Grands Prix nationaux 1999

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Dominique Eddé

Dominique Eddé
Grand Prix National (jeune talent ex aequo avec François Cochet)

La guerre, celle du Liban, et toutes les guerres aveugles marquent la vie et l'oeuvre de Dominique Eddé : une oeuvre naissante qui se compose de deux livres écrits à dix années d'intervalles, mais un talent à son sommet qui exprime la douleur et l'impossible oubli dans un style sobre, pudique et émouvant.

Son prmier livre, Lettre posthume, un magnifique essai littéraire dans la forme épistolaire, donne la mesure et l'essence paradoxale de son art : écrire de l'intérieur et avec distance. Une vie d'engagement, une histoire personnelle qui se confond avec celle de son pays, le combat avec la maladie, lui laissent encore assez d'amour et d'magination pure our écrire des contes pour enfants, avant de poser la qustion de son dernier livre : Pourquoi il fait si sombre? Pour ce second retour au pays natal, elle trouve dans la forme du monologue où l'autobiographie fait résonner les multiples voix qui peuplent sa mémoire, où d'innombrables personnages tour à tour drôles et pathétiques s'invitent d'eux-mêmes, la forme d'écriture qui répond le mieux à son esthétisque, totalement libre et absolue.

C'est un livre qui vibre du dialogue et des tensions entre deux cultures, entre l'orient et l'occident, l'arabe et le français, entre deux façons de vivre la parole, entre l'oralité et l'écrit, entre l'effusion lyrique et la rigueur de l'analyse. C'est enfin un livre d'amour. " Ecrire droit m'ennuie, je veux le marc du silence, l'illusion absolue, l'air qui circule entre les mensonges, quelque chose d'indolore qui me ressemble un peu.

Dominique Eddé est née le 18 février 1953 à Beyrouth. Après des études d'histoire à Paris, elle part enseigner le Français à Beyrouth. Elle sera ensuite attachée de presse aux éditions du Seuil, attachée de cabinet aux Nations-Unies, directrice des films du Masc, directrice éditoriale des éditions du Cyprès à Paris. Elle vient de terminer la traduction du dernier livre de Peter Brook pour les éditions du Seuil.


Allocution de Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication

Dès votre premier livre, « Lettre posthume », vous vous affirmez par une écriture sobre, pudique et tellement émouvante, une écriture qui sait admirablement dire la douleur, et l’impossible oubli d’un Liban brisé par la guerre, un livre qui nous révèle un véritable écrivain.

Avec votre deuxième livre « Pourquoi il fait si sombre ? », un écrivain à la voix singulière s’impose dans un monologue où l’autobiographie est « peuplée » de toutes les voix qui habitent votre mémoire. C’est un livre dont les innombrables personnages, magnifiques, pathétiques, drôles parfois, hanteront longtemps la mémoire de vos lecteurs.

La tension entre l’arabe et le français, entre vos deux cultures, le rapport à l’oralité et au conte, la musique de cette prose rhapsodique et poétique, la rigueur de l’écriture, font de ce deuxième livre un magnifique hymne à la vie dans lequel vous déclarez : « écrire droit m’ennuie... Je suis un nerf qui s’enflamme au son de la vie, une moitié en feu et une moitié qui s’enfuie en courant, impossible de rester, impossible de partir (...), ni avant ni après mais là maintenant comme par miracle... ».

Je suis très heureuse de vous remettre ce soir ce grand prix jeune talent des lettres, dans l’impatience de découvrir bientôt votre prochain livre et de vous voir poursuivre ce dialogue des cultures dont vous savez si bien nous faire partager les richesses.


Réjean ducharme

Réjean Ducharme
Grand Prix National

L'homme invisible, le chauffeur de taxi-écrivain, le poète maudit : Réjean Ducharne, le plus célèbre et le plus mystérieux des écrivains québécois, incarne tous les mythes.

Il n'a jamais accordé le moindre entretien, il ne se montre jamais.

Une légendaire discrétion qui a même fait douter de son existence ou croire au pseudonyme d'un écrivain célèbre tenté par l'idée d'une seconde carrière. mais Réjean Ducharne existe bel et bien. Sa mère l'avait confirmé en 1967, dans un communiqué où elle expliquait "qu'il se sent de trop quand il est avec d'autres".

depuis plus de trente ans, chacun de ses romans crie son refus de la société et du monde des adultes et appelle au respect de l'humain, dont l'identité s'acquiert par l'incapacité à être. Avec pour armes de combat la culture, qu'il a vaste et brillante, et la dérision, il forge avec lenteur une oeuvre inclassable et changeante qui renouvelle sans cesse ses formes.

Depuis son premier livre, L'Avalée des avalés,Ducharne réinvente une langue française, nourrie de truculence québécoisectravestie, qui s'apparente à la langue du rêve et de la poésie, sur un continent où la langue officielle est l'anglais

Dans un style baroque qui fait penser à Vian, Queneau ou Beckett, à travers les calembours, les répétitions et les mots obscurs, il propose un autre monde, peuplé de personnages en rupture de ban, où l'on vit d'une vie plus vivante, souvent violente mais toujours poétique.

"Je suis un joyeux luro. J'aime la vie.

Je veux la vie et j'ai la vie. Je prends d'un seul coup toute la vie dans mes bras, et je ris en jetant la tête en arrière, sans compter que les haches dont elle est hérissée font gicler le sang.J'embrasse la vie: on dirait qu'elle est faite pour cela, qu'elle est faite pour me rendre orgueilleux de ma force. (...)

Réjean Ducharme est né le 12 août 1941 à Saint Félix de Valois (comté de Joliette, au nord de Montréal). Il a étudié sans enthousiasme à l'Ecole polytechnique, a beaucoup voyagé au Canada, aux Etats-Unis, au Mexique et fait de petits métiers. Son oeuvre compte une vingtaine de romans et pièces de théatre aux titres évocateurs : L'Océantume, Les Enfantômes, Va savoir...On lui doit les paroles de nombreuses chansons de Robert Charlebois et de Pauline Julien, ainsi que des scénarios pour Mankiewiwicz. Il peint également et expose (discrètement et sous un pseudonyme).


Allocution de Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication

Le grand prix national des Lettres revient cette année à un écrivain qui nous est très cher, un écrivain qui a décidé de rester en retrait pour ne laisser paraître que son écriture, un écrivain enfin qui n’a pu malheureusement quitter son lointain Québec pour être parmi nous ce soir. Lointain Québec qui nous est évidemment très proche par le cœur et l’esprit.

Auteur d’une douzaine de romans, il a écrit aussi des pièces de théâtre, des chansons pour Robert Charlebois et Pauline Julien, des scénarios pour Mankiewicz. Il expose ses oeuvres de plasticien (collages d’objets ramassés lors de ses balades) sous le nom de Roch Plante.

Réjean Ducharme s’est réfugié dans son œuvre pour y défier l’inhospitalité du monde. Ses personnages sont en rupture de ban avec le réel, la société et le monde des adultes. Et si ses romans sont souvent tragiques, l’ensemble de son œuvre n’en est pas moins un formidable hymne à la vie. Comme il le dit dans l’un de ses livres : « Je suis un joyeux luron. J’aime la vie. Je veux la vie et j’ai la vie. Je prends d’un seul coup toute la vie dans mes bras ».

Je suis aujourd’hui particulièrement heureuse que ce Grand prix national des Lettres lui revienne. C’est une reconnaissance par la France d’un de ces écrivains qui, outre-Atlantique, représente notre langue et notre littérature dans ce qu’elle comporte de neuf, d’inventif et d’universel. Heureuse aussi que cette remise coïncide avec le Printemps du Québec et succède au Salon du livre dernier, où le Québec étant l’invité d’honneur, l’œuvre de Réjean Ducharme a été particulièrement mise à l’honneur.


François Cochet

François Cochet
Grand Prix National (jeune talent ex aequo avec Dominique Eddé)

Sa première thèse, il la commence enfant en interviewant ses grands-parents sur Reims au temps de la Première Guerre mondiale, une ville qui fut dévastée par les bombardements allemands.

C'est là autour de la mémoire de son "petit pays" et des deux guerres mondiales, qu'il découvre sa vocation d'historien en expérimentant la méthode des archives orales.

Sa manière d'étudier les guerres du XXe siècle s'apparente à une radioscopie. En rapportant le point de vue des déportés et des prisonniers de guerre, françois Cochet défend une approche de l'histoire qui emprunte ses outils à d'autres sciences humaines comme la sociologie, la psychanalyse ou la linguistique.A partir de nombreuses recherches aux archives de Genève, Soldats sans armes, son dernier livre, montre comment la guerre de 14 semble inaugurer un nouveau mode de traitement des prisonniers selon leur origine ethnique.

Celui qui a consacré l'essentiel de son oeuvre à la difficile mémoire des sans-grade et des "exclus de la victoire", au sentiment de la défaite et aux difficultés du retour, se consacre à présent à une approche culturelle de la société militaire et de ses systèmes de commandement.

Il annonce déjà une étude dans le milieu des déserteurs et des insoumis.

françois Cochet est né à Reims Le 21 janvier 1954. Maître de conférence d'Histoire contemporaine et directeur de recherches à l'université de Reims Champagne-Ardenns. Il poursuit des activités de recherches au sein d'Arpège (association pour la paix et la guerre).
Il vient de publier deux livres en 1999 : Les Américains et la France (1917-1947): engagements et représentetions et soldats sans armes.Il publie également des ouvrages de vulgarisations en histoire économique.


Allocution de Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication

Impossible de parler de vous sans parler de Reims. Vous y avez fait vos études et vous y enseignez maintenant l’histoire à l’université.

Impossible de parler de votre œuvre sans parler de la guerre et surtout de ceux qui la font, les soldats, les sans grades trop souvent oubliés de l’histoire auxquels vous consacrez votre thèse : Retour et réinsertion des prisonniers, déportés et rapatriés. L'exemple des Champenois, 1945-1954. Plus largement vous travaillez sur tout ce qui de près ou de loin touche aux conflits du XXème siècle : les destructions urbaines, la violence, les témoignages oraux et en particulier les problèmes des prisonniers de guerre.

Vous avez su, au travers de vos livres et de nombreuses communications, par l'utilisation des témoignages des acteurs de ces conflits, montrer la richesse de leur apport à la mémoire collective d'une nation.

Dans un monde qui, malheureusement est loin de connaître la paix, ce remarquable travail de mémoire, qui éclaire si bien un passé particulièrement douloureux , représente aussi une précieuse contribution à la compréhension de certains comportements actuels. Une invitation supplémentaire à tout faire pour ne plus jamais les voir se reproduire.

C’est donc pour moi un très grand plaisir de vous remettre ce grand prix jeune talent des lettres.