Créés il y a trente ans, les Centres chorégraphiques nationaux – soutenus par le ministère de la Culture et de la Communication et les collectivités locales – se sont très vite imposés comme des acteurs incontournables de la vitalité de la scène chorégraphique française. Le point sur les enjeux de ces établissements uniques au monde avec Emmanuelle Vo-Dinh, présidente de l’association des Centres chorégraphiques nationaux (ACCN) et directrice du Phare, le CCN du Havre Haute-Normandie.

Quelle est la plus grande réussite des Centres chorégraphiques nationaux ?

Depuis trente ans, les Centres chorégraphiques nationaux (CCN) ont été aussi performants dans l’accomplissement de leurs missions initiales – la création et la diffusion – que dans celui de leurs missions associées. Sur ce second volet, qui recouvre l’ensemble des missions artistiques d’un CCN, ils se sont imposés comme des acteurs indispensables au développement de la culture chorégraphique. Je pense en particulier aux multiples partenariats avec l’Education nationale, au travail en direction des publics, mais aussi à l’accompagnement du secteur chorégraphique à travers l’accueil studio qui permet à une compagnie de bénéficier d’une enveloppe financière assortie d’un temps de résidence.

La formule de l’accueil studio semble être un apport décisif dans le dispositif des CCN...

Chaque CCN reçoit entre 80 et 90 demandes par an au titre de l’accueil studio. Ce succès pose d’ailleurs la question de la revalorisation de cette mesure. Depuis sa création en 1998, son montant, qui est de 45 000 euros, n’a en effet pas évolué. Aujourd’hui, les accueils studio sont devenus incontournables dans la chaine de production des pièces. Pour le milieu professionnel, l’obtention d’un accueil studio a valeur de label auprès des autres coproducteurs, les CCN étant identifiés comme le lieu de l’expertise. En sens inverse, les compagnies souhaitent mettre en valeur l’accompagnement d’un CCN dans leurs productions.

Oliver Dubois est depuis un an à la tête du CCN de Roubaix, Christian Rizzo vient d’être nommé à Montpellier... qu’est-ce qui motive le choix d’un chorégraphe plus qu’un autre pour diriger un Centre chorégraphique national ?

La réalité n’est pas la même aujourd’hui qu’au moment de la création des CCN. Il y a 30 ans, ces maisons ont été construites par et pour des chorégraphes qui avaient besoin de lieux pour créer. Mais très rapidement, les missions associées sont devenues aussi déterminantes que la mission principale. D’une part, parce que les chorégraphes sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux – il faut donc davantage de moyens pour les soutenir –, et d’autre part, parce que ces artistes implantés sur les territoires ont généré une forte demande de la part du monde enseignant mais aussi de l’ensemble du public. Cette évolution se reflète dans le choix des équipes nommées pour diriger les CCN. On prend en compte la façon dont le chorégraphe va développer son projet artistique mais aussi comment, grâce à celui-ci, il va irriguer et porter l’ensemble des missions associées. Aujourd’hui, on demande à un artiste d’être polymorphe, d’avoir sa démarche propre mais d’être aussi capable de diriger une équipe – artistique et administrative – et de diffuser son projet à travers différents axes.

Le rayonnement des Centres chorégraphiques nationaux à l’international est également une dimension importante ?

Ce sont d’excellents outils de rayonnement à l’international car ils n’ont pas d’équivalent à l’étranger et la communauté internationale y est très sensible. Pris individuellement, ils sont tous connus. Nous souhaitons à présent, notamment au niveau européen, mieux faire connaître le réseau des Centres chorégraphiques nationaux, montrer la force qu’il représente pour le développement de la culture chorégraphique en France.

"les CCN sont identifiés comme le lieu de l’expertise pour la scène chorégraphique" (Emmanuelle Vo-Dinh)

Est-ce l’un des objectifs de l’association que vous présidez ?

L’association des Centres chorégraphiques nationaux comprend les 19 CCN et se réunit tous les mois. En raison de la diversité des demandes qui nous sont adressées, nous sommes un excellent observatoire du secteur chorégraphique indépendant. Nous identifions nos propres problématiques mais aussi celles du secteur indépendant qui concernent notamment la question de la diffusion. Il est en effet de plus en plus difficile aujourd’hui de diffuser son travail en France – beaucoup de compagnies se tournent pour cette raison vers l’international –, nous avons la sensation qu’il y a une sorte de repli, que les moyens sont fragilisés, c’est un sujet dont nous avons fait part à la ministre de la Culture et de la Communication. Nous souhaitons notamment qu’une étude sur la question de la diffusion de la danse en France soit réalisée.

40 créations et 500 000 spectateurs par saison, 130 artistes en résidence chaque année, les chiffres parlent d’eux-mêmes et montrent la vitalité des Centres chorégraphiques nationaux. Aujourd’hui, l’un des principaux défis n’est-il pas d’élargir encore davantage les publics ?

Les publics sont là ! Ce qui reste compliqué, c’est d’avoir un rythme de programmation régulier toute l’année. Pratiquement tous les spectacles du festival Pharenheit qui a lieu en ce moment affichent complets. Pour le spectacle d’ouverture, « D’après une histoire vraie » de Christian Rizzo, on ne s’attendait pas à ce que la Scène nationale du Havre, le Volcan, fasse salle comble. Le public est présent mais tout le monde est touché par la crise, et l’offre, avec notamment les différentes formes hybrides qui voient le jour, est de plus en plus importante. Cela dépasse donc la seule question du public. Nous sommes nombreux à penser aujourd’hui que la danse fait beaucoup avec peu de moyens. Je suis convaincue qu’avec un peu plus de moyens nous serions bien meilleurs dans de nombreux domaines, aussi bien au niveau de la création – les compagnies ont tendance à prendre de moins en moins de temps pour créer, or une création fragile dès le départ est, a priori, une création qui ne va pas avoir une grande visibilité – que pour aider le secteur chorégraphique indépendant qui est d’une grande richesse.

Quelques exemples tirés de votre propre expérience de directrice du Phare, le Centre chorégraphique national du Havre ?

Au Phare, nous menons des projets qui sont un peu le noyau dur de tout CCN. Ils vont de l’accompagnement de l’option danse dans un lycée à un projet avec Sciences Po ou avec un centre de formation des apprentis. Nous préparons actuellement un projet intergénérationnel entre une école primaire et une maison de retraite. Nous travaillons aussi avec des lycées professionnels sur le plan chorégraphique ou dans le cadre de projets spécifiques, la section mode du lycée professionnel qui jouxte nos locaux a ainsi réalisé les sacs du festival Pharenheit que nous remettons aux artistes qui participent à l’événement. En réalité, nous avons des partenariats extrêmement variés avec des publics très différents. Pour ce qui est des accueils studio, nous proposons six accueils studio par an d’un montant de 8000 euros. Nous accordons aussi des aides à l’écriture d’un montant de 3000 euros pour différencier deux formes de soutien : celui apporté à des compagnies émergentes et celui dont bénéficient des compagnies déjà structurées. Ce sont des petits montants, mais cette aide, même modeste, est précieuse tant l’accueil studio encore une fois est décisif.

40 créations et 500 000 spectateurs par saison, 130 artistes en résidence chaque année, les chiffres montrent la vitalité des CCN

Vous venez d’évoquer le festival Pharenheit...

Quand nous sommes arrivés il y a trois ans, un festival, organisé en mai, existait déjà. Nous avons souhaité poursuivre ce temps fort qui est très important pour la vie du CCN en avançant le calendrier. Nous accueillons des artistes toute l’année et organisons régulièrement des répétitions publiques, « les Fabriques de 19h » où, au travers d’extraits, d’échanges, d’images et de mots, de mouvements et d’imaginaire, l’artiste emmène le public au plus près de son processus de création. Le festival Pharenheit se situe dans le prolongement de ce travail. Nous accueillons le chorégraphe dans le cadre de Pharenheit pour clôturer ce temps de présence dans la maison et permettre la visibilité de son travail. Nous développons également le festival sur le territoire, avec cette condition que l’ensemble des artistes sont d’abord accueillis au Havre. Ensuite, certains d’entre eux se produisent chez nos partenaires soit avec la pièce présentée au Havre soit avec une autre. Nous voulons favoriser la diffusion des artistes plutôt que multiplier les propositions. La majorité des artistes que nous accueillons dans le cadre de l’accueil studio est naturellement programmée dans le cadre du festival.

Qu’est-il prévu dans le cadre de la grande soirée d’anniversaire des Centres chorégraphiques nationaux qui aura lieu le 19 février au Théâtre de Chaillot ?

Pour ces 30 ans des Centres chorégraphies nationaux, nous avons proposé à chaque chorégraphe ayant dirigé ou dirigeant un CCN de proposer un geste d’une durée de quatre minutes. Chaque chorégraphe propose soit un extrait de pièce, soit un geste chorégraphié de façon inédite pour la soirée, soit participe à un autre geste. Il y aura donc des propositions extrêmement variées, certaines issues du répertoire et d’autres originales comme par exemple la Danse des éventails où onze chorégraphes reprendront cette chorégraphie créée en 1978 par Andy Degroat. Ce sera une soirée unique où toutes les esthétiques, toutes les générations, seront représentées.

CCN Chaillot

30 ans des CCN : quelques temps forts

19 février : 30 propositions pour 30 ans, un spectacle anniversaire au théâtre national de Chaillot

19 février : lancement de la plateforme numérique qui retracera, selon Emmanuelle Vo-Dinh, « l’histoire de ces trente ans de manière ludique » ;

22 mai : séminaire de réflexion à la Gaîté Lyrique, à Paris. « Les CCN et les pratiques des chorégraphes ont tellement évolué en l’espace de trente ans et la réforme territoriale en cours change aussi la donne », détaille Emmanuelle Vo-Dinh ;

Pendant toute la saison : l'anniversaire des 30 ans sera décliné dans chaque CCN.