la conclusion qu’il était nécessaire de fidéliser les clients. Nous n’avons pas d’inquiétude sur l’attachement aux librairies indépendantes du public qui les fréquente. En revanche, parmi ces clients, peu sont exclusifs, beaucoup achètent aussi dans les grandes surfaces culturelles et sur internet. Il existe donc des marges de progression pour les libraires indépendants : faire en sorte en particulier que leurs clients aient des pratiques d’achat plus intensives dans leurs librairies. Nous avons donc centré notre stratégie autour de la fidélisation des clients. Sur cette base, nous menons depuis le printemps des concertations avec des groupes de libraires à Paris et en région.

Lancer la campagne au moment des fêtes de fin d’année n’est pas innocent ?

On ne le sait pas toujours mais le livre est la première intention d’achat des Français pour Noël. Pour un prix assez modique, on a un cadeau qui a du sens. Nous profitons en quelque sorte de cette situation pour dire « cela a plus de sens encore si vous achetez les livres dans des commerces spécialisés où des libraires se battent tous les jours pour leurs livres et leurs clients. » C’est également au moment des fêtes de fin d’année qu’a lieu le pic de fréquentation et d’achat dans les librairies. Il existe donc un enjeu économique évident pour les librairies.

Une initiative intéressante est lancée, celle de la géolocalisation des librairies indépendantes ?

Cette géolocalisation sera mise en place sur le site qui accompagnera la campagne, c’est la première fois qu’une telle initiative voit le jour. Nous en sommes aujourd’hui à 1600 librairies. Je m’attends à des réactions car toutes les librairies n’y sont pas encore mais 1600, c’est déjà considérable, nous allons améliorer l’outil au fil du temps et je fais confiance aux libraires pour aller voir si leur librairie se trouve sur le site ! Nous allons par la suite enrichir le site avec des photos, des vidéos. C’est un outil qui permettra d’incarner ce réseau des librairies indépendantes.

Quelles sont les dernières statistiques, est-ce qu’elles montrent que les librairies indépendantes tiennent tête à la grande distribution, aux géants du web ?

Les prévisions pour 2014 sont relativement optimistes. Pourtant, le marché est morose. Si les librairies sont à l’équilibre en fin d’exercice, ce sera une bonne performance. Cela dépendra du mois de décembre. D’après les données dont nous disposons, la librairie indépendante est le réseau physique qui résistera encore le mieux cette année, elle devrait même connaître une légère progression, ce qui est inédit. D’après les projections, elle fera mieux que la grande distribution. Quant au circuit internet, il est très difficile de connaître sa progression car son principal acteur refuse que les circuits internet soient identifiés, du coup, ceux-ci sont mélangés à d’autres circuits physiques. En résumé, ce que l’on sait, c’est que la croissance des ventes de livres sur internet se ralentit fortement, et que les libraires, parmi les circuits physiques de vente, sont ceux qui résistent le mieux à tel point qu’ils risquent d’être très légèrement en progression cette année.

Vous avez dit récemment que l’avenir de la librairie passait par une exacerbation de ce qui la différencie, cette campagne n’est-elle pas une illustration de cette affirmation ?

C’est le sens des messages de la campagne, « Entrez ailleurs… » et « Entrez ici, vous êtes ailleurs », tout l’enjeu, c’est de faire comprendre au public, aux lecteurs, qu’en librairie, on a une autre expérience, que l’on entre dans un monde qui propose de la diversité, une évasion, quelque chose de chaleureux, d’humain. Toutes les études que nous avons menées mettent en avant cette dimension, certains mots reviennent en permanence, l’oasis, l’évasion, la découverte, flâner, prendre son temps, faire une pause, c’est très spécifique à la librairie, cela ne se reproduit pas dans d’autres circuits, c’est ce sillon-là que la librairie doit creuser pour se distinguer. La grande distribution lâche prise sur ces éléments, elle recule sur l’animation, la largeur de l’offre. Il peut y avoir une démarche utilitaire d’aller acheter sur internet, elle est tout à fait compréhensible, mais il y a d’autres démarches, souvent liées au plaisir. A la librairie indépendante d’être à la hauteur avec son personnel, son offre, son lieu, sa présence sur le territoire, dans un quartier. La librairie est de plus en plus un acteur dans la ville.

A quoi jugerez-vous en premier que la campagne est réussie ?

A l’adhésion des libraires puis, en janvier, à la réaction des clients. Nous avons prévu d’interroger beaucoup de libraires sur les réactions des clients. La force de la librairie, c’est son réseau, des centaines de librairies dans toutes les villes – petites, moyennes ou grandes –, les zones rurales, les banlieues. Il faut que la campagne se déploie partout et soit bien relayée par la presse. Si les résultats sont positifs, nous pourrons imaginer de nouvelles actions pour 2015.