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Célébrations nationales 2004
Littérature et sciences humaines
Senancour publie Oberman
1804

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Oberman paraît en 1804. Son auteur, Senancour (1), appartient à la même génération que Chateaubriand et Mme de Staël. Située entre deux mondes, cette génération a été formée sous l’Ancien régime, a vingt ans sous la Révolution, va encore connaître l’Empire et parfois même la Restauration. Comme beaucoup de ses contemporains, Senancour a bénéficié d’un riche passé culturel, il a été nourri par la philosophie des Lumières à laquelle il demeura fidèle ; il a connu l’exil – parti en Suisse en 1789, il va être considéré comme émigré – et l’exil prend pour lui une dimension métaphysique : sentiment d’être profondément étranger au monde qui s’édifie au XIXe siècle, certes, mais aussi sentiment d’être fondamentalement, définitivement un « étranger », au sens où l’entendra Camus.


Oberman est un roman par lettres qui relate cette expérience de la beauté des paysages suisses et du profond abandon d’un jeune homme solitaire, expérience marquée par des illuminations, ainsi lors d’une nuit où il se promène près de la Thièle au clair de lune, ou encore lorsqu’il accomplit l’ascension de la Dent du Midi. Il perçoit alors l’existence d’une langue qu’il appelle « romantique », langue de correspondances et d’harmonies qui n’est plus sentie par l’homme vivant dans la pollution des villes, mais dont la prose de Senancour, d’une -austère beauté, voudrait permettre une approche.
Ce roman, souvent difficile, profondément philosophique, ne pouvait atteindre un très vaste lectorat lors de sa parution. Mais il fut redécouvert avec ferveur par les romantiques de 1830 qui y puisèrent en partie leur inspiration : Sainte-Beuve, George Sand, par des articles dans la Revue de Paris et dans la Revue des deux Mondes, lancèrent cette œuvre qui connut alors des rééditions. Volupté de Sainte-Beuve, Lélia de George Sand, Les Illusions perdues et la Peau de chagrin de Balzac se font l’écho de la désespérance d’Oberman, de ses élans vers le monde de l’idéal et de ses retombées dans l’ennui et le spleen. Convaincu par George Sand, Liszt consacra à Oberman deux de ses pièces pour piano dans Les années de pèlerinage.


Le bicentenaire d’Oberman est l’occasion de mettre à l’honneur un écrivain qui a toujours eu des lecteurs fervents – il ne voulait s’adresser qu’à des « adeptes » ou, pour reprendre l’expression stendhalienne, à quelques « happy few » – mais qui n’est pas suffisamment connu du grand public. Par bien des aspects cependant, Oberman annonce les angoisses de l’homme moderne et son désir de retrouver une nature première, loin des artifices et des contraintes d’une société mécanisée et impitoyable. La poésie de cette prose, l’évocation de ces paysages de haute montagne et ce dialogue tragique de l’homme avec l’univers devraient encore trouver un écho chez les lecteurs de notre siècle.
1. Étienne Pivert de Senancour, Paris, 1770 – Saint-Cloud, 1846.

Béatrice Didier
directrice du département
littérature et langage
à l’École normale supérieure


© cliché Bibliothèque nationale de France

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