Bien que désastreuse pour la royauté des Valois, pour
le royaume de France et pour les Français, la bataille de Poitiers,
livrée à 8 km au sud de la ville, sur le site de l’actuelle
commune de Nouaillé-Maupertuis, mérite d’être
sinon célébrée, du moins commémorée,
en raison de son importance et de sa signification.
Roi de France depuis 1350, Jean le Bon, dès son avènement,
fut l’héritier d’une situation difficile : d’une
part, la terrible épidémie de la Peste noire venait
tout juste de s’apaiser (il est vrai qu’elle toucha l’ensemble
de l’Occident, y -compris l’Angleterre), d’autre
part, depuis une dizaine d’années, en dépit d’un
effort fiscal non négligeable, les armées du roi de
France avaient connu de très sérieux revers, sur terre
comme sur mer, face aux armées d’Édouard III,
roi d’Angleterre, qui entendait affirmer et imposer la souveraineté
de son duché de Guyenne et surtout revendiquait la couronne
de France en tant que petit-fils par sa mère, Isabelle, de
Philippe IV le Bel. Du coup, Édouard III avait trouvé
des alliés dans le royaume, notamment le roi de Navarre et
comte d’Évreux Charles II (connu dans l’histoire
sous le nom de Charles le Mauvais), gendre de Jean le Bon mais mécontent
de son beau-père qui lui avait injustement – et imprudemment
– refusé un certain nombre de fiefs.
Un temps assoupie, la guerre franco-anglaise reprit à l’automne
1355, marquée par la dévastatrice chevauchée
que mena presque sans encombre à travers le pays de langue
d’oc, de Bordeaux à Narbonne, Édouard, prince
de Galles, fils aîné d’Édouard III.
Force fut donc à Jean le Bon, confronté à la
montée de la colère et de l’angoisse, de convoquer,
ne serait-ce que pour obtenir les subsides nécessaires à
l’entretien de son armée, les états généraux,
réunissant les représentants du clergé, de la
noblesse et des bonnes villes, à Toulouse pour la langue d’oc
(la France du sud), à Paris pour la langue d’oïl
(la France du nord et du centre). Là se manifesta le notable
marchand drapier Étienne Marcel, prévôt des marchands
de Paris. L’idée de réforme était dans
les esprits : à tort ou à raison, beaucoup de députés
estimaient que Jean le Bon et son équipe n’étaient
pas à la hauteur des problèmes, agissaient avec trop
peu de concertation, que l’argent public était mal utilisé
et la guerre mal conduite. Il convenait de contrôler le gouvernement
royal pour lui donner sa pleine efficacité : changement des
hommes, des méthodes et des perspectives.
En avril 1356, la rupture fut totale entre les Navarrais et le roi
Jean, d’autant plus grave que son fils aîné, le
dauphin Charles, alors duc de Normandie, futur Charles V, semblait
avoir pris le parti de Charles de Navarre, qui fut alors incarcéré.
En juin, un corps expéditionnaire anglais débarqua en
Normandie. En juillet, commença à partir de Bordeaux,
sous le commandement du prince de Galles, une grande chevauchée
en direction du nord, réunissant des Anglais et des Gascons.
Le roi Jean, après avoir tant bien que mal contré les
Navarrais, prit la décision d’affronter les Anglo-Gascons.
L’armée du prince de Galles, ayant fait demi-tour, fut
rattrapée par l’armée française. Le choc
eut lieu à Maupertuis. Même si les sources disponibles
ne permettent guère à l’historien de reconstituer
les différentes phases de l’affrontement et d’identifier
les responsables de la défaite, le résultat est là
: la capture du roi Jean qui, de façon à la fois impulsive
et réfléchie, n’avait pas voulu fuir alors qu’il
en avait la possibilité matérielle, et le discrédit
de la classe militaire et nobiliaire française, accusée
de lâcheté et d’impéritie, sinon de trahison.
En l’absence du roi de France, bientôt transféré
en Angleterre dans l’attente du paiement de sa rançon,
le pouvoir, fort contesté, revint au dauphin Charles, alors
âgé de 18 ans. De nouveaux états de langue d’oïl
furent convoqués à Paris, où s’affirmèrent
Étienne Marcel mais aussi Robert Le Coq, évêque
de Laon, porte-parole du roi de Navarre. La première séance,
qui se déroula le 17 octobre 1356 dans le couvent des Cordeliers,
sur la rive gauche, réunit 800 personnes, dont la moitié
députés de Paris et des bonnes villes. Une commission
de quatre-vingts membres fut créée, qui entendit imposer
la destitution de sept « grands gouverneurs », réputés
avoir mal conseillé la royauté, et flanquer le dauphin
d’un conseil de vingt-huit membres pris dans les trois ordres,
ayant, en vue du salut public et du bien commun, « puissance
de tout faire et ordonner au royaume aussi comme roi ». La délivrance
du roi de Navarre était également exigée.
En échange, un subside pourrait être levé, susceptible,
théoriquement, d’entretenir une formidable armée
de 30 000 hommes d’armes pendant un an. Le dauphin s’efforça
alors de biaiser, il quitta Paris. Les états se réunirent
encore le 3 novembre, accentuant leurs demandes, en vue de circonscrire
les initiatives d’en haut. Il est vrai que les états
de langue d’oc, réunis parallèlement, se montrèrent
beaucoup moins agressifs ou ambitieux, demandant surtout – et
obtenant – que l’argent levé en langue d’oc
soit employé sur place, pour la défense du pays.
L’année 1356 s’acheva par la sortie du dauphin
hors du royaume, à Metz, cité impériale, où
il rencontra le 22 décembre son oncle l’empereur Charles
IV de Luxembourg, en vue, peut-être, d’obtenir son appui.
Tout demeurait en suspens. Tels furent les débuts d’une
crise majeure, militaire, politique mais aussi sociale, qui devait
se prolonger au moins jusqu’en 1358 avec la révolte des
ruraux connue sous le nom de Jacquerie et l’assassinat d’Étienne
Marcel.
Bien que la personnalité du prévôt des marchands
fasse toujours -problème, il est permis de voir en lui un homme
de bonne volonté, soucieux, moyennant un certain nombre de
contre-parties, de préserver l’unité du royaume
et de mener une guerre résolue contre les ennemis. Cela dit,
on peut se demander si le contrôle de la royauté formulée
par les états à l’automne 1356 était considéré
par eux comme une mesure d’exception, résultant de la
captivité du roi et de la poursuite des hostilités,
ou comme l’amorce d’un autre régime politique où
les états, même en dehors des périodes de crise,
auraient eu, comme le parlement en Angleterre, un rôle reconnu,
régulier et organique.