Les 14 et 15 octobre, le Musée national de l’histoire de l’immigration fête ses 10 ans lors d’un grand week-end anniversaire. A cette occasion, Mercedes Erra, présidente du Conseil d’administration de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée, revient sur le bilan et les projets du musée.

Le Musée national de l’histoire de l’immigration s’apprête à célébrer ses 10 ans. Quelles sont aujourd'hui ses missions ?

Dans notre pays, où l'immigration est un fait historique incontournable, il manquait un lieu de connaissance dédié à cette histoire particulière. Notre premier objectif est donc d'apporter un éclairage citoyen à ce débat et de montrer que l'histoire de la France et l'histoire de l'immigration se rencontrent. Pour cela, il était important de dépassionner ce débat - sur lequel, il est vrai, perdurent de nombreux fantasmes - et d'apporter de solides repères historiques et sociologiques qui permettent au public de mieux comprendre les tenants et aboutissants de l'histoire de l'immigration. C'est ce à quoi s'attellent notamment les chercheurs en histoire au sein de notre conseil d'orientation : donner à voir aux Français que leur histoire est en grande partie, depuis deux siècles, celle de l'histoire de l'immigration. Ensuite, il y a chez nous la volonté d’élaborer un récit de l'immigration. Car l'accueil des immigrés a été, à travers une grande variété de vécus et d’histoires, un des fondements culturels de la France. A chaque exposition, nous mettons au jour tel ou tel aspect de l'immigration. Comme notre volonté est d'être un musée accessible au grand public, très ouvert, l'enjeu est de savoir comment raconter et montrer cette histoire de façon à attirer un public important. C'est un des enjeux-clés du musée.

Quel bilan dressez-vous de ces dix années ?

Le fait que l'immigration fasse partie de l'histoire et de la culture françaises n'était pas une évidence. Cela ne nous a pas aidés à nous imposer immédiatement dans le paysage culturel parisien. Ces dix premières années ont été un combat, émaillé de péripéties diverses. Aujourd'hui, il existe en France un public intéressé par la vérité historique sur l'immigration et il nous suit. Je pense aussi que nous avons trouvé une écriture. Le récit doit être accessible à de nombreux publics, notamment aux jeunes, aux élèves, aux étudiants. Nous avons inventé une façon de le mettre en scène très liée à des repères historiques mais aussi à des éléments ethnographiques, à des témoignages, et aux œuvres d'art qui nous révèlent beaucoup de l'immigration.

Quels sont, selon vous, les enjeux de demain ?

Le musée national de l’histoire de l'immigration n'est pas un musée comme les autres. Il nous interroge au jour le jour. Et il n'a jamais été aussi utile, car aujourd'hui l’enjeu de vivre-ensemble est réel. On a besoin que tous - l’État, la communauté des historiens, le public... - nous nous saisissions de son intérêt et de sa portée citoyenne. L'autre enjeu, c'est l'attractivité du musée. Je pense qu’on peut encore beaucoup progresser sur cet aspect. Si nous regardons les expositions de très grande qualité que nous avons montées, à raison d'une par an, comme Polonia sur la Pologne, J'ai deux amours sur l'art contemporain, à des expositions plus récentes, comme Frontières ou Ciao Italia, nous n'avons cessé de progresser en terme de fréquentation. Une mention particulière pour Fashion mix, une exposition qui a montré de façon spectaculaire que l'art de la mode considéré - à juste titre - comme tellement français, pouvait s’enrichir des talents issus de l'immigration. C'est un très bon exemple. De façon générale, on travaille aujourd'hui à rendre le musée plus accessible à des publics multiples. Nous sommes probablement un des musées les plus ouverts : les descendants des immigrés, notamment, s'y retrouvent. Ce lieu est également très fréquenté par les professeurs, car le musée leur fournit énormément de matériaux pour parler de l'immigration. Ce lieu est visité aussi par de nombreux enfants de tous les quartiers. Ce musée les touche beaucoup, c'est comme une reconnaissance pour eux. C'est essentiel et on va donc continuer. Je rêve aussi dans ce lieu de l'Est parisien d'un restaurant et d'une librairie. On a encore beaucoup à faire et je suis persuadée qu'on aura encore plus de succès quand on pourra proposer tout cela au public.

Et les projets ?

Il y a l'exposition coproduite avec le Mucem, Lieux saints partagés qui commence le 24 octobre. Ensuite, on aura une exposition sur les Tziganes, avec laquelle le Musée pourrait atteindre des records de fréquentation. On a déjà présenté aux Rencontres d'Arles une exposition incroyable de photographies de Mathieu Pernot sur ce sujet. Il va aussi y avoir un important chantier de refonte de l'exposition permanente Repères. Ce parcours, qui date du début du musée, structure la compréhension et donne une vision globale de l'immigration : comment cela s'est passé, qu'est-ce que cela veut dire, quels sont les chiffres clés, les données clés. Ce projet est mené par l'historien Benjamin Stora avec l'historien Patrick Boucheron, professeur au Collège de France. Je pense que cela va être passionnant.

Françoise Nyssen : "Permettre aux migrants d'entrer pleinement dans notre vie culturelle"

"Changer les regards" et "changer les mots", c'est, selon Françoise Nyssen, une première étape incontournable avant de "changer les vies" des migrants. Lors de son intervention du 13 octobre à l'occasion des dix ans du musée national de l'histoire de l'Immigration, installé à la Porte Dorée, à Paris, la ministre de la Culture est revenue sur la mobilisation du ministère en vue d'un meilleur "accompagnement" de la politique migratoire de la France. "Près de la moitié des Français jugent urgente la mise en place de dispositifs efficaces pour que les migrants nouvellement arrivés apprennent rapidement la langue française ; près de la moitié sont favorables à un dispositif permettant de se familiariser avec notre culture", a-t-elle observé. Premier objectif : la participation de chacun à la vie artistique. Pour cela, la ministre "souhaite qu’un référent puisse être désigné au sein de chaque direction régionale des affaires culturelles (DRAC) pour aider à la coordination des initiatives à destination des migrants". De plus, une action autour de la pratique artistique sera développée, à l'image du travail mené par une association parisienne : l'Atelier des artistes en Exil. "Ce lieu permet à des musiciens, peintres, photographes de pratiquer à nouveau leur art". Autre objectif : l'apprentissage du français. "C’est le premier vecteur de l’enracinement. Et c’est une étape nécessaire pour engager des démarches administratives, chercher un emploi, créer des liens", a assuré la ministre, en précisant que "c’est une dimension que nous souhaitons intégrer dans la mission sur les bibliothèques actuellement menée par Erik Orsenna".