Visites avec des médiateurs, ateliers encadrés par des artistes, classes projet, actions hors-les-murs… les musées rivalisent d’initiatives à l’attention des 5,1 millions de scolaires qu’ils ont accueilli en 2017. Illustration avec deux établissements emblématiques : Arles antique et le musée national des arts asiatiques Guimet.
Selon une étude réalisée en 2019 par le ministère de la Culture (direction générale des patrimoines / département des études, de la prospective et des statistiques), 5,1 millions de scolaires ont été accueillis en 2017 dans les 1 200 musées de France, soit environ 40% des élèves scolarisés. Un résultat qui montre en creux le chemin restant à parcourir pour atteindre le « 100% EAC », ambition affichée du ministre de la Culture. L’étendue du travail accompli n'en est pas moins particulièrement impressionnante. 5,1 millions de scolaires accueillis dans les 1200 musées de France, cela signifie un maillage territorial exceptionnel, une mobilisation constante des musées et des milliers d’initiatives de terrain en direction des plus jeunes. Pour illustrer ces initiatives, nous nous sommes penchés sur les propositions emblématiques de deux de ces 1200 musées : Arles antique et le musée national des arts asiatiques Guimet, à Paris.
Musée Arles antique : « l’action éducative, c’est l’ADN du musée »
« Dès la conception du musée, le volet pédagogique a été une dimension forte du projet ». Pour en apporter la preuve, Marie Vachin, responsable du service médiation au département des publics du musée Arles antique, observe que « le service éducatif a immédiatement été opérationnel [lors de l’ouverture du musée, en 1995], grâce aux grandes maquettes de monuments antiques destinées aux publics scolaires ».
Scolaires, médiateurs, artistes
Vingt-quatre ans après, l’action éducative est définitivement inscrite dans l’ADN du musée. Si elle prend aujourd’hui de multiples formes – de la plus classique, qui combine visites du musée et ateliers, à la plus aboutie, la classe-projet – l’un de ses aspects reste incontournable : l’expérimentation par les élèves, qui est « fondamentale » pour Marie Vachin. Autre élément essentiel : le programme autour d’un thème précis – romanisation, vie quotidienne, religion, commerce – est établi conjointement entre les enseignants et les équipes du musée.
« Plus d’un tiers de nos projets sont menés avec des enseignants, reprend Marie Vachin. Ils se déroulent pendant l’année scolaire, font appel à de nombreux partenaires culturels, et prévoient une restitution différente d’une classe à l’autre : pièce de théâtre, visite dans les collections par les enfants, outil numérique, maquette… ». La présence d’artistes aux côtés des élèves et des médiateurs du musée compte naturellement pour beaucoup dans leur réussite : « La rencontre avec la collection du musée reste au cœur du travail, mais les regards singuliers des artistes sont infiniment plus vastes. Toutes les disciplines ont été représentées, au fil du temps : photographie, danse, théâtre…. En outre, en raison de la spécificité de nos collections, nous avons la chance de travailler avec des « reconstituteurs » ainsi qu’avec des scientifiques, notamment des archéologues ». Ces occasions de collaboration sont par ailleurs décuplées dans le cadre des résidences d’artistes accueillies par le musée – « nous essayons au maximum de coupler la présence des artistes et les projets scolaires » –et du partenariat avecle Citron jaune, le Centre National des Arts de la Rue, situé à Port-Saint-Louis-du-Rhône.
Avec les scolaires comme avec les publics en accompagnement social, notre objectif est toujours le même : qu’ils deviennent acteurs et finalement prescripteurs d’un discours
Des projets au long cours
Les bénéficiaires de ces programmes sur mesure sont en grande majorité des collégiens. Pour une raison simple : « nos collections, qui couvrent l’ensemble de la romanité, sont susceptibles d’intéresser toutes les classes de collège », observeMarie Vachin. Autre raison, également décisive, quoique plus prosaïque : les facilités de remboursement de bus par le département des Bouches-du-Rhône permettent à de nombreuses classes des villes alentour de faire le déplacement. La présence d’une médiatrice spécialisée dans l’accueil des publics en situation de handicap permet en outre de travailler avec des classes ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire) dont le musée détourne joliment l’acronyme en référence au héros de la mythologie.
« Dans le cadre d’un mémoire réalisé au cours d’une formation, j’ai retrouvé des enfants d’un collège situé en zone défavorisée d’Arles qui avaient suivi une option « archéologie ». J’ai été frappée de constater à quel point cette expérience les avait décomplexés par rapport au milieu muséal. Autre exemple, celui de l’expérience menée pendant deux ans avec une classe de primaire sur notre navire chaland vieux de 2000 ans, l’Arles-Rhône 3. Quand les élèves ont fait faire la visite à des enfants de maternelle, c’était impressionnant de voir la façon dont ils s’étaient appropriés le projet. Même chose pour la thématique « L’antique et/est nous », qui joue sur ce qui « fait sens » hier et aujourd’hui. Pour Marie Vachin, pas de doute : ces projets au long cours laissent une « empreinte » sur leurs destinataires. « À côté des publics scolaires, nous avons une mission importante auprès des publics en accompagnement social. Notre objectif est toujours le même : qu’ils deviennent acteurs et finalement prescripteurs d’un discours ».
Musée Guimet : « rendre accessible ce qui est lointain »
« Le musée Guimet met en valeur des cultures immenses dans l’espace et le temps. Notre offre éducative en est le reflet », souligne Cécile Becker chef du service de l’action culturelle du musée national des arts asiatiques, qui avoue bénéficier de l’intérêt du public pour l’Extrême-Orient. « Certaines aires géographiques ou culturelles, à l’image du Japon qui fascine les jeunes gens, sont plus plébiscitées que d’autres. Partant de ce goût, nous essayons de tisser une offre documentée et accessible vers les collections permanentes ».
Franchir les seuils
L’offre « scolaire » du musée se décline en quatre formats pédagogiques servis par une équipe composée d’artistes fins connaisseurs de l’Asie. Particularité : ces formats, s’ils concernent au premier chef les publics scolaires, restent valables pour tout public. « La plupart du temps, on segmente les publics. Notre action est à rebours de cette pratique, assure Cécile Becker. Nous avons un objectif : par exemple, faire découvrir la calligraphie. À partir de là, nous tissons des protocoles pédagogiques, que nous déclinons ensuite selon les publics. Ce que l’on apprend d’un public aveugle ou d’un public autiste servira aussi pour les adultes. Il y a beaucoup de possibilités de glissements et d’acquisitions de la part des médiateurs qui vont d’un public à l’autre ».
Avec le projet « franchir le seuil, donner et recevoir : rituels d’hospitalité en Asie, savoir vivre universel » soutenu par le ministère de la Culture au titre de l’action culturelle en faveur des publics éloignés de l’offre culturelle, l’action du musée en direction des publics scolaires a franchi en mars dernier une nouvelle étape. Des classes de CM1 et de CM2 de quatre villes, Grigny, Montdidier, Château-Thierry, et Amiens sont concernées. « Franchir le seuil, c’est littéralement franchir le seuil du musée car les cultures asiatiques sont parfois perçues comme des cultures lointaines. Quant aux rituels d’hospitalité, on en trouve dans la Grèce ancienne, dans notre culture, et dans des moments très privilégiés de l’histoire de l’Asie, notamment dans la cérémonie du thé. Et ce qui me paraissait particulièrement intéressant, c’est que les œuvres d’art soient au centre de cette expérience ».
Notre objectif ? permettre au public, qu'il soit scolaire ou non, de trouver ce nouveau vocabulaire commun qui nous permette de vivre ensemble
Trouver un vocabulaire commun
Autour du thé, le musée a créé des ateliers de passages : une entrée en matière sous forme de conte théâtralisé avec une comédienne, un jeu de rôle explorant les mots et les gestes qui accompagnent l’acte de franchir un seuil, un partage du thé au cours duquel chaque enfant pourra écrire un haïku. « Nous avons fait concevoir des bols pour les enfants, afin qu’ils puissent prendre conscience de ce que ça signifie : lorsqu’on a des objets artistiques en main, on se concentre sur ses sensations, on s’ancre à nouveau, d’une autre façon, dans le présent ». D’autre ateliers se sont attachés à la confection d’une invitation par un travail d’arts plastiques en argilo-gravure, la réalisation d’une enveloppe ou la création d’un paysage de thé en référence à la nature et à l’environnement. « On part de quelque chose de très quotidien, le seuil, pour aller jusqu’à l’environnement », explique Cécile Becker.
Au cours de la restitution finale, les parents ont été à leur tour invités à partager un thé. « Notre objectif ? C’est qu’ils aient envie de s’en inspirer chez eux. Il n’est pas question de nier les spécificités culturelles, de priver les gens de leur culture mais de trouver ce nouveau vocabulaire commun qui nous permet de vivre ensemble ». Nul doute qu’il n’ait été atteint.