Autour d’un réseau de citoyens et d’artistes résolus à faire de la langue française un bien commun, la Caravane des dix mots œuvre à l’émergence d’un réel espace public francophone. Une action que vient récompenser le 9 mars le prix de la diversité culturelle. Coup de projecteur avec sa directrice, Émilie Georget, à l'occasion du lancement de la Semaine de la langue française et de la Francophonie (2/2).

Quel est l’événement qui, en 2003, a inspiré le lancement de la Caravane des dix mots ?

Pendant la Semaine de la langue française et de la Francophonie, beaucoup de manifestations ont lieu en région Rhône-Alpes - désormais région Auvergne-Rhône-Alpes - et partout en France, notamment la fête des dix mots, qui était accueillie au théâtre des Asphodèles. Pour son directeur, Thierry Auzer, cela a été un déclic : partant du  constat que la langue française est une matière extraordinaire pour parler du lien social et de notre diversité, il a eu l’idée de sortir des lieux institutionnels pour aller dans la rue questionner les habitants sur le sens qu’ils donnaient à ces dix mots. Avec le réalisateur Eric Guirado, il est parti dans les rues de Lyon et s’est rendu compte à quel point cette expérience pouvait être riche et poétique. Mais tout le monde ne se sentait pas nécessairement à l’aise devant un micro ou une caméra, d’où la mise en place progressive d’un travail de médiation et de projets artistiques pour faciliter cette parole.

Quelles sont les grandes étapes de l’histoire de la Caravane des dix mots entre 2003 et aujourd’hui ?

Thierry Auzer aime citer cette phrase fondatrice du projet : « aller à la pêche au sens des mots au-delà de leur propre définition pour montrer la richesse et la diversité que tout être humain porte en lui ». L'initiative au départ est née d’une intuition, de l’idée que la prise de parole apporte beaucoup au rapport entre la langue française et le lien social. Par la suite, quand les premiers ateliers artistiques ont été lancés, toute l’attention s’est portée sur la diversité des disciplines artistiques engagées étant entendu que, si l’expression passe in fine par la langue, l’artiste est un passeur qui amène les gens à s’exprimer. A partir de là, le collectif d’artistes créé en Rhône-Alpes s’est vite consolidé. En 2005, le théâtre des Asphodèles a proposé le projet à d’autres compagnies artistiques au Sénégal, puis en Roumanie et en Vallée d’Aoste. Et en 2006, grâce au soutien d’un projet européen, Thierry Auzer a eu la folie de dire « dix mots, dix projets dans le monde ». La Caravane des dix mots a alors sillonné les routes d’Europe en camion à la recherche de six nouvelles équipes artistiques en plus des quatre déjà constituées.

Aller à la pêche au sens des mots au-delà de leur propre définition pour montrer la richesse et la diversité que tout être humain porte en lui

 

La Caravane des dix mots mène depuis plusieurs années une action forte en marge des Sommets de la Francophonie, c’était le cas en novembre dernier à Madagascar.

C’est en 2006 lors du Sommet de la Francophonie de Bucarest que le projet a pris une véritable dimension internationale. Depuis, nous organisons tous les deux ans, parallèlement au Sommet, le Forum international de la Caravane des dix mots. À cette occasion, nous réunissons tous les citoyens et les artistes engagés autour du projet. À côté des institutions, des chefs d’État et de gouvernements qui représentent les pays qui ont le français en partage, nous sommes les représentants d’une société civile qui porte en elle l’idée d’une francophonie culturelle, dynamique, appartenant aux locuteurs de français. À Madagascar, nous avons organisé toute une série d’actions visant à consolider notre projet commun mais aussi de nombreux événements publics, notamment une scène ouverte sous forme de tournoi de slam à l’Institut français de Madagascar, un après-midi de restitution à l’Alliance française de Tananarive, une déambulation de marionnettes géantes dans le cadre de notre partenariat avec la compagnie des grandes personnes d’Aubervilliers, de nombreux ateliers artistiques dans des centres accueillant des enfants défavorisés des quartiers de Tananarive… Nous avons bénéficié d’un excellent accueil de la part des structures locales, notamment de l’ONG Graines de Bitume, qui met en place des activités à l’attention des enfants des rues, et de la galerie d’arts plastiques Is’ Art Galerie qui travaille dans les structures sociales de son quartier avec l’Alliance française. Dans un pays comme Madagascar, où la francophonie est une question très sensible, j’ai le sentiment que nous avons apporté un petit vent de fraîcheur s’agissant d'une francophonie du dialogue interculturel, militante sur la question de l’accès à la parole, et donnant à voir la diversité des peuples. Des artistes d’une trentaine de pays étaient présents, de Madagascar bien sûr, mais aussi du Canada, des Comores, du Mali, de Côte d’Ivoire, d’Égypte, d’Arménie… soit des femmes et des hommes dont le français est la première ou la seconde langue, voire même une langue étrangère. Cela permet tout de suite de se poser la seule question qui vaille : pourquoi partageons-nous cette langue ?

 

Vous êtes à un poste d’observation privilégié pour juger de la situation du français et de la façon dont ses locuteurs s’en emparent. Le français se porte-t-il bien ?

Le français ne se porte jamais aussi bien que lorsqu’il est dynamique. Nous ne cessons de le constater à travers les ateliers que nous organisons. Les participants s’en emparent, le métissent, jouent avec les mots, font de la poésie… c’est en le mettant sous cloche que l’on risquerait de lui porter atteinte. L’objectif de la Caravane des dix mots est de faire en sorte que les Francophones s’emparent pleinement de cette langue, qu’ils l’utilisent comme un outil d’expression et d’émancipation. Le français indéniablement joue ce rôle. En outre, grâce au numérique, il permet de mettre les gens en relation les uns avec les autres. En 2006, la Caravane des dix mots avaient dix projets dans le monde, aujourd’hui, elle en a trente-huit.

 

Vous avez entraîné des locuteurs du monde entier dans l’aventure de la Caravane des dix mots !

Il est frappant de constater à quel point la langue française est attractive. La Francophonie, de ce point de vue, est un moteur. Elle offre non seulement accès à une culture mais aussi à une vitalité qui s’exprime sur les cinq continents. On le voit en Arménie, à Hong Kong ou en République tchèque, dans des territoires où la population n’est pas majoritairement francophone. Dans ces pays, les projets de la Caravane des dix mots rencontrent un franc succès et témoignent d’une envie de découverte des cultures étrangères. La langue est faite de pratiques langagières très différentes, géographiques, sociales, économiques, historiques, de métissages… c’est une richesse extraordinaire.

L’objectif de la Caravane des dix mots est de faire en sorte que les Francophones s’emparent pleinement de cette langue, qu’ils l’utilisent comme un outil d’expression et d’émancipation

 

Le prix de la diversité culturelle vous sera remis le 9 mars. Qu’attendez-vous de cette récompense ?

Nous sommes très honorés que notre travail soit reconnu. Le nom du prix résume en outre parfaitement notre ambition : à travers notre action sur la langue et la francophonie, nous souhaitons promouvoir la diversité culturelle. Qui plus est, le fait que cette distinction soit décernée par la Coalition française pour la diversité culturelle, composée de structures diverses, est un motif de fierté supplémentaire. Nous souhaitons que le prix accroisse notre visibilité et serve notre plaidoyer en faveur d’une francophonie des peuples, ouverte à la question de la culture de chacun. La francophonie est un espace des possibles, un laboratoire de la diversité culturelle. Nous voudrions aussi que les Français eux-mêmes prennent davantage conscience de cette richesse.

 

Télésnober, émoticône, avatar sont quelques uns des dix mots de 2017. Qu’avez-vous prévu cette année ?

Ces mots appartiennent au registre des nouvelles technologies. Ce sont, soit des mots anciens qui ont trouvé un nouveau sens dans les pratiques d’internet, soit des néologismes qui correspondent à des nouvelles pratiques. C’est un choix parfait pour montrer comment la langue s’adapte aux pratiques et à l’évolution des usages. Nous allons procéder comme nous en avons l’habitude : chaque porteur de projet de la Caravane de dix mots va réaliser des micro-trottoirs auprès des habitants de son territoire et organiser des ateliers artistiques autour de ces dix mots, sa liberté étant totale s’agissant de la manière dont il souhaite s’approprier ces mots et travailler avec son public. De notre côté, nous réaliserons le film, un florilège en quelque sorte, qui rassemblera les images du monde entier et mettra en évidence la grande diversité des sens donnés à ces mots selon le territoire et, plus largement, celle des pratiques, qu’il s’agisse des pratiques technologiques ou des imaginaires.

#SLFF17 : "Sans frontières fixes" avec la Caravane des dix mots

A l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie et en ouverture de la Semaine de langue française et de la Francophonie en Auvergne-Rhône-Alpes, la Caravane des dix mots organise, lundi 20 mars, à 19h, Sans frontières fixes 2017, une soirée festive au Théâtre des Asphodèles, à Lyon, qui interrogera nos visions de la francophonie de demain, espace culturel, politique, espace d’imaginaire et de rencontres des locuteurs de la langue française. «  Le théâtre m’a toujours donné envie de comprendre le rapport que nous entretenons à la langue française, premier facteur de lien social. Comment pouvons nous faire de celle-ci quelque-chose qui nous touche réellement, toutes et tous, et épouse nos singularités, nos spécificités culturelles ? Suivant son lieu de naissance, son parcours social, familial et éducatif, suivant les moments de sa vie on ne met pas les mêmes sens derrières les mêmes mots », souligne Thierry Auzer, fondateur de la Caravane des dix mots et directeur du théâtre des Asphodèles, qui accueillera des cultures de quatre continents à travers des rencontres d’auteurs (l'écrivain japonais Akira Mizubayashi, la poétesse algérienne Samira Negrouche, la journaliste tunisienne Fawzia Zouari, le comédien français Christian Taponard), lectures de textes francophones choisis, concert du Québécois Antoine Lachance, coup de cœur francophone 2016. 

Soirée organisée par la Caravane des dix mots, en partenariat avec Lyon Québec et le Théâtre des Asphodèles et avec le soutien de l’Office Franco-Québécois pour la Jeunesse.