"Le foot, une affaire d’État" ? Laurent Veyssière, conservateur général du patrimoine, nous explique pourquoi cette exposition organisée par les Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine fait événement (4/5).


Le football est un sujet inédit pour les Archives nationales…

À l’instar de plusieurs autres institutions culturelles, les Archives nationales ont souhaité faire écho à l’Euro 2016, tout en restant dans leur sphère propre : la conservation mais aussi la communication des archives produites par l’État. Il s’agit de notre première exposition historique sur le thème du sport. L’histoire du football est assez récente, elle aussi. Elle est en plein essor depuis une quinzaine d’années. Il est dans la mission naturelle des Archives nationales d’accompagner les nouveaux champs de la recherche universitaire et scientifique. En France, nous avons une recherche de pointe et d’excellents chercheurs tels que Paul Dietschy en Franche-Comté ou Alfred Wahl à Metz. C’est un rare privilège que de pouvoir les rencontrer lors de cette exposition.

La relation entre l’État et le football est riche et complexe, ce qui justifie votre titre : le foot, une affaire d’État.

Comme l’annonce le titre de l’exposition et comme le suggère habilement l’affiche, la problématique retenue a trait aux rapports existant entre le foot et l’État au sens large : les administrations, le personnel politique... Il faut savoir que l’État français ne s’est réellement intéressé au foot que depuis l’épopée des « Verts » de Saint-Étienne, dans les années 1970, et surtout depuis la coupe du monde de 1998 et la victoire des « Bleus ». Aujourd'hui omniprésent, il intervient directement dans l'organisation des grandes compétitions internationales – coupes du monde, championnats d'Europe des nations – mais aussi dans la construction ou la rénovation des stades, en particulier en Ile-de-France avec le Parc des Princes et le Stade de France de Saint-Denis. Jusqu’au plus haut niveau, on voit les hommes politiques se mêler des controverses sportives, elles-mêmes érigées en débats de société. L’exposition montre l’évolution de ces relations ainsi que les changements intervenus dans la perception même de ce sport, en lien direct avec l’évolution du monde. Il y a plus de pays adhérents à la FIFA – la très influente fédération internationale de football – qu’à l’ONU !

À l’aide de quels documents l’exposition illustre-t-elle cette vision historique ?

Nous sommes restés au plus près des sources originales. Parmi celles-ci, figurent en premier lieu, bien sûr, les documents d'archives – en particulier ceux issus des fonds de la Présidence, des services du Premier ministre et des ministères concernés : Jeunesse et Sports, Intérieur, conservés aux Archives nationales, et les fonds des ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Nous avons pu emprunter des documents exceptionnels auprès de la Fédération française de football. Ainsi, une note sur l'histoire de la Coupe du monde annotée par Henri Delaunay – un des pères du football français et mondial – ou encore une lettre de l'Union des associations européennes de football à Pierre Delaunay, le fils de Henri, évoquant la première coupe d'Europe des nations, en 1960. C’est un document émouvant pour les historiens et les amoureux du foot. Grâce au Centre Pompidou et à la Cité de l’architecture, nous présentons les volumineuses maquettes originales des finalistes Jean Nouvel et Aymeric Zublena : deux projets de philosophie très différente ! À côté de ces documents, l’exposition présente quantité d’objets, affiches, dispositifs audiovisuels, archives audiovisuelles, films, débats, parcours éducatifs. Pour les publics spécifiques (en particulier le public mal-voyant), nous avons créé un parcours spécifique avec des reproductions de documents en braille ainsi qu'un terrain de cécifoot. Quant aux œuvres d’art que nous avons empruntées dans plusieurs musées (Dijon, Rennes, Nice, Colombes), elles sont présentes en tant que soutiens d’un discours historique. Je pense en particulier à une lithographie de Nicolas de Staël – grand amateur de foot comme Niki de Saint-Phalle, Camus ou Giraudoux – montrant la tenue du tout premier match nocturne, en 1952, dans le mythique Parc des Princes. De même pour un tableau d’Armand Lanoux de 1937, illustrant la conception du foot par le Front Populaire. Le football, alors, devait être un sport de masse, d'où la prolifération de petits stades à travers le pays. Tout le contraire de la conception du sport-spectacle qui prévaut aujourd'hui !

Le Stade et France et les Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine sont tous deux situés dans la Seine-Saint-Denis...

Cette heureuse proximité vient en quelque sorte compenser l’éloignement de notre site. En effet, hormis nos publics naturels – la communauté des chercheurs et les publics de la Plaine-Saint-Denis – le visiteur ne vient pas naturellement jusqu’ici. Cette exposition est captivante, et intéresse aussi bien les chercheurs que les familles. Il fallait donc penser les choses différemment, à l’échelle collective, et avec le partenariat des collectivités locales et des organismes de tourisme. La présence d’une fan-zone à Saint-Denis va nous permettre de faire venir des milliers de supporters. Ils pourront suivre des visites de groupes commentées, en français et en anglais, par des guides.

Dans les années 1950, George Orwell déclarait : "Le sport, c’est la guerre sans les coups de feu". Existe-t-il une dimension politique du football ?

Cette déclaration portait sur la symbolique de certaines rencontres internationales : les équipes, perçues à tort comme des émanations politiques des États, en viennent à représenter le prolongement d’un conflit politique ou diplomatique. On peut citer le match de 1938 entre la France et l'Italie, qui a joué exceptionnellement en noir, couleur des chemises fascistes, à une époque où Mussolini – qui n'aimait pas le foot – voulait fédérer le peuple italien et véhiculer une idée fasciste du sport. On pense aussi au match RFA-RDA en 1974 ou Argentine-Angleterre en 1986 après la guerre des Malouines. À l’inverse, certaines rencontres contribuent à ce que certains appellent « la diplomatie du football ». Ainsi, la rencontre États-Unis-Iran en 1998 a aidé au réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays. Le football est, de très loin, le premier sport mondial. L’exposition entend montrer comment son histoire reste intimement liée à la « grande histoire », comme amplificateur des passions nationales. Elle montre aussi, plus légèrement, l’évolution des hommes politiques dans ce domaine. Plus l’engouement populaire monte, plus ils doivent s’approprier ce sujet. François Mitterrand a mis en place des politiques sportives importantes avec la loi Avice. Jacques Chirac est devenu un supporter en voyant le match de la victoire, en 1998. En revanche, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont toujours été de grands fans du ballon rond.

Une exposition aux Archives nationales, à Pierrefitte-sur-Seine

L’exposition permet de découvrir l’envers du décor des grandes compétitions organisées par la France telles que les coupes du monde de 1938 et de 1998, ou les rencontres européennes de 1960 et 1984. Les documents d’archives ont trouvé leur place naturelle de témoins privilégiés. Lettres des conseillers ministériels, notes des affaires étrangères sur les problèmes diplomatiques, rapports sur la sécurité ou sur les projets déconstruction de stade côtoient les affiches et les mascottes des compétitions, les plans et les maquettes des projets de stade, ou bien encore les journaux d’époque et les reportages photographiques.

Parmi les objets emblématiques, la réplique du trophée Jules-Rimet créé pour la première Coupe du monde de 1930 en Uruguay. La statuette exécutée par Abel Lafleur représente Nikè, la déesse grecque de la victoire, tenant un calice octogonal. Elle a été volée plusieurs fois. La peluche de Footix, mascotte de la Coupe du monde 1998, créée par Fabrice Pialot. L’affiche de la Coupe du monde 1938 réalisée par Henri Desmé. Le dessin représente un joueur posant le pied sur un ballon, lui-même posé sur un terrain de jeu figuré par un globe terrestre. Cette représentation martiale préfigure la guerre à venir. La Lettre d’une jeune fille du Vaucluse au « Président des Sports », le 5 novembre 1968, témoignant des difficultés que connaît le football féminin français.