De Marseille à Tourcoing, en passant par Moulins, les musées proposent une offre très attractive en cette période de reprise des activités culturelles. Avec une ambition : élargir leurs publics.
Pour accompagner la reprise des activités culturelles, les musées proposent une offre toujours plus attractive et originale pour intéresser – et élargir – leurs publics. C’est le cas de nombreux musées en régions qui, loin de se reposer sur des collections souvent remarquables, organisent, avec le soutien du ministère de la Culture, des expositions labellisées d'intérêt national qui leur permettent d’explorer un thème ou un artiste souvent lié au territoire.
Parmi les XX expositions d’intérêt national qui ont été labellisées pour l’édition 2022, trois d’entre elles, ouvertes depuis quelques semaines, ont retenu notre attention. Elles témoignent de l’originalité des sujets (« Objets migrateurs », au Centre de la Vieille Charité, à Marseille), de la diversité des domaines (« Anne de France, femme de pouvoir, princesse des arts », au musée Anne de Beaujeu, à Moulins) ou de la pertinence scientifique (« Eugène Leroy. A contre-jour », au MUba de Tourcoing). Focus.
Marseille : les objets sur le chemin des migrations
« On s’intéresse de plus en plus aux objets comme à des êtres vivants, ils ont aujourd'hui leurs biographies, assure Barbara Cassin, la commissaire générale de l’exposition événement Objets migrateurs. Trésors sous influences (8 avril - 16 octobre 2022) présentée au Centre de la Vieille Charité à Marseille, ». Pas étonnant qu’à l’égal de personnes, ils soient pour l’occasion mis à l'honneur dans un musée. À travers eux, l’objectif est de « dédiaboliser l’idée de migration ». Pour y parvenir, la philosophe et ses commissaires associés, Muriel Garsson, directrice du musée d’archéologie, et Manuel Moliner, conservateur en chef du pôle archéologie au musée d’histoire de Marseille, ont eu la belle idée « d’apparier un objet de l’antiquité et un objet contemporain »
La Chapelle de la Charité, première salle du parcours, montre ainsi côte à côte un skyphos grec à figures noires du Ve siècle avant Jésus-Christ présentant Ulysse sur un radeau constitué de deux amphores et un écoboat en bouteilles de plastique construit de nos jours au Cameroun. De salle en salle, les objets, au gré de leurs transformations, traversent les siècles, et avec eux les hommes et femmes migrants, en un message unique adressé au visiteur : comprendre la richesse du dialogue avec l’autre. Message qui à Marseille, plus grand port de la Méditerranée et terre d’accueil depuis sa fondation, résonne particulièrement. « Ce qui m’a plu, dit encore Barbara Cassin, c’est de travailler avec des associations et des gens de Marseille. Ici, au cœur du Panier, on parle toutes les langues, tout se mélange, c’est un lieu de brassage et de transformation, des gens autant que des choses, extraordinaire ». À noter parmi les questions interrogées, celle de l’original, de sa reproduction « authentique » à sa contrefaçon. On peut ainsi découvrir la célèbre tête mixtèque de L’homme de Rio dont les éléments sont authentiques mais l’assemblage moderne et une tête romaine posée sur un buste fabriqué pour l’occasion. Une installation sonore et photographique donne par ailleurs à entendre des histoires d’exil à travers des objets qui ont traversé les frontières.
A quoi voit-on que l’événement a été labellisé « exposition d’intérêt national » ? Sans conteste au nombre et ses acteurs et contributeurs. Tous les acteurs du site de la Vieille Charité ont été associés : le MAM, le MAAOA, le cipM, l'EHESS, le CNRS, les Maisons de la sagesse-traduire. L’exposition bénéficie également de prêts exceptionnels du Ashmolean Museum of Art and Archaeology d’Oxford, de la glyptothèque de Munich, du musée d’histoire de Genève, du musée du Louvre, de la fondation Gandur pour l’art de Genève, et du musée des Civilisations noires de Dakar.
La création inédite de l’artiste Marianne Mispelaëre, réalisée avec des élèves du collège Vieux-Port de Marseille autour des langues objets migrateurs et la riche programmation culturelle et scientifique qui accompagne l’exposition en est une autre illustration.
Tourcoing : mieux connaître Eugène Leroy
Et si 2022 était l’année Eugène Leroy ? Ce serait justice tant le peintre nordiste (1910-2000) qui compte pourtant parmi les plus grands artistes du XXe siècle est encore largement méconnu. Deux musées s’y emploient qui ont d’ailleurs conçu leur exposition labellisée d’intérêt national en partenariat : ainsi, tandis que le musée d’Art Moderne de la Ville de Paris consacre une importante rétrospective au peintre à travers 150 peintures et œuvres graphiques significatives de son travail « Eugène Leroy - Peindre » (du 15/4 et 28/8), le MUba Eugène Leroy de Tourcoing replace quant à lui l’artiste dans le contexte artistique de son époque et interroge sa contemporanéité à l’occasion de l’exposition « Eugène Leroy. À contre-jour » (du 28/4 au 2/10). Autre signe de cette complémentarité entre les institutions, un visiteur achetant un billet pour l’exposition du MUba bénéficiera du tarif réduit sur l’achat d’un billet de l’exposition au Musée d’Art Moderne de Paris.
À Tourcoing, sa ville natale, c’est d’abord l’influence de la scène culturelle du Nord des années 60 sur la trajectoire du peintre qui est célébrée. Installé dès 1958 dans sa maison atelier de Wasquehal, il se nourrit de ses échanges avec les artistes, les conservateurs de musées, les collectionneurs et mécènes que l’exposition met à l’honneur. Il côtoie notamment les artistes Eugène Dodeigne ou Germaine Richier, les galeristes Léon Renar et Marcel Evrard, le conservateur du musée de Tourcoing Jacques Bornibus, qui diffusent son œuvre, ou encore les industriels textiles Jean Masurel, Philippe Leclercq ou Anne et Albert Prouvost qui le collectionnent. En somme, c’est à un précieux éclairage de l’œuvre de celui qui n’a cessé de conjuguer sensation du réel et vision idéalisée de la peinture, brouillant constamment les cartes de l’abstraction et de la figuration que nous convient ses commissaires, Germain Hirselj, historien de l’art, Mélanie Lerat, directrice, et Christelle Manfredi, directrice adjointe du MUba Eugène Leroy.
La deuxième partie de l’exposition, dans la nef du musée, interroge les liens entre l’œuvre d’Eugène Leroy et la scène artistique contemporaine, autour de la thématique du lien de l’homme à la nature, du sentiment du temps et du cycle des saisons. Les sculptures, peintures, œuvres textiles, installations, photographies et vidéos d’une quinzaine d’artistes, parmi lesquels Gloria Friedmann, Sarkis, Plossu, ou Caroline Achaintre, constituent autant de contrepoints qui dialoguent avec le quadriptyque des Quatre Saisons (LaM, Villeneuve d’Ascq) réalisées par Eugène Leroy à l’âge de 83 ans.
Moulins : Anne de France, figure majeure de notre histoire
On pourrait reprendre mot pour mot pour Anne de Beaujeu ce qui a précédemment été écrit pour Eugène Leroy : personnalité majeure de son temps, Anne de Beaujeu reste insuffisamment connue du grand public. Le musée qui porte son nom à Moulins entend bien y remédier avec « Anne de France 1522 - 2022. Femme de pouvoir, princesse des arts » (18 mars - 18 septembre 2022), première exposition majeure à lui être consacrée, conçue en tandem par Giulia Longo, conservatrice du musée, et Aubrée David-Chapy, spécialiste de l'histoire des femmes au Moyen Âge et à la Renaissance et chercheuse associée au CRM-Paris Sorbonne.
Femme de pouvoir, Anne de France, dont l’exposition marque le 500e anniversaire de sa disparition, l’est incontestablement. Fille du roi Louis XI et de Charlotte de Savoie, elle a été mariée à Pierre de Beaujeu cadet de la maison de Bourbon. L’exposition met en lumière son influence à la tête du Royaume de France : « Madame la Grande » telle qu’on la surnommait, régente de son jeune frère Charles VIII monté sur le trône en 1483 demeura en effet une femme incontournable à la Cour de France, même après le décès de celui-ci en 1498, sous les règnes de Louis XII et François Ier.
Mais c’est tout autant à la princesse des arts que l’exposition rend hommage. Aux côtés de son mari, elle se révèle en véritable mécène de leur duché de Bourbonnais et d’Auvergne. Échanges avec les villes voisines d’envergure, et même l’Italie et la Flandre, nombreuses commandes : le Bourbonnais vit à l’époque un véritable apogée artistique. En témoignent notamment les tableaux du Maître de Moulins, prêtés par le musée du Louvre. « L’exposition met non seulement à l’honneur une figure féminine importante de son temps mais convoque aussi des problématiques contemporains sur l’étude de la Renaissance et s’associe à une institution nationale puisque le directeur du musée de la renaissance est associé au commissariat », salue Jérôme Farigoule, chef-adjoint du service des musées de France au ministère de la Culture.
A noter le colloque « Autour d’Anne de France - Régner au féminin » les 17 et 18 juin au théâtre de Moulins qui permettra notamment de « prolonger certaines pistes étudiées au sein du catalogue de l'exposition, comme les réseaux féminins européens d'Anne de France » et le livre signé Aubrée David-Chapy, Anne de France, Gouverner au féminin à la Renaissance paru aux éditions Passés/composés.