Dans le cadre du projet de création que la costumière Nawelle Aineche mène avec les enfants dans l’Aveyron, les matériaux bruts sont omniprésents et révèlent tout leur potentiel. Suite et fin de notre série de portraits consacrée aux artistes participant au dispositif Création en cours (8/8).
« Les enfants n’ont pas l’esprit formaté. Ils sont encore dans la poésie et la rêverie même s’ils veulent être à l’aise dans une vie en société dont ils connaissent déjà les règles. J’ai grandi à la campagne. Je sais à quel point la culture est importante dans des lieux qui en sont éloignés ». Quand on demande à Nawelle Aineche, jeune costumière en résidence à l’école de Balsac, petite ville de l’Aveyron, pourquoi elle a souhaité participer au dispositif Création en cours, la réponse fuse. La suite ne se fait pas attendre. « Grâce au prix Voyager pour apprendre les métiers d’art mis en place par la Fondation Culture & Diversité dont j’ai été lauréate en 2016, j’ai eu l’occasion de partir quatre mois au Sénégal pour faire du tissage avec des sacs plastiques. Création en cours me permet de poursuivre cette recherche sur des textiles à base de matériaux non intimidants, le papier, le plastique, le carton, et de détourner le costume », ajoute la jeune femme, titulaire depuis 2015 du Diplôme des Métiers d’Art Costumier Réalisateur du lycée La Martinière-Diderot à Lyon.
Qu'est ce que je vais faire de toi ? est la vision plastique et en mouvements de nos monstres, ceux qui nous effraient et qui provoquent en nous une jouissance énigmatique
Le projet – dont le titre « Qu’est-ce que je vais faire de toi ? » souligne le refus de tracer une ligne de démarcation claire entre artisanat et art – consiste à créer des costumes grotesques à base de matériaux bruts avec les enfants. Il est aussi la « vision plastique et en mouvements de nos monstres, ceux qui nous effraient et qui provoquent en nous une jouissance énigmatique », explique Nawelle Aineche. Sous la houlette de leurs enseignantes, les élèves des classes de CM1 et CM2 n’ont cessé, pendant les mois qui ont précédé l’arrivée de la jeune artiste à l’école, de récolter de la matière, une activité complétée par « une visite au centre de tri de Millau sur le thème du recyclage » aux côtés de la costumière. Une façon d’associer un acte utile à l’acte créatif. « Quand j’ai commencé à travailler avec ces matériaux, je me suis demandé ce que je pouvais en faire. C’est leur poésie qui m’intéresse. Avec les enfants, je me suis servie d’un morceau de carton pour en faire la base d’un métier à tisser. J’essaye de leur montrer qu’il est possible de faire quelque chose avec trois fois rien, ce qui du reste renvoie directement à la débrouillardise souvent à l’œuvre dans les campagnes. Ce contraste m’intéresse ».
Aux costumes en cours de réalisation sont associées des émotions, la joie, la peur, la colère. Les matériaux bruts semblent à cet égard être de formidables véhicules confie Nawelle Aineche. « Je me venge m’a répondu un élève auquel je demandais pourquoi il était en colère l’autre jour dans la cour de récréation. Cette réponse m’a frappée. A l’image des matériaux que nous utilisons, les émotions des enfants sont brutes, sincères. Elles ne sont en aucun cas masquées par la diplomatie ou les codes sociaux que l’on acquiert en devenant adulte. Les matières brutes s’adressent directement à eux ».
Le fait d’endosser ce costume réalisé à leur taille ne leur permet-il pas aussi de libérer plus facilement ces émotions ? « C’est exactement ce sur quoi je mise. Il m’est arrivé par le passé de faire un corset en carton. La personne qui le portait se tenait aussi droite que si elle avait revêtu un corset d’époque avec des baleines en métal. Les costumes que je réalise avec les enfants vont recouvrir leur tête ce qui aura pour effet de modifier leur vision des mouvements. Je veux les amener à créer quelque chose à partir de la contrainte. Le costume doit être un nouvel épiderme, une nouvelle peau plus qu’un costume contraignant. Pour revenir au titre de la résidence, c’est aussi pour dire que l’on peut s’en sortir même quand on est bloqué ».
Nawelle Aineche est intarissable sur les enfants. « Ils veulent tout savoir tout de suite, ils pensent que j’ai tout appris du jour au lendemain et qu’il en ira de même pour eux », s’amuse-t-elle, « mais du coup, ils acceptent difficilement de se tromper, ils croient que s’ils n’ont pas réussi la première fois, ils ne vont jamais y arriver, il faut en permanence les motiver ». Autre motif de surprise, le plaisir que tous, sans exception, ont à participer à l’atelier. « L’idée communément répandue est de considérer la couture, la broderie et le tissage comme des activités essentiellement féminines. Or, de nombreux garçons dans les deux classes adorent le tissage et l’origami. Le clivage filles-garçons n’existe pour ainsi dire pas », se félicite-t-elle.
La jeune costumière, qui a participé à la réalisation des costumes de Rodin, le film de Jacques Doillon qui sera présenté en sélection officielle au prochain Festival de Cannes, souhaite par dessus tout que les enfants ne perdent pas de vue l’essentiel . « Quand je m’aperçois qu’ils rêvent d’argent et de gloire, cela me fait de la peine. J’essaye de leur faire comprendre que si j’ai eu la chance de participer à des projets extrêmement prestigieux, travailler avec eux est pour moi une expérience tout aussi extraordinaire. J’aimerais aussi qu’ils comprennent que tout est possible. En dépit des obstacles qui n’ont cessé de se dresser tout au long de mon parcours, je ne me suis jamais découragée. Si l’on est passionné et déterminé, on y arrive toujours ».
La restitution se déroulera en deux temps : un danseur doit pour l’heure venir aider les enfants à préparer la kermesse de fin d’année au cours de laquelle ils revêtiront les costumes puis le photographe Maxime Tauban fera des photos des costumes « dans le style Dada Bauhaus très stylisé » afin qu’ils en conservent un souvenir. Enfin, à l’automne, aura lieu la création de la jeune artiste, « une performance dégradée entre danse, marionnette et sculpture », promet-elle.